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CHAPITRE 1: LA CONSCIENCE MISSIONNAIRE CATHOLIQUE:

1.3 L'Église catholique de Chine, ses avancées et ses reculs au Xuzhou

1.3.3 L'Église catholique du Xuzhou

Le Xuzhou, une région d'approximativement 24 000 kilomètres carrés située dans le Nord de la province civile chinoise du Jiangsu, fut visité par des Jésuites français pour première fois au XIXe siècle107. Basée à Zikawei, concession où seule la juridiction

française était en vigueur, la division française de la Compagnie de Jésus bâtit de nombreuses institutions grâce aux privilèges accordés par les traités des guerres de l'Opium. Elle fonda un séminaire dès 1843. Puis, un observatoire, un centre météorologique, un centre de presse, une bibliothèque et une université alimentaient des activités à la fine pointe de la science occidentale de l'époque. De ce quartier général, les Jésuites français dirigeaient les opérations missionnaires du vicariat de Nankin duquel ils prirent la charge et la direction en 1856108.

106 À noter que si le clergé chinois n'occupait pas la majorité des postes de supérieur des territoires ecclésiastiques de Chine, le clergé indigène féminin, qui conservait des postes subalternes, était nombreux. À titre d'exemple, le personnel qui travaillait en Chine en 1928 se composait, entre autres, de 3968 religieuses dont 2641 était d'origine chinoise. En 1948, 5112 des 7463 religieuses étaient d'origine chinoise, soit une progression de près de 52% en terme d'effectif religieux féminin d'origine chinoise. Beatrice Leung et Patricia Wittbert, « Catholic Religious Orders of Women in China: Adaptation and Power », Journal for the Scientific Study of Religion, vol. 42, no.1 (mars, 2004), p. 70. Marie-Ina Bergeron, Le christianisme en Chine: approches et stratégies, Lyon, Chalet, 1977, p. 137.

107 La ville de Xuzhou fut évangélisée au XVIIe siècle par le P. jésuite Jean Valat. Un bienfaiteur chinois permit

l'érection d'une église catholique. Les missionnaires étaient forcés de quitter la Chine suite à la querelle des rites et n'y retournaient pas avant les règlements des guerres de l'Opium. Édouard Lafortune, Canadiens en Chine: croquis

du Siutchoufou. Mission des Jésuites du Canada, Montréal, L'Action Paroissiale, 1930, p. 24. La région du Xuzhou

se situe sur la Grande Plaine entre Beijing et Shanghai, au Nord de la province civile chinoise du Jiangsu. Voir « Chiang-su » sur la carte de la Chine en annexe A. Voir la carte du Xuzhou en annexe B.

108 L'Université Aurore, une des institutions d'enseignement supérieur catholique principales en Chine, ouvrit en 1903. L'observatoire météorologique de Zikawei, fondé en 1871, était l'une des stations que les Jésuites avaient mises en

À l'extrémité du vaste territoire que la Sacrée Congrégation de la Propagation de la Foi confia aux Jésuites français, le Xuzhou était l'un des centres les plus éloignés. La construction d'églises et l'organisation d'écoles rudimentaires furent les principales tâches qui occupaient les premiers prêtres qui y ont été affectés. Rosario Renaud raconte que le P. Léopold Gain et ses collègues y affrontèrent la famine, les brigands et la révolte des Boxeurs (1899-1901). La communauté catholique, dont les pionniers assumaient les services spirituels, atteignit lentement 13 375 fidèles en 1905. Le constat encourageant était le fruit des ambitions du supérieur de la mission de Nankin, Mgr. Valentin Garnier (1879-1898), qui souhaitait voir l'Église catholique s'épanouir jusque sur la Grande Plaine chinoise109.

