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CHAPITRE 3: LES JÉSUITES DU QUÉBEC ET LA COMMUNAUTÉ CATHOLIQUE

3.3 Traité de missiologie: les obstacles à l'évangélisation du Xuzhou

3.3.3 Des brigands et des « Rouges »

La précarité de la condition de vie et l'instabilité du gouvernement motivaient le mécontentement et l'émergence de manifestations sociales de plus en plus violentes qui entraînèrent la militarisation de la paysannerie chinoise. La région du Xuzhou était réputée pour ses brigands. Ces derniers ciblaient principalement les riches propriétés, les caravanes marchandes, les cargaisons de ravitaillement et les bâtiments des missionnaires. Des rançonnages aux Jésuites du Québec évoquaient à l'occasion le souvenir de l'assaut subi par le P. Lavoie à Howkiachwang en 1926323.

321 Les Jésuites du Québec participèrent à l'organisation de zones de sécurité pour les réfugiés au Xuzhou afin de limiter les massacres de civils comme celui qui avait eu lieu à la ville de Nanjing en 1937. Aurélien Demers, « Sectio Fonghsien: Relatio annua 1941-1942 », AJC, M-0007, Cl. 6, no. 152 (1942), p. 1. Georges Marin, Corr. au sup. provincial Antonio Dragon, AJC, M-0007, Cl. 4, Marin Georges VII (8 sept., 1943), p. 1. Le P. Maurice Belhumeur fut envoyé comme bénévole pour aider des victimes à Shanghai. Voir John David Meehan, « Un îlot de refuge: la "Zone Jacquinot" et la guerre de Shanghai, 1937 », dans Shenwen Li et al., op. cit., p. 387.

322 Philippe Côté, « Relation annuelle 1942-1943 », AJC, M-0007, Cl. 6, no. 153 (1943), p. 20. Anonyme, « Sectio Tangshan, Relatio annua », AJC, M-0007, Cl. 6, no. 156 (juin, 1946), p. 3.

323 Les activités des brigands étaient endémiques dans les provinces chinoises du Zhili, du Shandong, du Henan et du Jiangsu. Bilingsley identifie cinq causes du banditisme sur la Grande Plaine chinoise: la géographie, la tradition militaire, la condition politique, la paupérisation de la société et la surpopulation. Phil Billingsley, Bandits in

Republic China, Stanford, Stanford University Press, 1988, pp. 5, 16, 20, 41 et 281. Selon Rosario Renaud, le

banditisme était un phénomène endémique incontournable au Xuzhou. Rosario Renaud, Süchow. Diocèse de Chine, Montréal, Éditions Bellarmin, 1955, pp. 385-412.

Le P. Henri Plamondon exprima la peur qu'il ressentit le 2 août 1932 lors d'une attaque sur Matsing qui lui coûta 500$ canadiens. Le Brigand lui accorda deux numéros pour récolter des aumônes auprès des bienfaiteurs canadiens-français afin de remplir sa cagnotte vidée324. Un autre brigandage avait lieu à Taitaolow où un catholique chinois fut

amené en justice pour avoir battu une présentandine et volé les effets personnels du curé d'une valeur de 50$ canadiens. Le suspect fut relâché par les autorités locales qui, peu intéressées par la cause, ne retinrent aucun motif pour le garder en prison. Des vols à main armée et des incendies criminels furent enregistrés à Tushan. Au début des années 1940, Mgr. Côté ajoute: « [les habitants] du village de Wangko notamment sont revenus à leurs instincts de pillards et ont à plusieurs reprises dans l'année dévalisé le Père »325. La

résidence paroissiale de Ta-miao fut complètement vidée en 1946. Attirés par la valeur du matériel de l'Église, les bandits s'attaquaient également à des catholiques démunis pour agrandir leurs rangs et élargir leur influence326.

