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Les éclaireurs canadiens de la province jésuite du Bas-Canada en Chine

CHAPITRE 2: LA PROCURE DES MISSIONS ÉTRANGÈRES DE CHINE:

2.1 Entre la province et la procure: vers la coopération pour la mission de Xuzhou

2.1.1 Les éclaireurs canadiens de la province jésuite du Bas-Canada en Chine

L'Académie de l'Immaculée-Conception était l'épicentre au Canada du rayonnement des activités des Jésuites attitrés au Xuzhou. Les missionnaires utilisaient son adresse postale, le 1855 rue Rachel à Montréal, pour transmettre des lettres à leurs parents et amis canadiens. L'institution chargeait un modérateur responsable de transmettre par le service postal la correspondance de Chine à ses destinataires et d'en reproduire des extraits pour remercier les bienfaiteurs. Gratifier les bienfaiteurs d'avoir contribué à la caisse personnelle de l'un des missionnaires canadiens était une pratique jugée digne des politesses élémentaires qui favorisait la récidive de l'action120. La rédaction et l'envoi, via Montréal, de

des missionnaires, Lavoie Joseph-Louis III (28 fév., 1925), p. 1.

118 Le terme « procure » réfère à un lieu administratif. Son procureur en est l'administrateur ou le trésorier. Dictionary of Jesuit Biography Ministry to English Canada, 1842-1987, Toronto, Canadian Institute of Jesuit Studies, 1991, p. XXV.

119 Le P. Lavoie raconte le récit de ce brigandage dont il fut victime en 1926. Voir Joseph-Louis Lavoie, Quand j'étais

chinois, Montréal, Les Éditions Bellarmin, 1961, pp. 139-150.

120 Les Jésuites du Québec étaient au Xuzhou sous l'autorité française jusqu'en 1931. Puisqu'ils demeuraient attachés à la province jésuite canadienne, ceux-ci pouvaient recevoir les aumônes canadiennes adressées à leur nom (attributions personnelles). Les goûts des bienfaiteurs pour motiver ce genre de don étaient, par contre, ma l connus par les missionnaires. Joseph-Louis Lavoie, Corr. au sup. provincial Louis Boncompain, AJC, M-0007, Cl. 3, Corr. III et dossiers personnels des missionnaires, Lavoie Joseph-Louis III (5 juin, 1925), p. 2.

« Lettres aux bienfaiteurs » adressées à tous les donneurs devenaient réguliers à partir de 1928. Le P. Georges Marin se chargeait généralement de la rédaction en français des relations qui étaient lues surtout au Québec dans le réseau de connaissances des missionnaires121.

La publicité pour la mission de Xuzhou se colorait de conférences qu'offraient les candidats destinés à la Chine. Initiées par les scolastiques Marin, Gagnon et Côté dès 1924 lors de leurs études à Montréal, les présentations étaient annuellement renouvelées. Animés de la passion qu'ils ressentaient pour leur vocation, les conférenciers cherchaient à convaincre les membres du clergé et les fidèles canadiens du bien-fondé de missionner outre-mer, même si le travail apostolique n'était pas terminé partout au Canada. Peu de matériel portant sur le Xuzhou était disponible au Québec avant 1931, mais ceux qui avaient déjà visité la Chine transmettaient des informations inédites pour les Canadiens qui étaient encore peu informés sur le géant asiatique et sur son peuple122. Des quêtes auprès

des paroissiens de plusieurs diocèses québécois étaient effectuées afin de remplir la caisse qui servait à payer les effets personnels et les billets de train et de bateau des missionnaires partant pour la Chine123. Les deux appareils de type « Kodak », que les Jésuites du Québec

possédaient, produisaient du matériel publicitaire prometteur que l'Académie était chargée de développer124.

