• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 3: LES JÉSUITES DU QUÉBEC ET LA COMMUNAUTÉ CATHOLIQUE

3.3 Traité de missiologie: les obstacles à l'évangélisation du Xuzhou

3.3.1 Des séries de calamités naturelles

Les Jésuites du Québec constataient que la précarité de la condition de vie des fidèles du Xuzhou les rendait incapables de contribuer à l'Église et à ses institutions. Une population très dense de six millions pour un territoire qui « […] ne comblerait pas l'espace qui sépare Montréal et Québec » aggravait la pauvreté au Xuzhou303. L'agriculture était

l'occupation principale des habitants de la région et chaque famille paysanne, qui avait en moyenne trois acres de terre, récoltait tout juste le nécessaire pour se nourrir. La quête de

Cl. 6, no. 153 (1943), p. 34.

subsistance encourageait le développement d'améliorations techniques, mais les systèmes d'irrigation étaient presque absents au Xuzhou304.

Les Jésuites du Québec témoignaient de l'endettement que la majorité des paysans accumulait lors des années de mauvaises récoltes pour acheter du grain dont le prix fluctuait selon la spéculation des grands investisseurs305. Mgr. Côté expliquait aux

bienfaiteurs: « Lorsque les récoltes sont bonnes la population y vit mais ne s'enrichit pas »306. Les chemins de fer qui se croisaient à la ville de Xuzhou, ainsi que le Grand Canal,

favorisaient la commercialisation des produits agricoles sur les marchés urbains. La migration des denrées vers les centres en développement limitait la quantité des réserves alimentaires conservées sur place pour les périodes de mauvaises récoltes. L'absence de provision de secours devenait mortelle aux moments d'imprévus climatiques307.

Une inondation majeure ravagea le Xuzhou en 1931. L'observatoire météorologique des Jésuites français à Zikawei avertit les Jésuites du Québec de pluies torrentielles amenées par des typhons venus du Sud. Le fleuve Yangzi brisa les digues mal entretenues du Grand Canal, déborda, puis passa au travers du Xuzhou. Presque toutes les récoltes furent perdues sur le territoire ecclésiastique. Les bâtiments des paroisses de Fenghsien, Howkiachwang, Peihsien, Pihsien, Taitaolow, Tangshan, Tasukia, Wutwan et Yushan furent les plus endommagés. Quelques chapelles, églises et écoles furent emportées par les eaux. Mgr. Marin évalua à entre 3000$ et 4000$ canadiens les pertes de l'Église308.

304 Georges Marin, Corr. à Eugène Mério, AJC, M-0007, Cl. 6, no. 55 (29 nov., 1932), p. 1. Rosario Renaud, Süchow:

diocèse de Chine, Montréal, Bellarmin, 1955, pp. 27-34. Selon Smil, la diète chinoise dépendait à 90% sur des

céréales ou sur le riz. La moyenne de la consommation quotidienne d'un paysan des années 1930 était de 2.000 à 2.100 calories, ce qui était tout juste le nécessaire pour vivre. Vaclav Smil, « China's Food: Availability, Requirements, Composition, Prospects », Food Policy, Vol. 6, no. 2 (1981), p. 69. La région du Xuzhou était également occupée de quelques industries. Shenwen Li, « Les jésuites canadiens-français et leur mission en Chine, 1918-1945 », op cit., p. 331.

305 Philippe Côté, Corr. au sup. provincial Adélard Dugré, AJC, M-0007, Cl. 2, Corr. III et dossiers personnels des missionnaires, Côté Philippe VIII (27 mai, 1936), p. 1. Au sujet de la situation économique dans les villes du Nord de la Chine, voir Ramon H. Myers, « North China Villages During the Republican Period: Socioeconomic Relationships », Modern China, vol. 6, no. 3 (juil., 1980), pp. 256-258.

306 Philippe Côté, « Lettre aux bienfaiteurs », AJC, M-0007, Cl. 2, Côté Philippe II (28 oct., 1936), p. 3.

307 Georges Marin, « Lettre aux bienfaiteurs », AJC, M-0007, Cl. 6, no. 54 (26 mars, 1932), pp. 3-5.Selon Wright, plus

la région était proche des chemins de fer et des centres de liquidation des produits, moins le grain était stocké. Tim Wright, « Distant Thunder: The Regional Economies of Southwest China and the Impact of the Great Depression »,

Modern Asian Studies, vol. 34, no. 3 (juil., 2000), p. 700.