La crainte que les brigands faisaient régner au Xuzhou motiva la renaissance de sociétés secrètes comme celle du « Grand Couteau » qui gagnaient la faveur de certains catholiques de la mission et nuisaient aux activités des Jésuites du Québec327. Des fidèles de

l'Église du Xuzhou, qui ne donnaient pas la dîme, financèrent, par contre, la construction d'une nouvelle pagode bouddhiste associée à la société secrète à Sutsien. Puisque des périphéries de la mission, comme Wangko, étaient sans service religieux catholique de 1938 à 1945, plusieurs catholiques, croyant au départ définitif des missionnaires, délaissèrent les pratiques chrétiennes qu'ils avaient apprises dans les catéchuménats. À leur 324 À ce sujet, voir la partie 2.2.2 du chapitre 2. Henri Plamondon, « Une histoire de brigands », Le Brigand, no. 24

(nov., 1933), p. 10. J.-Louis Lavoie, « Échos et variétés », Le Brigand, no. 25 (déc., 1933), p. 9. 325 Philippe Côté, « Relation annuelle 1942-1943 », AJC, M-0007, Cl. 6, no. 153 (1943), p. 19.

326 Plusieurs récits de brigandages sont relatés par la correspondance des Jésuites du Québec. Georges Marin, « Événements de janvier 1932 », AJC, M-0007, Cl. 6, no. 54 (1932), p. 2. Georges Marin, Corr. à J.-Louis Lavoie, AJC, M-0007, Cl. 4, Marin Georges II (10 avril, 1933), p. 2. Georges Marin, Corr. à J.-Louis Lavoie, AJC, M-0007, Cl. 6, no. 59 (29 mars, 1934), pp. 1-2. Philippe Côté, Corr. au sup. provincial Émile Papillon, AJC, M-0007, Cl. 2, Côté Philippe VIII (16 oct., 1938), p. 1. Donat Gariépy, « Lettre annuelle de Suchow pour l'année 1946-1947 », AJC, M-0007, Cl. 6, no. 157 (juil., 1947), p. 11.

327 Rosario Renaud explique que la société du Grand Couteau était hostile à l'Église. Ses membres se ralliaient au slogan « Mort aux étrangers et aux chrétiens! ». Rosario Renaud, Süchow: diocèse de Chine, op. cit., pp. 171-191. Pour davantage de réflexions sur les relations entre les bandits et les sociétés secrètes, veuillez consulter R.G. Tiedemann, « The Persistence of Banditry: Incidents in Border Districts of the North China Plain », Modern China, vol. 8, no. 4 (oct., 1982), p. 414.

retour au Xuzhou après leur internement à Shanghai, les Jésuites du Québec constatèrent avec regret que d'autres avaient aussi complètement renié l'Église catholique pour embrasser le marxisme-léninisme328.

Le communisme fit son entrée au Jiangsu à la faveur de l'alliance anti-japonaise conclue en 1936 entre l'Armée nationale révolutionnaire et l'Armée rouge. Le Parti communiste chinois gagna rapidement la collaboration des paysans au Xuzhou. Il supervisa d'abord des regroupements dans quelques villages du territoire ecclésiastique, puis, lorsque la guerre sino-japonaise tirait à sa fin, il commanda l'occupation graduelle de la région. L'Armée nationale révolutionnaire et l'Armée rouge s'affrontèrent au Xuzhou dès 1946 et y endommagèrent des biens de la mission canadienne-française. L'Armée nationale révolutionnaire résista à partir des villes de Tangshan et de Xuzhou329.

À mesure que les communistes progressaient au Xuzhou, les Jésuites du Québec racontent les nombreuses démolitions qui étaient organisées pour supprimer la propriété privée et la religion. Plusieurs furent dirigées contre l'Église. Les murailles des terrains du territoire ecclésiastique furent systématiquement démolies. La paroisse de Yentow fut complètement rasée. Les paroisses de Fenghsien, de Howkiachwang et de Wangko furent pillées. D'autres chapelles et écoles furent détruites330.

