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c) L’homme, fils de Dieu

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 194-197)

En méditant la vérité de l’homme telle qu’elle est définie dans le christianisme, Michel Henry, insiste, dans C’est Moi la Vérité, sur le fait que l’humanitas de l’homme ne peut être comprise à partir de sa capacité d’ek-sister dans l’ek-sister originaire de l’Être transcendant, puisque ce qui constitue l’humanité de l’homme n’est rien d’autre que sa vérité enfantée dans la vie immanente de Dieu. L’humanitas de l’homme vivant est essentiellement filiale. C’est pourquoi il y a une différence radicale entre l’homme qui vit Dieu comme son fils et l’homme compris comme être-au-monde situé dans cette ouverture originaire qui est le monde lui-même. Seulement dès que cet homme transcendantal chrétien identique à l’homme dont l’essence est d’être fils de Dieu est

« réduit à la « conscience de quelque chose », à l’In-der-Welt-sein, bref à son ouverture phénoménologique au monde, c’est-à-dire à l’ouverture phénoménologique du monde, ce qui constitue son essence transcendantale se trouve falsifié et perdu. Et cela parce que le mode originel de phénoménalisation selon lequel l’"homme" advient dans sa condition de Fils, c’est-à-dire de Vivant dans la Vie, en tant que mode originel de phénoménalisation de la Vie elle-même, n’a précisément rien à faire avec une « conscience de quelque chose », avec l’ouverture phénoménologique d’un monde – avec l’ek-stase d’un « au-dehors » »394.

L’homme ne peut vivre que de cette vérité qui est supportée dans la vérité de Dieu. Et cela est vrai parce que seule la Vie peut engendrer en l’homme sa vérité intérieure propre.

« Aucun vivant n’est vivant sinon par l’œuvre de la Vie en lui. En conséquence, la relation d’un vivant à la Vie ne peut se rompre, elle n’est pas susceptible d’être défaite.

Cette relation est si essentielle que le vivant ne porte pas seulement en lui la Vie comme sa condition la plus intérieure et jamais absente. Cette condition est encore sa pré-supposition en ce sens que la Vie précède nécessairement tout vivant comme l’Avant absolu relativement auquel il est toujours second. C’est seulement parce que, dans le procès éternel de son auto-affection, la Vie vient en soi que le vivant, dans ce procès et

394 MV, p. 130.

par lui, vient lui-même en soi. C’est ce qu’a montré la phénoménologie de la naissance, établissant de façon apodictique que tout vivant est Fils de la Vie véritable, absolue et éternelle et d’elle seulement. « Nous sommes dès à présent enfants de Dieu » (1Jn 3,1).

Et encore : « Voyez quel grand amour nous a témoigné le Père, pour que nous soyons appelés enfants de Dieu – ce que nous sommes » (ibid.) »395. Étant fils de la Vie, l’homme ne peut tenir son essence phénoménologique que de « l’auto-phénoménalisation de la Vie, dont le procès est en soi étranger à l’ouverture d’un monde »396.

Si Dieu ne peut être identifié à l’Être heideggérien défini comme le « transcendant pur et simple », l’homme, lui aussi, parce qu’il est vivant de la vie divine, n’a rien à voir avec tout ce qui fait de lui le berger et le gardien de l’Être. L’homme n’est pas un être-du-monde et son être-essentiel ne peut pas être défini par l’être du être-du-monde, puisque « dans la vérité du monde, (…), aucune Ipséité ne s’édifie, il n’y a aucun Soi, aucun moi – aucun homme non plus par conséquent »397.

L’homme christifié, parce qu’il tient sa vérité du Christ lui-même, n’est pas du monde. Il ne peut pas être du monde et dans le monde en même temps, puisqu’il ne peut pas éprouver dans sa chair intérieure la vie du Christ que là où le Christ ne cesse de vivre dans son Père et dans l’Esprit, c’est-à-dire là où il n’y a pas le monde transcendant désincarné. « Tout comme le Christ, moi homme je ne suis pas du monde en ce sens phénoménologique radical que l’apparaître dont est faite ma chair phénoménologique, laquelle constitue mon essence véritable, n’est pas l’apparaître du monde. Et cela non pas l’effet de quelque credo présupposé, philosophique ou théologique, mais parce que le monde n’a pas de chair, parce que dans le « hors de soi » du monde aucune chair ni aucun vivre ne sont possibles – lesquels ne s’édifient jamais ailleurs que dans l’étreinte pathétique et acosmique de la Vie »398.