Or, le catholicisme au Xuzhou subit l'impact de la désorganisation de l'Empire des Qing en 1911 à laquelle succéda l'instabilité politique jusqu'en 1928. De nombreux bâtiments de la mission furent endommagés et plusieurs missionnaires français quittèrent la région pour répondre à l'appel du front européen durant la Première Guerre mondiale. L'Église éloignée du Xuzhou passait alors loin des priorités de la communauté religieuse. Pas assez nombreuse pour maximiser l'impact des œuvres d'évangélisation sur tout le territoire de Nankin, cette dernière sauvegarda ce qui lui restait autour des villes principales et abandonna les projets limitrophes. La centralisation des œuvres pontificales à Rome réduisit, dès 1922, le financement accordé au vicariat français110.

Face à la perspective de la faillite, le nouveau supérieur du vicariat de Nankin, Mgr. Prosper Paris (1900-1931), suggéra la partition. Le Saint-Siège, qui était à ce moment place dans le monde. Il était une source de données pour les marchands et les voyageurs maritimes. Augustín Udías, « Jesuits' Contribution to Meteorology », Bulletin of the American Meteorological Society, vol. 77, no. 10 (oct., 1996), pp. 2311-2313. La librairie de Zikawei était la plus grande des librairies, des écoles et du musée de la mission de Nankin. Gail King, « The Xijiahui (Zikawei) Library of Shanghai », Libraries & Culture, vol. 32, no.4 (automne, 1997), p. 459. À propos du vicariat de Nankin et du contexte politique au Xuzhou, voir Jacques Langlais,

op. cit., pp. 44-76.

109 Rosario Renaud, Süchow: diocèse de Chine, Montréal, Bellarmin, pp. 171-191 et 347-380. Sept Jésuites décuplaient les efforts du P. Léopold Gain et de ses deux collègues, mais le personnel alloué à la région du Xuzhou ne dépassait jamais le nombre de quinze missionnaires avant le passage, en 1918, des premiers Canadiens français. Œuvre de la

Mission de Suchow d'après la Division Ecclésiastique, AJC, M-0007, Cl. 21 (1887, 1905 et 1918).

très réceptif aux entreprises missionnaires, approuva la stratégie et le territoire de Nankin fut morcelé. Alors que les missions de Wuhu (1921), de Anking (1929) et de Pengpu (1929) étaient transmises à d'autres congrégations religieuses européennes, la direction de celle de Haimen (1926) fut assignée à Mgr. Simon Tsu, l'un des premiers évêques chinois nommés par le Pape Pie XI. Chaque préfecture ainsi créée devait décharger les Jésuites français de la grande responsabilité financière qu'ils ne pouvaient plus assumer pour les œuvres catholiques des régions périphériques à celle de Shanghai111.

Les Jésuites français demandèrent le renfort des Jésuites du Québec dès 1918. Le P. Édouard Goulet et le F. Paul Gagnon furent les premières recrues que la province jésuite du Canada envoya en Chine pour répondre à leur appel. Les scolastiques Georges Marin, Auguste Gagnon et Édouard Côté arrivèrent pour la première fois au Xuzhou en 1920. Trois autres recrues, le P. Jean-Louis Lavoie, le scolastique Armand Proulx et le F. Aza Souligny suivirent le même parcours et résistèrent aux bandits et à l'occupation militaire des soldats fatigués de l'Armée nationale révolutionnaire en 1927. Le P. Édouard Lafortune, un autre Jésuite canadien-français, était mandaté par les Jésuites français comme supérieur de la région du Xuzhou entre 1928 et 1931. Le P. Philippe Côté arriva au Xuzhou alors que la Chine venait tout juste d'être réunifiée sous le commandement du Généralissime Jiang Jieshi autour de la ville de Nanjing pour une décennie (1928-1937)112.

