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CHAPITRE 1: LA CONSCIENCE MISSIONNAIRE CATHOLIQUE:

1.3 L'Église catholique de Chine, ses avancées et ses reculs au Xuzhou

1.3.2 Donner la Chine aux Chinois?

L'attitude des missionnaires face aux prêtres chinois avait fait l'objet de critiques très sévères de la part du Lazariste Vincent Lebbe. En Chine dès 1901, le prêtre dénonçait le fait que plusieurs missionnaires perçoivent les Chinois comme incapables de diriger l'Église de Chine96. Indigné, il défendait l'idée que l'Église de Chine ne parviendrait jamais

à son autonomie si elle n'était pas administrée par un clergé d'origine chinoise. Or, sans instructions claires de la part du Saint-Siège, les supérieurs de mission étaient, à ce moment, encore peu réceptifs à l'idée de donner « la Chine aux Chinois »97. Le Pape

Benoît XV suivait de près la situation politique chinoise et Maximum Illud, que le Saint- Siège commença à diffuser six mois après les agitations du 4 mai 1919, faisait la promotion d'un changement d'attitude. La question de la formation d'un clergé chinois ne fut pourtant vraiment répondue qu'à partir du pontificat de son successeur.

95 Le Parti communiste chinois fut clandestinement formé à Shanghai en juillet 1921. Chen Duxiu, l'un des

intellectuels chinois réputés du mouvement du 4 mai 1919, était le premier secrétaire général du Parti. À propos de ce mouvement de contestation, veuillez consulter Marie-Claire Bergère et Tchang Fou-jouei, Sauvons la Patrie: le

nationalisme chinois et le mouvement du 4 mai 1919, Paris, Publications orientalistes de France, 1977, pp. 7-16.

96 Méthode de l'apostolat moderne en Chine, un guide publié en 1911 pour former les missionnaires partant en Chine,

expose, en effet, plusieurs arguments qui justifiaient à l'époque l'infériorité des Chinois et l'incapacité des prêtres chinois à diriger l'Église de Chine. Le chapitre III de l'ouvrage contient plus de deux cents pages sur les faiblesses alors attribuées à la société chinoise. Louis Kervyn, Méthode de l'apostolat moderne en Chine, Hong Kong, Imprimerie de la Société des missions étrangères, 1911, pp. 132 à 370. Notons que l'ouvrage rappelait la position du Saint-Siège lors du Concile du Vatican I (1870). Le Saint-Siège avait alors constaté le manque d'éducation religieuse des prêtres chinois et leur incapacité à gérer l'Église de Chine sans l'aide d'une assistance étrangère. Louis Wei Tsing-sing, Le Saint-Siège et la Chine: de Pie XI à nos jours, Sotteville-lès-Rouen, A. Allais, 1971, p. 127.

97 À propos de la formule « La Chine aux Chinois et les Chinois au Christ », voir Léopold Levaux, Le Père Lebbe,

La nomination de Mgr. Celso Costantini (1922-1933) comme premier délégué apostolique de Chine fut la première décision que le Pape Pie XI prit pour superviser l'Église de Chine sans l'intermédiaire des ambassades européennes et rappeler aux supérieurs de mission leur devoir de former des prêtres chinois. Pie XI mandata sans attendre la tenue d'un premier concile de Chine dans le but de clarifier les grandes lignes de la stratégie missionnaire en Chine. Il tenait à ce que Mgr. Louis Tcheng et Mgr. Melchoir Suen, deux préfets apostoliques chinois nouvellement nommés, soient présents à l'événement. Ouvert à Shanghai en 1924, et organisé en partie dans la concession française à Zikawei, le Concile de Shanghai réaffirma l'importance de fonder des séminaires de qualité en Chine pour former un clergé chinois d'élite devant prochainement assumer la plupart des postes de direction des missions chinoises. Chaque supérieur de mission devait faire sa part98.

Six candidats chinois, incluant Mgr. Tcheng et Mgr. Suen, furent accompagnés à Rome par Mgr. Costantini afin d'être officiellement sacrés évêques par Pie XI en octobre 1926. Quatre d'entre eux, dont le Jésuite chinois Mgr. Simon Tsu, furent attitrés à de nouveaux vicariats. Les deux autres demeuraient supérieurs de la préfecture apostolique dont ils avaient reçu les responsabilités respectivement en 1923 et en 192499. L'encyclique Rerum Ecclesiae (1926) clarifia, ensuite, la place du clergé chinois dans l'Église de Chine

en affirmant que ce dernier était égal aux missionnaires étrangers100.