Les institutions de l'Église du Xuzhou, qui furent sauvées par les interventions des fidèles, des prêtres chinois, des présentandines et des missionnaires, opéraient dans l'incertitude. Des propagandistes bruyants interrompaient des cérémonies religieuses. L'église de P'ihsien fut convertie en poste de télécommunication coordonnateur des attaques de l'Armée rouge sur la ville de Xuzhou. Le désarroi était total chez les Jésuites du Québec lorsqu'ils apprirent qu'un catéchiste utilisait les locaux du diocèse pour offrir des leçons 328 Philippe Côté, « Relation annuelle 1942-1943 », AJC, M-0007, Cl. 6, no. 153 (1943), p. 8. Plusieurs noms de Chinois catholiques figuraient sur la liste des bienfaiteurs du temple bouddhiste érigé à Sutsien. Charles Freuler, « Sectio Yaowan: Relatio annua 1947-1948 », AJC, M-0007, Cl. 6, no. 158 (1948), p. 1.

329 Des paroisses comme celle de Tushan étaient politiquement et économiquement gouvernées par les communistes depuis 1941. À propos des batailles majeures au Xuzhou, voir Jacques Langlais, op. cit., pp. 72-78.

330 Philippe Côté, Corr. au sup. provincial Antonio Dragon, AJC, M-0007, Cl. 2, Côté Philippe VIII (20 nov., 1945), pp. 1-7.

gratuites de marxisme-léninisme. Plusieurs jeunes catholiques, qui avaient été baptisés, n'avaient pas été informés de leur appartenance à l'Église du Xuzhou. Selon Mgr. Côté, leurs parents, souvent affamés, avaient rejoint les communistes pour recevoir de la nourriture. Plusieurs catholiques envoyaient leurs enfants aux écoles des « Rouges » parce qu'ils étaient déjà taxés pour ce service. Selon les missionnaires, plusieurs fidèles avaient adhéré aux préceptes marxistes-léninistes par conformisme social. Certains étaient même encouragés à faire du tort au clergé du Xuzhou331.

Des menaces dirigées contre l'Église catholique effrayaient les candidats à la vie religieuse au Xuzhou. La capture, puis la torture, d'un prêtre chinois attitré au vicariat de Nankin, le P. Joseph-Paul Siu, inquiéta les Jésuites du Québec en 1943. L'assassinat de deux Franciscains de la nouvelle mission de Yaowan leur annonça le pire. Ébranlés, les missionnaires accompagnèrent des catéchumènes, des étudiants et des aspirants à la vie religieuse vers des lieux qu'ils jugeaient plus sûrs: les villes de Tangshan et de Xuzhou332.

La paroisse de Tangshan tomba aux mains de l'Armée rouge en novembre 1947 et elle fut aussitôt bombardée par l'Armée nationale révolutionnaire qui souhaitait récupérer son bastion. L'institution chargée de la formation des présentandines, le Collège Saint- Augustin, succomba aux tirs de nombreux obus avant de s'écraser, déchirée, complètement détruite par le feu. Le P. Eugène Audet relate dans Le Brigand: « Un long gémissement nous arrive du Suchow... Le "dragon rouge" vient de cracher son venin de feu sur toute la partie ouest de notre mission »333. La ville de Xuzhou fut, ensuite, rapidement conquise par

l'Armée rouge et toutes les institutions de l'Église du Xuzhou furent paralysées.

331 Le gouvernement communiste recrutait des catéchistes et des professeurs qui avaient été formés par les Jésuites du Québec. Plusieurs reniaient leur foi catholique pour obtenir un emploi. Philippe Côté, « Relation annuelle 1942-1943 », AJC, M-0007, Cl. 6, no. 153 (1943), pp. 13-15. Philippe Côté, Corr. au sup. provincial Antonio Dragon, AJC, M-0007, Cl. 2, Côté Philippe VIII (20 nov., 1945), pp. 1-7. La prédication dans les campagnes était difficile et les routes étaient dangereuses. L'ouverture d'écoles communistes dans les locaux des écoles missionnaires entravait l'enseignement de la doctrine catholique. Hubert Mounier, « Sectio Yaowan: Relatio

annua 1945-1946 », AJC, M-0007, Cl. 6, no. 156 (1er juin, 1946), pp. 3-4.