L'Église du Xuzhou fut officiellement assignée par le Saint-Siège aux Jésuites du Québec le 23 juin 1931, au creux de la crise économique mondiale. Mgr. Georges Marin était l'administrateur apostolique de la nouvelle préfecture apostolique. Avec ses 55 526 fidèles catholiques, ce qui lui attitrait le 7e rang en importance sur les 110 circonscriptions

ecclésiastiques de Chine de l'époque, l'Église du Xuzhou constituait une responsabilité 111 Les Jésuites français de Nankin ont cédé le territoire de l'Anhui le 8 août 1921. Renommé Wuhu par la suite, il donna en 1929 naissance aux missions de Pengpu et de Anking qui furent confiées à des Jésuites espagnols et italiens. Nankin transmit les préfectures apostoliques de Haimen en 1926, de Xuzhou en 1931 et de Shanghai en 1933. Alors que Nankin fut élevé au rang d'archidiocèse en 1946, les Jésuites français s'installèrent à Shangh ai. Georges Marin, Corr. à J.-Louis Lavoie, AJC, M-0007, Cl. 4, Marin Georges III (27 déc., 1933), p. 2. Deux autres missions furent plus tard octroyées par Nankin à des missionnaires californiens et au clergé séculier chinois.

112 Les brigands étaient particulièrement actifs au Xuzhou. Située entre les provinces civiles chinoises de l'Anhui, du Henan et du Shandong, la région était visitée par des bandits qui migraient stratégiquement pour fuir les juridictions provinciales. À propos de l'occupation militaire des bâtiments de l'Église du Xuzhou par l'Armée nationale révolutionnaire en 1927, voir Édouard Lafortune, op. cit., pp. 214-222.

d'envergure. Le projet de la soutenir jusqu'à son autonomie avait parallèlement un grand potentiel. Son église principale était située à la ville de Xuzhou où deux chemins de fer principaux se croisaient: les axes Tianjin-Pukou et Kaifeng-Haizhou. Le territoire était administré en deux, puis trois (1932), quatre (1941) et six (1945) sections totalisant de 18 à 29 paroisses (districts). La région stratégique accueillait le Grand Canal, l'ancien Canal impérial qui reliait Beijing à Hangzhou, et était le siège de plusieurs garnisons militaires113.

Sous la responsabilité des Jésuites du Québec, l'Église du Xuzhou connut plusieurs transitions marquantes. Le P. Philippe Côté, qui assistait Mgr. Marin depuis son arrivée en Chine, lui succéda lors de l'élévation du territoire ecclésiastique en vicariat le 18 juin 1935 et assuma de nombreux choix difficiles. Sacré premier évêque de Xuzhou, il dirigeait les activités missionnaires durant l'occupation japonaise du Xuzhou (1937-1945) et supervisait l'encadrement d'une communauté de fidèles catholiques chinois de plus de 88 000 individus. L'évêque partit également avec les 35 Jésuites du Québec qui furent internés à Shanghai par l'armée nipponne entre novembre 1943 et août 1945. Il demeura à la tête du territoire ecclésiastique lorsque ce dernier, inclus dans la hiérarchie épiscopale chinoise, devint un diocèse le 11 avril 1946. Puis, constatant de l'incapacité de répondre aux prérequis de cette promotion rapide, il organisa la même année la partition du territoire du Xuzhou en transférant six paroisses et leurs 25 647 catholiques aux Franciscains américains de la Californie. Entre 61 433 et 68 478 fidèles de l'Église du Xuzhou sont demeurés sous la supervision des Jésuites du Québec jusqu'à leur départ graduel qui était forcé par les communistes chinois dès 1949. Mgr. Côté fut expulsé du Xuzhou, fut accusé d'avoir espionné pour l'État du Vatican et d'avoir pris part aux activités de la Ligue de Marie et fut séquestré à deux reprises. L'Église du Xuzhou fut alors gravement désorganisées114.