Afin d'assurer le succès de sa politique, le Saint-Siège souhaitait établir des relations diplomatiques avec le gouvernement chinois que le Généralissime Jiang Jieshi, et son Armée nationale révolutionnaire, unifia autour de la ville de Nanjing en 1928.

98 Paul Wang Jiyou, Le premier concile plénier chinois (1924): droit canonique missionnaire forgé en Chine, Paris,

Éditions du Cerf, 2010, pp. 249-259.

99 Il faut peser à sa juste mesure l'intérêt de Pie XI pour l'Église de Chine: il s'agissait des premières nominations

d'évêques non-européens depuis Mgr. Lo en 1674. Voir Louis Wei Tsing-sing, op. cit., p. 130. Pie XI, « Lettre Ab ipsis aux évêques de Chine. La vérité sur les intentions de l'Église en Chine (juin, 1926) », Le Siège apostolique et

les missions, op. cit., pp. 97-100. Paul Wang Jiyou, Ibid., p. 240.

100 Pie XI, « Encyclique Rerum Ecclesiae: Le développement à donner aux missions (fév., 1926) », Le Siège

Mgr. Costantini et son successeur, Mgr. Mario Zanin (1933-1946), formèrent des délégations pour superviser l'Église de Chine, mais l'attaque de l'armée nipponne sur la Mandchourie en 1931, puis sur Shanghai en 1932, et la guerre sino-japonaise (1937-1945) retardaient les négociations. Jiang Jieshi priorisait la question militaire. Afin de repousser l'envahisseur nippon, le Généralissime avait été contraint en 1936 à accepter une coopération stratégique temporaire entre son armée et l'Armée rouge du Parti communiste chinois, et des relations diplomatiques n'étaient établies entre le gouvernement de Nanjing et l'État du Vatican qu'en 1943. La nomination de Mgr. Antonio Riberi comme premier nonce apostolique de Chine était retardée pendant trois autres années101.

À la faveur de ce rapprochement, le Saint-Siège déclara prématurément l'Église de Chine autonome et officialisa une nouvelle hiérarchie épiscopale que le premier cardinal chinois, Mgr. Thomas T'ien, dirigeait dès 1946. Les 34 dernières préfectures apostoliques qui avaient été organisées en Chine depuis 1926 restèrent inchangées. Par contre, 79 des 99 vicariats apostoliques qui couvraient la Chine à la fin de la guerre sino-japonaise furent alors élevés au statut de diocèse supervisé par 20 nouveaux archidiocèses. Or, plusieurs administrations de territoires ecclésiastiques chinois étaient encore financièrement dépendantes de la charité de bienfaiteurs étrangers pour poursuivre leurs projets102. De plus,

l'organisation de la nouvelle hiérarchie épiscopale de l'Église de Chine était bousculée par la guerre civile qui, dès le retrait de l'armée nipponne, divisa le territoire chinois entre les forces du gouvernement de Nanjing et celles du Parti communiste chinois103. Les relations

101 Mgr. Costantini devint secrétaire de la Sacrée Congrégation de la Propagation de la Foi en 1933. Jiang Jieshi, dont la gouvernance était très critiquée par les observateurs internationaux, aurait accepté d'établir des relations diplomatiques avec le Saint-Siège afin d'assurer le support international à sa cause. L'État du Vatican venait d'ailleurs tout juste d'établir des relations diplomatiques avec l'État du Japon (1942). Louis Wei Tsing-sing, op. cit., p. 144. Précisons que l'État japonais était officiellement entré en guerre contre les Alliés à partir de son attaque sur Pearl Harbor, aux États-Unis, en décembre 1941 et que la Chine se positionnait du côté des Alliés. Les Alliés sont les nations unies contre l'Axe (Allemagne, Italie et Japon) lors de la Seconde Guerre mondiale. Les États-Unis, la Russie et le Royaume-Uni en étaient les trois principaux dirigeants assistés par des entités politiques comme le Canada et la Chine.