Si l’homme vivant vient au monde sans qu’il soit du monde, c’est parce qu’il est fils de Dieu qui vit de la vie même de Dieu et se rapporte à lui-même grâce au Rapport qui est Dieu lui-même. Dieu ne peut être éprouvé par l’homme hors de ce rapport qui laisse venir l’homme en lui-même dans la venue de Dieu en lui. Seul ce rapport identique à la vérité

395 Ibid., p. 205.

396 Ibid., p. 130.

397 Ibid., p. 333.

398 Ibid., p. 129.

de l’homme vécue en Dieu est capable de révéler l’homme à lui-même d’une manière vivante. Tout ce qui est divin en Dieu est ce qui constitue la matérialité vivante de toute épreuve de Dieu au sein de l’humanité de l’homme. Il s’ensuit que le divin habite l’homme comme le pathos habite chaque point de la chair vivante qui s’éprouve elle-même dans sa vérité intérieure inextatique. Tout déploiement du règne de Dieu ne peut s’effectuer que là où l’homme coïncide point par point avec sa vérité intérieure qui lui est donnée en Dieu.

L’homme n’a pas d’autre demeure que le Royaume de la Vie qui pose en lui sa vérité propre. Hors de la Vie, l’homme n’est jamais homme, puisqu’il est dépourvu de « ce qui fait de lui un homme : le Soi transcendantal. Aucun Soi transcendantal, toutefois, ne s’apporte soi-même dans la condition qui est la sienne. Donné à lui-même et s’éprouvant lui-même dans l’auto-donation de la Vie absolue et en elle seulement, tout Soi transcendantal est Fils de la Vie »399. « L’homme, ajoute M. Henry, n’est autre que le Fils de Dieu. Son origine se tient en Dieu, sa nature provient de celle de Dieu. Engendrant l’homme comme un vivant, lui donnant une vie qui n’existe qu’en lui, Dieu lui a donné de cette façon la même nature que la sienne : celle de la vie. C’est ainsi que Dieu a fait l’homme à son image et à sa ressemblance »400. « Telle est la nouvelle définition de l’homme et de sa condition véritable celle d’un vivant engendré dans la vie invisible et absolue de Dieu, vie qui demeure en lui aussi longtemps qu’il vit, hors de laquelle aucun vivant ne se tient. Voilà pourquoi il est dit « Fils de Dieu », de cette Vie absolue qui lui fait sans cesse le don de vivre »401. Si l’homme ne peut pas être compris qu’à partir de sa naissance dans la Vie, c’est parce qu’il n’a d’autre vérité que celle qui est soufferte au sein de sa naissance filiale. Dire donc que l’homme « est fils pour autant qu’il n’y a de fils que dans la Vie et que cette seule et unique Vie est celle de Dieu lui-même, c’est dire aussi bien qu’il est le Fils de Dieu »402.

Si l’homme ne peut pas être défini comme fils du monde, c’est parce qu’il est enfanté dans la Vie et comme la Vie. Incapable d’être vivant en soi et par soi, le monde ne peut

399 Ibid., p. 335. Michel Henry ajoute de même : « Que reste-t-il de l’homme hors de la Vérité de la Vie, dans la vérité du monde ? Une apparence vide, un airain qui sonne creux » (MV, 337; souligné par l’auteur).

400 M. HENRY, Paroles du Christ, Paris, Seuil, 2002, p. 55.

401 Ibid., p. 54.

402 MV, p. 125.

jamais donner à l’homme d’être vivant en lui. C’est pourquoi nul ne peut naître du monde s’il veut être vivant. « Dans la Vie, il n’y a aucun monde », puisque là où il y a la vie, il n’y a « aucune place pour un souci, lequel se projette toujours « au-dehors », ne se préoccupant jamais que de ce qui est autre et ne se préoccupant de lui-même que comme de quelque chose d’autre »403. Doté d’un pouvoir de révélation qui réside dans une extériorité radicale par rapport à la Vie, le monde ne manifeste que ce que la vie n’est pas. Étant ce qui se définit uniquement à partir de cet horizon de visibilité qu’il ouvre grâce à son pouvoir qui trouve son fondement hors de la Vie, le monde transcendant, en se suffisant à lui-même, ne peut pas être que le produit d’une illusion transcendantale radicale ainsi que lieu d’un mensonge radical.

Là où Dieu vit et ne cesse de donner la vie, il n’y a pas le monde. Dieu, parce qu’il se vit lui-même et n’a pas besoin d’autre chose que soi pour vivre, ne révèle que ce qu’il est en lui-même. Étant cette manifestation de soi qui se déploie hors de l’auto-révélation de Dieu, le monde est le lieu originaire de toute irréalité phénoménologique. Il est ce que la vie ne peut pas être hors de sa vérité pathétique immanente. D’où, parler de la duplicité de l’apparaître, c’est parler de deux modes originaires propres à la manifestation dont l’un est l’effectuation absolue de la phénoménalité pure de la vie et l’autre est le déploiement hors de soi du règne de la transcendance.

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 194-197)

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