113 Georges Marin, Corr. à Mgr. Zanin, AJC, M-0007, Cl. 6, no. 55 (19 déc., 1932), pp. 1-2. La province du Jiangsu était rapidement dotée d'un réseau ferroviaire après la chute de la dynastie Qing. En 1912, la section Tianjin-Pukou fut complétée. Quatre ans plus tard, celle de Xuzhou-Kaifeng était fonctionnelle. En 1925, la section Xuzhou- Haizhou fut reliée. Ernest P. Liang. China: railways and agricultural development, 1875-1935. Chicago, University of Chicago, 1982, pp. 71-82. À propos des situations administratives et militaires dans la région du Xuzhou, veuillez consulter Shenwen Li, « Les jésuites canadiens-français et leur mission en Chine, 1918-1945 », op.cit., pp. 330-334. Voir la carte du Xuzhou en annexe B pour constater du croisement à Xuzhou de deux chemins de fer principaux et du passage du Grand Canal entre les villes de Tushan et de Yaowan.

114 Mgr. Côté fut finalement exilé de la Chine en 1953. Les Philippines, Hong Kong, le Vietnam et l'île de Formose (Taiwan) accueillirent une bonne partie des Jésuites du Québec après leur expulsion de la Chine. L'autre partie retourna au Canada. Voir en annexe E le nombre de chrétiens qui étaient sous la responsabilité des Jésuites du Québec d'août 1931 à août 1950.

Le travail apostolique que les Jésuites du Québec accomplissaient au Xuzhou entre 1931 et 1949 se situait dans la continuité des initiatives missionnaires encouragées en Chine par le Saint-Siège depuis les guerres de l'Opium. Il contribuait une partie des efforts que les missionnaires mandatés par la Sacrée Congrégation de la Propagation de la Foi combinaient en réponse aux directives du Concile de Shanghai. Les Jésuites du Québec soutenaient une communauté de catholiques ébranlée par la famine, les brigands et la guerre. Ils le faisaient en cherchant à contrecarrer l'influence du communisme. Au départ forcé des missionnaires, l'Église catholique du Xuzhou n'était toutefois pas prête à s'auto- administrer.

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Face aux avancées protestantes, musulmane et surtout communiste, les papes élevaient la conscience missionnaire et en centralisaient les manifestations pour soutenir l'expansion du catholicisme à travers le monde. Des communautés religieuses missionnaires étaient mandatées aux quatre coins de la planète dans l'objectif spirituel de transmettre la lecture romaine de la Bible. Le Canada était un territoire de missions où le catholicisme occupait une place centrale dans la culture des habitants francophones. Le clergé catholique romain était particulièrement présent au Québec. Ce dernier manifestait d'un esprit missionnaire particulièrement aigu qu'il transmettait aux paroissiens canadiens-français. Capable de les convaincre de la pertinence du projet missionnaire du Saint-Siège, le clergé du Québec accueillait les prières, les vocations et les aumônes qui lui permettaient d'investir dans des missions étrangères. L'Église de Chine était au centre des préoccupations de la papauté. Implantées à la faveur des intérêts des puissances coloniales, les missions chinoises étaient mandatées à des supérieurs qui, en général, monopolisaient leur administration au détriment d'un clergé chinois qu'ils considéraient comme inférieur dans la hiérarchie ecclésiastique. Le Saint-Siège, qui cherchait à promouvoir la formation d'un clergé indigène pour que l'Église de Chine devienne autonome, ne trouvait pas d'échos assez rapides à ses directives dans les missions avant que le communisme soit proclamé

l'idéologie du gouvernement de Beijing. L'État du Vatican étant considéré comme une puissance étrangère par le Parti communiste chinois, les missionnaires étaient les uns après les autres expulsés de la Chine continentale.

Les autorités de l'Ordre des Jésuites, qui supervisaient de nombreuses missions à travers le monde, obéissaient très souvent aux directives de la papauté. La Compagnie de Jésus était bien enracinée au Québec où elle occupait une place très influente auprès des Canadiens français. Les Jésuites du Québec cherchaient à les convaincre de la pertinence de financer le projet missionnaire outre-mer du Xuzhou. Ils fondaient la Procure des Missions Étrangère de Chine pour répondre à leur mandat de soutenir la jeune Église chinoise jusqu'à son autonomie.