332 Le P. Holzun Augustin et son catéchiste chinois avaient été capturés en 1945. Hubert Mounier, « Sectio Yaowan: Relatio annua 1945-1946 », AJC, M-0007, Cl. 6, no. 156 (1 juin, 1946), p. 1. L'année suivante, il fut tué avec le F. Benoit Jansens. Maurice Lamarche, Corr. à Philippe Côté, AJC, M-0007, Cl. 2, Côté Philippe II (1946), p. 3. 333 Un numéro complet de la revue missionnaire des Jésuites du Québec fut dédié au récit de la prise de la paroisse de

Tangshan. Des photographies témoignant de la destruction complète des bâtiments ont été reproduites dans Eugène Audet, « La prise de Tangshan », Le Brigand, no. 109 (janv., 1948), pp. 4-18.

La perte du Collège Saint-Augustin fut évaluée à 100 000$ américains. En excluant les dettes et les frais de réparations datant de l'occupation japonaise qui avaient déjà coûté énormément à la Procure de Chine, les dégâts que Mgr. Côté attribuait aux brigands et à la progression des communistes au Xuzhou équivalaient à environ 250 000$ américains. La grande générosité des bienfaiteurs canadiens-français et la coopération de la province jésuite du Bas-Canada permettaient à la Procure de Chine de transférer des montants impressionnants de 1945 à 1949. Par contre, les pertes que les Jésuites du Québec ont calculées ont dû être comblées par une grande partie des 821 929$ canadiens envoyés par la Procure de Chine pour la même période. Autrement dit, l'Église du Xuzhou demeurait financièrement dépendante de ses bienfaiteurs canadiens-français pour rebâtir sur les ruines de ses institutions. De plus, son clergé chinois était peu nombreux334.

***

Les transactions de la Procure de Chine étaient la source principale du financement des activités missionnaires des Jésuites du Québec pour la consolidation de l'Église du Xuzhou entre 1931 et 1949. La dot du territoire ecclésiastique de Nankin était exceptionnellement donnée en tranches englouties dans les réparations des bâtiments de la mission entre 1934 et 1944. La Sacrée Congrégation de la Propagation de la Foi ne contribuait que tardivement à la mission de Xuzhou et les subventions octroyées par les conseils pontificaux étaient affectées par la crise économique et par une plainte retenue contre le clergé canadien. Puisque les transactions internationales étaient contrôlées par l'armée nipponne durant la guerre sino-japonaise, le vicariat de Xuzhou était contraint à l'endettement.

L'épisode de l'internement des Jésuites du Québec à Shanghai pendant près de deux ans démontre que l'Église du Xuzhou n'était pas prêtre à l'autonomie. La majorité des fidèles menait une vie précaire facilement ébranlée par les imprévus climatiques et 334 Philippe Côté, Corr. à Thomas Clayton Davis, AJC, M-0007, Cl. 2, Côté Philippe II (6 janv., 1948), p. 1. Rapport

l'instabilité politique. Quelques-uns adoptaient le banditisme comme mode de vie pour subsister. D'autres rejoignaient les sociétés secrètes ou les communistes.