Une situation semblable accueillit la consécration de Mgr. Côté en 1935: « Peihsien a trois ou quatre de ses chapelles de chrétientés dans l'eau; tous les murs en terre sont tombés. [...] des villages entiers où nous n'avons pas de chapelles sont complètement détruits. Il y a un pied d'eau dans l'enclos de la résidence à Tasukia »309. Les Jésuites du

Québec allèrent en barques aider des victimes qui s'étaient réfugiées dans des arbres et sur les toits des chaumières. Les paysans durent attendre la fuite complète des eaux avant d'espérer une prochaine récolte plusieurs mois plus tard. Les pauvres furent condamnés à la disette, puis à la famine. Des épidémies de choléra, de malaria et de peste décimèrent un grand nombre d'entre eux. L'évêque lança un appel aux bienfaiteurs canadiens-français pour aider les victimes du désastre310.

Les transferts de la Procure de Chine s'élevèrent à 26 848,87$ et 33 353,49$ en 1935-1936 et en 1936-1937. Mgr. Haouisée lança une souscription aux missions chinoises voisines pour aider les habitants du Xuzhou. Le Saint-Siège donna 3000 yuans pour les inondés de la région. Les Jésuites du Québec utilisèrent la majeure partie de ces ressources pour venir en aide aux réfugiés. Mgr. Côte présidait le Suchow International

Relief Committee et plusieurs missionnaires secondaient la Croix-Rouge. Le P. Oscar

Doyon fut assigné à temps plein aux relations extérieures. Les curés multipliaient les aumônes pour répondre à la mendicité. Ils distribuaient aussi de la nourriture et des vêtements. Ces initiatives favorisaient la stabilité dans les campagnes chinoises du Xuzhou, mais elles étaient coûteuses311.

Marin, Corr. au sup. provincial F.-X. Bellavance, AJC, M-0007, Cl. 4, Marin Georges IV (3 mai, 1932), p. 5. Mgr. Marin compara le fleuve St-Laurent et le Grand Canal pour expliquer la raison des inondations au Xuzhou: « En Canada, l'on doit sans cesse creuser le St-Laurent. En Chine, on ne se préoccupe jamais des alluvions qui comblent peu à peu les canaux, l'on se contente de surélever continuellement des remparts sur chaque rive, au point qu'en certains endroits, le fond même du canal domine les contrées avoisinantes ». Georges Marin, « Lettre aux bienfaiteurs », AJC, M-0007, Cl. 6, no. 143 (déc., 1933), p. 4. Les paroisses affectées par l'inondation de 1931 étaient celles du Nord de la mission. Voir la carte du Xuzhou en annexe B.

309 Philippe Côté, Corr. au sup. provincial Adélard Dugré, AJC, M-0007, Cl. 2, Côté Philippe II (avril, 1936), p. 1. 310 Ibid., pp. 1-2. Philippe Côté, Corr. au sup. provincial Adélard Dugré, AJC, M-0007, Cl. 2, Côté Philippe II

(37 mai, 1936), p. 1.

311 Georges Marin, Corr. à J.-Louis Lavoie, AJC, M-0007, Cl. 6, no. 53 (5 oct., 1931), p. 2. Mgr. Côté identifia trois moyens principaux pour aider les victimes de l'inondation: construire des habitations, donner du grain pour la prochaine semence et distribuer de la nourriture. Philippe Côté, Corr. au sup. provincial Adélard Dugré, AJC, M-0007, Cl. 2, Côté Philippe II (avril, 1936), p. 2. Les Jésuites du Québec étaient également impliqués dans le

United Nations Relief Rehabilitation Association, le China Nation Relief Rehabilitation et le China Catholic Welfare Committee. Donat Gariépy, « Lettres annuelles de Suchow pour l'année 1946-1947 », AJC, M-0007, Cl. 6, no. 157

Plusieurs paroissiens demeuraient dans la misère durant la guerre sino-japonaise. Le coût de la vie augmenta en Chine et les papiers-monnaies de trois gouvernements différents étaient en circulation au Xuzhou. Une forte dévaluation de la monnaie d'argent força un retour temporaire à la pratique du troc. Le blé, qui avait une valeur plus stable, servit de moyen d'échange et de salaire. Des fidèles souffraient de privations s'ils contribuaient aux catéchuménats et aux écoles catholiques. La plupart du temps, c'était plutôt les Jésuites du Québec qui donnaient les aumônes. Mgr. Côté témoigne: « Ils aiment le missionnaire. C'est à lui qu'ils viennent dans toutes leurs difficultés. Mais comme ils sont presque toujours aux prises avec la misère ils deviennent, inconsciemment, à charge »312. Les habitants du

Xuzhou se tournaient vers les Jésuites du Québec lorsqu'ils avaient besoin d'assistance. Alors que les gouvernements échangeaient leurs tirs en sol chinois, la jeune Église du Xuzhou était une institution rassurante.