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d) Theosis et théognosie

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 70-74)

Si la connaissance de Dieu exige nécessairement une naissance dans sa vérité, c’est parce que tout ce que Dieu peut nous révéler de lui-même le révèle dans sa vie qui est à elle-même sa propre vérité. En nous engendrant en lui, Dieu nous plonge dans son voir intérieur, là où sa vie s’éprouve voyante d’elle-même et connaissante d’elle-même.

Connaître Dieu intérieurement, c’est le connaître, là où il ne cesse de jouir du bonheur de se goûter lui-même d’une manière absolue. Il s’ensuit que l’homme ne peut vivre que dans la mesure où Dieu lui donne la possibilité de le voir mystiquement et de vivre de cette vision même. C’est dans le même voir que Dieu se voit lui-même que l’homme devient une vision habitée par la révélation de Dieu et la profondeur de sa vie même.

Si le Fils unique est capable de voir le Père et de jouir éternellement de cette vision, c’est parce qu’il est engendré sans cesse dans la vie du Père. Voir le Père dans le Fils par l’Esprit, c’est voir, au sein de notre vie filiale et spirituelle, la profondeur de sa vie et de sa révélation intérieure, invisible et pathétique. C’est dans notre passion filiale que Dieu nous fait vivre de sa vision intérieure même. Il s’ensuit que toute connaissance de Dieu est une naissance mystique en lui et une révélation qui a la profondeur même du cœur de Dieu.

Saint Jean nous dit : « La vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ » (Jn 17, 3). La connaissance est vie dans la mesure où elle est une naissance filiale dans la vérité du Père qui nous est révélée dans toute sa plénitude dans le Fils96. Tous ceux qui vivent de ce rapport qui les fait être en Dieu, connaissent Dieu intérieurement et vivent de cette connaissance qui les divinise sans cesse. La connaissance de Dieu est divinisante, puisqu’elle est aussi vraie et agissante que la vie éternelle qui est Dieu lui-même97. Seul un fils peut vivre de ce qu’il connaît et peut

96 Clément d’Alexandrie identifie la connaissance authentique « à une grâce qui vient de Dieu par son Fils » (Stromates V, 11, 71) et à une source de vie qui jaillit du Père et du Fils, car « ne pas connaître le Père, c’est la mort, de même que le connaître c’est la vie éternelle » (Stromates, V, 10, 63).

97 Origène insiste sur le fait que notre connaître intérieur qui se dépouille de tout ce qui le trouble extérieurement saisit Dieu dans la pureté de sa vérité vivante. Origène s’exprime sur la vision divinisante

être ce qu’il connaît. Seul celui qui est né de Dieu écoute et connaît Dieu, puisqu’en engendrant l’homme vivant, le Père met en lui sa vérité. « La splendeur de Dieu, écrit Saint Irénée, est vivifiante : ceux qui voient Dieu reçoivent la vie. (…) De même que ceux qui voient la lumière sont dans la lumière et participent à sa splendeur. Car la splendeur de Dieu vivifie : ils participent à sa vie, ceux qui voient Dieu »98. « Dieu est lui-même la vie de ceux qui participent à lui »99. Pour voir Dieu, il faut vivre Dieu et pour le vivre, il faut que Dieu nous donne d’être vivants de sa vie, source de toute connaissance glorifiante et divinisante. Seul celui qui vit Dieu éprouve Dieu dans sa vérité même. « Il est impossible, nous dit Irénée, de vivre sans la vie, et il n’y a de vie que par la participation à Dieu, et cette participation à Dieu consiste à voir Dieu et à jouir de sa bonté »100. Voir la gloire de Dieu, c’est être glorifié en Dieu par cette gloire qui est Dieu lui-même. C’est pourquoi tout ce qui révèle Dieu en Dieu révèle de même l’homme à lui-même d’une manière intérieure. Et c’est dans cette révélation vivante que réside toute la gloire de Dieu dans l’homme. « La gloire de Dieu, déclare Irénée, c’est l’homme vivant, et la vie de l’homme, c’est la vision de Dieu : si déjà la révélation de Dieu par la création procure la vie à tous les êtres qui vivent sur la terre, combien plus la manifestation du Père par le Verbe procure-t-elle la vie à ceux qui voient Dieu »101. Seul celui qui vit est glorifié par la grâce d’être vivant, puisque vivre Dieu, c’est être glorifié en Dieu de cette même gloire divine qui constitue en nous notre splendeur intérieure.