Les Jésuites du Québec investissaient une grande partie de leur budget dans les institutions d'enseignement supérieur du territoire ecclésiastique. Ils espéraient doubler les résultats des catéchuménats, attirer les jeunes du Xuzhou vers la religion et contrer l'influence du marxisme-léninisme. Ils administraient un système scolaire important. Alors que quelques écoles trouvaient des bienfaiteurs chinois peu intéressés par la religion pour payer les frais de scolarité des enfants, les collèges du Xuzhou furent modernisés grâce à la collaboration de la province jésuite du Bas-Canada. La formation continue des candidats en religion retardait jusqu'à la fin des années 1930 puisqu'il était difficile d'enregistrer les terrains de l'Église du Xuzhou et de dédier un poste budgétaire pour un séminaire. Avant d'être regroupés dans des classes du Collège Saint-Louis-de-Gonzague, les aspirants et les aspirantes à la vie religieuse étaient formés dans les missions voisines grâce à des bourses comblées par des bienfaiteurs canadiens-français. Le Collège Saint-Augustin, qui fut dédié à la formation des présentandines en 1939, fut brulé en 1947. Le séminaire de Xuzhou, qui ouvrit en 1938, ne forma que quelques prêtres avant d'être conquis par l'Armée rouge.

Quatorze Jésuites du Québec, incluant Georges Marin, Rosario Renaud et Émile Muller, furent forcés à quitter la région du Xuzhou en 1949. Trente autres partirent de la Chine alors que Mgr. Côté était emprisonné à deux reprises. Le P. Joseph Courchesne évacua les quatre derniers Jésuites du Québec du Xuzhou en 1955.

CONCLUSION

Le financement pour la mission de Xuzhou provenait de la somme des interactions entre les directives pontificales, la ferveur de l'Église canadienne-française et les activités des Jésuites du Québec en Chine.

Membres d'une communauté religieuse impliquée auprès du Saint-Siège, les Jésuites du Québec répondaient au mouvement missionnaire alimenté par les discours pontificaux. Ils répondaient aux instructions de répandre le catholicisme en s'impliquant avec dévouement dans une mission en Chine. Ils favorisaient les démonstrations de la conscience missionnaire en rappelant régulièrement aux fidèles canadiens-français leurs devoirs chrétiens de prier, de se faire missionnaire et de donner l'aumône. Ils formaient de nombreuses recrues canadiennes-françaises et ils reconnaissaient la nécessité de former un clergé indigène pour assurer l'avenir d'une jeune Église comme celle du Xuzhou.

La Procure des Missions Étrangères de Chine fut fondée pour ravitailler la mission de Xuzhou dont les Jésuites du Québec acceptèrent la responsabilité en 1931. L'institution était le centre administratif qui recueillait les dons que de nombreux bienfaiteurs canadiens- français imprégnés de la conscience missionnaire catholique destinaient à l'Église du Xuzhou. Un musée d'art chinois et la revue missionnaire Le Brigand étaient les deux principales sources de recettes de la Procure de Chine. La publicité que ces derniers moyens permettaient favorisait la sympathie pour les Chinois, faisait connaître leur culture et informait les donneurs sur les activités apostoliques des Jésuites du Québec au Xuzhou. Ainsi, elle encourageait la récolte totale de plus de 1,4 million de dollars canadiens malgré les conditions défavorables de la crise économique mondiale des années 1930. Une partie de la somme couvrait les frais administratifs de la Procure de Chine. L'autre était investie. Avec la coopération de la province jésuite du Bas-Canada, plus de 1,1 million de dollars canadiens étaient transférés au Xuzhou par l'institution canadienne-française.

Les œuvres d'évangélisation des Jésuites du Québec, qui encadraient l'Église du Xuzhou, dépendaient en grande partie du financement transféré par la Procure de Chine. Les versements de la dot du vicariat français de Nankin étaient atypiques, les subventions de la Sacrée Congrégation de la Propagation de la Foi étaient exceptionnelles et les bienfaiteurs chinois étaient peu nombreux. Le blocus japonais sur les transactions internationales, les pillages et les destructions forçaient les Jésuites du Québec à l'endettement pour éviter les fermetures de catéchuménats et d'écoles. La collaboration entre le territoire ecclésiastique de Xuzhou et la province jésuite du Bas-Canada, ainsi que la partition de la section de Yaowan donnée aux Franciscains américains de la Californie, permettait aux Jésuites du Québec de concentrer les ressources de l'Église du Xuzhou dans ses collèges. La formation du clergé chinois du Xuzhou était retardée par l'impossibilité de bâtir des institutions décernées spécifiquement aux vocations religieuses. Comme ailleurs en Chine, les Jésuites du Québec formaient donc davantage de religieuses chinoises que de prêtres chinois.