102 Paul Wang Jiyou, op. cit., p. 23.

103 Depuis que les communistes avaient été chassés de Shanghai par le gouvernement de Nanjing en 1927, le Parti communiste chinois s'organisait dans les campagnes. Mao Zedong alimentait une partie du mouvement paysan dans la province du Hunan. Angus McDonald, « The Hunan Peasant Movement, Its Urban Origins », Modern China, vol. 1, no. 2 (avril, 1975), pp. 180-203. À la faveur de sa popularité auprès des paysans chinois, le Parti communiste chinois réalisa un premier projet de fédération autonome avec les zones qu'il avait sous son influence. Ce projet prit le nom de « République soviétique chinoise du Jiangxi » (1931-1937). Après sa destruction par l'Armée nationale révolutionnaire, les troupes communistes entreprirent la Longue Marche vers le Nord de la Chine, à Yan'an. C'est en chemin, à la conférence de ZunYi (au Guizhou), que la majorité des membres du Parti communiste chinois se sont

que les communistes entretenaient avec les missionnaires étaient très tourmentées. Leurs rencontres étaient parfois violentes. Quelques missionnaires ont été capturés et torturés. Les Églises chinoises ont déboursé des rançons lorsqu'elles l'ont pu pour libérer les prêtres captifs. Le marxisme-léninisme - et son dérivé chinois, le maoïsme - prônant la suppression de toutes les religions, des motifs idéologiques guidaient l'animosité de certains communistes. Rappelons que des Chinois très nationalistes pouvaient également considérer les missionnaires comme des représentants des pouvoirs coloniaux et les accuser d'avoir désorganisé la Chine depuis les guerres de l'Opium104.

En fait, les hostilités entre les missionnaires et les communistes étaient souvent partagées. Alors que le Saint-Siège brandissait l'encyclique anti-communiste Divini

Redemptoris, Mgr. Riberi organisait la Ligue de Marie pour contrebalancer la popularité du

maoïsme auprès de la population chinoise. L'association, active dans la majorité des provinces de Chine, et dont un embryon naissait au Xuzhou, avait l'apparence d'une rébellion pour le Parti communiste chinois qui prit la tête du pays en 1949. L'incompréhension quant au rôle de nonce officiellement invalide que Mgr. Riberi occupait auprès de l'Église de Chine et les troubles que ses directives causaient au Parti servaient d'arguments aux autorités de la nouvelle République Populaire de Chine qui expulsèrent les missionnaires de la Chine105.

Au moment de l'arrestation des premiers missionnaires par la police chinoise, l'Église catholique de Chine n'était pas en mesure d'assumer seule la direction spirituelle de ralliés à Mao Zedong et l'ont reconnu comme secrétaire général. La déclaration de guerre japonaise à la Chine força l'alliance des deux belligérants en 1936, mais leur lutte reprit dès le départ des troupes nipponnes. Jung Chang et Jon Halliday, Mao: l'histoire inconnue, Paris, Gallimard, 2006, pp. 79 à 178. Bai Shouyi, Précis d'histoire de

Chine: 1919-1949, Beijing, Éditions en Langues Étrangères, 1993, pp. 122-135.

104 Selon William T. Liu et Beatrice Leung, la position anti-chrétienne du Parti communiste chinois gagnait l'appui des populations chinoises puisque le christianisme, n'ayant pas réussi à s'adapter à la langue et à la culture chinoise, était considéré comme une religion étrangère. William T. Liu et Beatrice Leung, « Organizational Revivalism: Explaining Metamorphosis of China's Catholic Church », Journal of the Scientific Study of Religion, vol. 41, no.1 (mars, 2002), p. 123.

105 L'État du Vatican, qui avait établi des relations diplomatiques avec le gouvernement de Nanjing en 1943, ne reconnut pas le nouveau gouvernement chinois basé à Beijing. Le poste de nonce de Chine arriva donc prématurément à son terme. Lorsque le Parti communiste chinois repoussa le gouvernement de Nanjing sur l'île de Formose (Taiwan) en 1949, Mgr Riberi perdit officiellement sa fonction de représentant diplomatique en Chine continentale, mais il conservait officieusement une influence très grande auprès de l'Église de Chine. Les missionnaires répondaient massivement aux directives que Mgr. Riberi leur transmettait. Mgr. Riberi fut expulsé à Hong Kong par le Parti communiste chinois en septembre 1951. Louis Wei Tsing-sing, op. cit., pp. 177-178.

ses quelque 3 400 000 fidèles chinois. Si de nombreuses religieuses chinoises avaient été formées, seulement 35 supérieurs des 146 territoires ecclésiastiques de Chine étaient d'origine chinoise. Les missions catholiques avaient été implantées de force en Chine et leur direction avait été conservée par des communautés religieuses qui assuraient une grande partie du financement et qui se souciaient, en général, peu de la formation d'une relève chinoise. Les missionnaires supervisaient un personnel religieux de plus en plus nombreux, mais ils administraient des caisses vidées lors des guerres et devaient régulièrement recourir à la charité chrétienne internationale106. La situation de l'Église de

Chine était d'ailleurs également celle de l'Église chinoise du Xuzhou qui en formait une partie significative.