Tout ce qui révèle Dieu en l’homme constitue la gloire de l’homme, cette gloire qui est l’effectuation de l’agir, du pouvoir et du connaître divins dans l’intériorité de l’homme vivant. « La gloire de l’homme, c’est Dieu ; (…) le réceptacle de l’opération de Dieu et

de Dieu ainsi : « L’intelligence « νους » qui s’est purifiée et élevée au-dessus de toutes les choses matérielles pour avoir une vision nette de Dieu, est déifiée par sa vision (εν oις θεωρει θεοποιειται) » (Origène, In Joannem, 32, 27, 17). Cette connaissance divinisante de l’homme découle nécessairement de cette union de l’homme à Dieu. « Il n’y aura plus, écrit Origène, qu’une seule occupation pour ceux, grâce au Verbe, sont parvenus jusqu’à Dieu, savoir celle de contempler Dieu, afin que, formés dans la gnose du Père, tous deviennent parfaitement fils, de même que maintenant seul le Fils connaît le Père (…). Personne, en effet, fût-il apôtre ou prophète, ne connaît le Père, s’il n’est pas devenu un avec lui, comme le Fils et le Père sont un » (Ibid., 1, 16; souligné par nous).

98 Saint Irénée de Lyon, Contre les hérésies, IV, 20 , 5-7.

99 Ibid., V, 7, 1.

100 Saint Irénée de Lyon, Contre les hérésies, p. 472.

101 Ibid., IV, 20, 7, p. 474. Rainer Maria Rilke formule cette même et unique vérité ainsi : « N’oubliez pas que vivre est gloire ».

de toute sa sagesse et de toute sa puissance, c’est l’homme »102. Gloire ne peut rien signifier d’autre que cette auto-révélation de la vie qui s’excède elle-même en elle-même et qui envahit de son éclat parousiaque toute épreuve singulière qui jaillit de son intériorité absolue vivifiante.

102 Saint Irénée de Lyon, Contre les hérésies, p. 372.

II. La connaissance absolue et l’essence de la vérité chez Maître Eckhart et Michel Henry

Michel Henry, à la suite de Maître Eckhart, ce mystique de l’excès, a accordé une importance majeure à la question de la connaissance originaire liée à la structure unitive de l’immanence et de l’absolu. Il suffit de lire les pages consacrées à cette question primordiale dans L’essence de la manifestation103 pour pouvoir mesurer l’ampleur et l’importance d’une telle question analysée phénoménologiquement d’une façon radicale.

Il y a, selon Maître Eckhart et Michel Henry, une co-appartenance originaire entre la vérité absolue dans son essence immanente divine et celui qui l’éprouve dans la profondeur de sa vie détachée, puisque la vérité ne peut pas se rapporter à elle-même dans l’absoluité de son essence que là où elle est éprouvée d’une façon vivante dans la pureté, l’unité et la simplicité. D’où, l’insistance sur le rapport d’identité réciproque qui rend possible le lien entre le connaître divin et celui humain pris dans leur essence vivante et nue. Et si Michel Henry a donné un poids phénoménologique exceptionnel à la méditation eckhartienne portant sur la connaissance absolue, c’est parce qu’elle révèle, à ses yeux, la structure unitive de l’immanence qui laisse venir la vérité radicale du divin dans l’humain selon un rapport pathétique sans faille. Parce qu’elle est la révélation intérieure de la vie qui se vit elle-même, l’essence de la vérité implique un excès de soi sur soi, l’excès de l’absolu identique à la manifestation surabondante de la vie immanente dans sa phénoménalité pure et son auto-accomplissement effectif pré-originaire.

Mais qu’est-ce qui fait que la vérité, dans son essence originaire, est notre vérité que nous éprouvons dans l’absolu et la nudité de l’essence ? Comment l’absolu se manifeste-t-il dans son essence immanente comme cette vérité ultime de soi ? Y a-t-il une hétérogénéité phénoménologique radicale entre le connaître divin et celui humain ? Qu’est-ce qui donne à l’homme la possibilité de recevoir la vérité de l’absolu dans toute son absoluité ? Et si toute révélation effective « est l’œuvre de l’absolu »104, dans quelle mesure ce qui se révèle

103 EM, p. 407-418; 532-556.

104 Ibid., p. 415.

comme l’absolu divin est-il capable de manifester à l’homme sa vérité dans son essence même ?

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 70-74)

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