Le projet de Xuzhou s'imbriquait parfaitement dans les directives pontificales de

Maximum Illud. Il servait de prétexte pour augmenter la publicité missionnaire et de sujet

de cette publicité auprès du grand public. Évangéliser le Xuzhou était présenté comme une 121 Rosario Renaud, Corr. à Georges Marin, AJC, M-0007, Cl. 7, no. 64 (16 oct., 1931), p. 2.

122 Les échanges existaient entre la Chine et le Québec depuis le XVIIe siècle, mais, durant la première moitié du

XXe siècle, les Canadiens étaient encore peu ou mal informés sur la Chine et sur les coutumes des Chinois. Serge

Granger, Le lys et le lotus. Les relations du Québec avec la Chine de 1650 à 1950, Montréal, VLB, 2005, pp. 13-28. 123 Les missionnaires prenaient souvent le train du Canadien Pacifique jusqu'à Vancouver, d'où ils embarquaient sur un

navire de l'Empire britannique avec des escales à Hawaï et au Japon avant d'atteindre Shanghai en Chine. Rosario Renaud, « Le Japon », Le Brigand, no. 40 (fév., 1936), pp. 5 à 8.

124 L'équipement photographique Kodak était disponible en Amérique du Nord dès la fin du XIXe siècle. Les Jésuites

prenaient de nombreux clichés à travers le monde grâce à l'appareil qui était très populaire pour son faible prix d'achat. Le développement des pellicules était par contre peu abordable et, pour inciter les missionnaires du Xuzhou à prendre davantage de photographies pour la publicité au Canada, Rosario Renaud, le modérateur de l'Académie, envoyait 0,25 cents en attribution personnelle pour chaque négatif. Rosario Renaud, Corr. à Arthur Tremblay, AJC, M-0007, Cl. 7, no. 64 (29 nov., 1931), p. 4.

contribution des catholiques canadiens-français à l'effort missionnaire mondial. L'histoire des Jésuites du Québec commandée au P. Édouard Lecompte mentionne l'apostolat au Xuzhou en 1925. Des ouvrages, comme La Chine à Dieu: une mission canadienne, le Siu-

Tchou-Fou (1925) et Canadiens en Chine: croquis du Siutchoufou. Mission des Jésuites du Canada (1930), rédigés par les PP. Georges Marin et Édouard Lafortune, ont concentré les

premiers appels au financement et au recrutement lancés aux Canadiens pour la mission chinoise125.

La Compagnie de Jésus possédait au Canada des revues de culture générale, d'études scientifiques, de piété, de collèges et de missions par lesquelles la visibilité du projet de Xuzhou grandissait. Le Messager canadien, une parution jésuite transcanadienne, soulignait les premiers efforts des missionnaires en Chine. Les périodiques Le Semeur et La

Nouvelle étaient d'autres médiums que la province jésuite du Bas-Canada mettait à la

disposition des Jésuites œuvrant au Xuzhou. La semaine missionnaire de Joliette offrit en 1927 une tribune exceptionnelle au P. Georges Marin qui y raconta les conditions de l'apostolat auprès des Chinois.Xuzhou était le sujet de rencontres de l'Union missionnaire du clergé et de cercles missionnaires organisés au Canada par les Jésuites126.

Malgré tout, de nombreux préjugés envers les Chinois, que les Canadiens entretenaient, défiaient les fraîches sympathies pour la mission étrangère. Des récits de voyage inspirés de l'Empire du Milieu du XIXe siècle avaient auparavant diffusé au Canada

l'image populaire d'une Chine en pleine décadence et cette représentation mentale défavorable auprès des Canadiens motivait l'indifférence face au projet de Xuzhou127.

125 Édouard Lecompte, Les Missions modernes de la Compagnie de Jésus au Canada (1842-1924), Montréal, Messager canadien, 1925, pp. 74 à 76. Georges Marin, La Chine à Dieu: une mission canadienne, le Siu-Tchou-Fou, Montréal, Procure de la Mission de Chine, 1925, pp. 1-2. Édouard Lafortune, Canadiens en Chine: croquis du Siutchoufou.

Mission des Jésuites du Canada, Montréal, L'Action Paroissiale, 1930, p. 5-7.