Au moment où les Jésuites du Québec commençaient à quitter leur mission en 1949, l'Église du Xuzhou (y compris la mission de Yaowan) comptait 93 500 fidèles sur les quelque 3 400 000 catholiques de l'Église de Chine335. Durant les six années suivantes, le

Pape Pie XII nommait plus de 35 nouveaux supérieurs de mission d'origine chinoise pour combler les postes de direction abandonnés par des missionnaires expulsés. Mgr. Philippe Côté, qui était emprisonné à deux reprises du 23 avril au 1er juin 1949 et

du 5 décembre 1951 au 30 juillet 1953 sous le chef d'accusation d'avoir espionné pour l'État du Vatican, demeurait l'évêque de Xuzhou reconnu par le Saint-Siège jusqu'à son décès en 1970.

Le Parti communiste chinois imposa aux Églises chinoises le concept nationaliste de la « triple autonomie ». Il souhaitait que l'Église catholique de Chine devienne une Église nationale en ce sens qu'elle abandonne sa liaison avec l'État du Vatican en termes 335 Marie-Ina Bergeron, Le christianisme en Chine: approches et stratégies, Lyon, Chalet, 1977, p. 137. Œuvre de la

d'enseignement de la foi, de financement et d'administration336. En conséquence, le Parti

choisissait son propre clergé chinois qu'il recrutait en partie parmi les prêtres qui avaient été nommés par le Saint-Siège. De cette manière, le P. Thomas T'sien, qui avait été formé aux frais des Jésuites du Québec et ordonné prêtre en 1945, fut nommé évêque de Xuzhou par le Parti communiste chinois. Alors qu'une Église, dite souterraine, conservait son allégeance au Pape et à Mgr. Côté, une autre, dite officielle, continuait l'apostolat sous la supervision de Mgr T'sien en suivant les règles du Parti communiste chinois337.

Les biens de l'Église du Xuzhou, qui n'avaient pas été détruits, furent confisqués par le nouveau gouvernement chinois de Beijing. Plusieurs églises furent démolies et une grande partie des écoles catholiques furent réaménagées à la fin de la guerre civile chinoise sur le continent. Le Collège Saint-Louis-de-Gonzague fut récupéré pour ouvrir l'École secondaire supérieure IV de la ville de Xuzhou en 1951. Les institutions de l'Église du Xuzhou encore actives ne pouvaient plus recourir au financement international. La procure de Shanghai fut fermée suite au décès du P. Adrien Sansoucy en 1951. Le P. Louis Bouchard, le procureur de la Procure de Chine de Montréal, effectuait des transferts monétaires jusqu'en 1955 pour aider les prêtres chinois clandestinement actifs au Xuzhou, mais les fonds ne passaient pas au-delà de Hong Kong ou de Macao puisque la police communiste les interceptait comme du ravitaillement pour la Ligue de Marie. Les transactions entre le Québec et le Xuzhou furent finalement complètement interrompues l'année suivante. L'entente qui avait été signée entre le territoire ecclésiastique de Xuzhou et la province jésuite du Bas-Canada en 1947 fut annulée la même année par le supérieur provincial Gérard Goulet338.

336 Selon William T. Liu, le mouvement de la « triple autonomie » était dirigé par le Parti communiste chinois spécifiquement contre l'Église catholique de Chine puisque la légitimité du corps ecclésiastique catholique réside dans sa reconnaissance par le Saint-Siège et que de déclarer une Église locale indépendante de l'Église universelle dirigée par le Vatican équivaut à la pousser à rejeter la foi catholique. William T. Liu et Beatrice Leung, « Organizational Revivalism: Explaining Metamorphosis of China's Catholic Church », Journal of the Scientific

Study of Religion, vol. 41, no.1 (mars, 2002), p. 124.