126 Rosario Renaud souligne que la publication Le Semeur destinait parfois des articles de 1500 mots à la publicité missionnaire du Xuzhou. La Nouvelle, qui acceptait de publier sur la mission chinoise, s'adressait presque exclusivement aux Jésuites du Canada. Rosario Renaud, Corr. à Georges Marin, AJC, M-0007, Cl. 6, no. 54 (30 janv., 1932), pp. 5-7. Archange Godbout et al., La semaine missionnaire de Joliette, 4 au 10 juillet 1927, op. cit., pp. 265-281. Joseph-Louis Lavoie, Corr. au sup. provincial Louis Boncompain, AJC, M-0007, Cl. 3, Corr. III et dossiers personnels des missionnaires, Lavoie Joseph-Louis III (5 juin, 1925), p. 3.

127 Les récits des missionnaires du XIXe siècle témoignaient très négativement de la Chine et de ses habitants. Ils

alimentaient le sentiment anti-asiatique au Canada. À propos des préjugés des Canadiens envers les Chinois durant

la première moitié du XXe siècle, voir Constance Backhouse, Colour-Coded: a Legal History of Racism in Canada,

Dès son retour au Canada en 1928, le P. Lavoie s'appliquait activement à dénoncer les préjugés anti-asiatiques par la rédaction de lettres et par la présentation de conférences sur la Chine. Ancien curé de la paroisse de Howkiachwang, il connaissait bien les besoins de la jeune Église du Xuzhou et il souhaitait les faire connaître au Canada pour qu'ils soient comblés. Puisqu'il était reconnu pour son talent à convaincre les bienfaiteurs, le supérieur provincial François-Xavier Bellavance (1927-1932) lui assigna le poste encore vacant de procureur de la mission de Xuzhou. Le P. Lavoie n'était ni un administrateur ni un homme d'affaires, mais il apparaissait comme le candidat idéal pour animer la publicité en faveur du projet et pour favoriser la cueillette des aumônes afin de le financer128.

La localisation d'une procure à la charge de la province jésuite du Bas-Canada devait succéder à la nomination du P. Lavoie. La croissance économique, qui favorisait la condition de vie des Canadiens depuis 1919, permettait la projection d'une augmentation constante des recettes en aumônes capable d'absorber les frais de l'achat d'un local. Toutefois, le Grand Krach boursier qui survint aux États-Unis en octobre 1929 renversa cette anticipation. L'inflation diminua la demande immobilière et encouragea la spéculation chez les investisseurs. La crise économique étouffa la générosité des bienfaiteurs et les aumônes, qui étaient la principale source des recettes de la province jésuite du Bas-Canada, ne suffisaient pas à combler l'achat prévu d'un local129.

Le P. Lavoie était un procureur sans procure. Puisque la province jésuite ne lui désignait pas d'endroit, le procureur occupait, entre temps, une pièce de la maison Loyola au 14 rue Dauphine, la maison mère de la Compagnie de Jésus à Québec. Cette résidence jésuite remplissait un rôle central dans la vie sociale des citoyens catholiques. La chapelle qui y était affiliée était ouverte au public depuis 1820 et de nombreuses confessions y étaient entendues chaque mois130. Le supérieur de l'endroit, le P. Sheehy (1927-1931),

Consolidating a White's Man Province, 1914-1941, Vancouver, UBC Press, 2003, 334 p.

128 Rosario Renaud, Le diocèse de Süchow, Chine, op. cit., pp. 26-27 et 48.

129 La Compagnie de Jésus au Canada, 1842-1942: l'œuvre d'un siècle, op. cit., pp. 80-110. 130 Ibid., p. 106.

accueillit le P. Lavoie, mais les projets pour la Chine ne devaient pas nuire à la vie religieuse de la maison. La préfecture apostolique de Xuzhou devenait la propriété des Jésuites du Québec le 23 juin 1931. Le temps pour financer l'entreprise était compté.