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a) Phénoménologie de la subjectivité vivante

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 189-192)

Parce qu'elle est définie à partir de son fond auto-affectionnel vivant, la subjectivité ne peut s'apparaître à elle-même que là où elle est ce rapport à soi indéchirable qui se vit lui-même pathétiquement et intérieurement. La subjectivité n'est rien d'autre, nous dit Henry, que « ce qui s'éprouve soi-même. Non pas quelque chose qui aurait, de plus, cette propriété de s'éprouver soi-même mais le fait même de s'éprouver soi-même considéré en lui-même et comme tel »387. Elle ne se rapporte à elle-même que là où s'affecte elle-même d'une manière invisible et intérieure. Si la subjectivité ne peut vivre que de ce qui la constitue intérieurement dans l'unité et la proximité, c'est parce qu'elle est constituée par la matérialité de la vie qui manifeste en elle ce rapport qui la lie à elle-même d’une façon inaliénable. Seule la vie absolue, parce qu'elle est capable de donner vie, donne à chaque subjectivité d'être vivante en elle. D'où l'affirmation : hors de la vie, pas de subjectivité possible. Dans le monde objectif, là où il n’y a pas une intériorité capable de s’éprouver elle-même, pas de rapport phénoménologique possible. Cela est vrai parce que

« l’objectivité elle-même, (…) ne se rapporte à rien. Dans l’objectivité il n’y a pas de rapport, affirme Michel Henry »388. Le monde objectif, s'il est incapable de donner à la subjectivité vivante sa vérité intérieure, c'est parce qu'il est incapable d'être le lieu d'un rapport effectif. Il s'ensuit que le rapport ne peut être donné que là où il y a une intériorité vivante capable de le souffrir comme sa propre vérité. Et parce que notre intériorité ne peut se rapporter à elle-même que là où Dieu constitue en elle l'effectivité d'un tel rapport, tout ce que nous nous éprouvons en nous-mêmes comme nous-mêmes, nous ne faisons que l'éprouver en Dieu. Cela nous mène à affirmer que tout ce qui nous est donné de vivre dans notre subjectivité est le fruit de notre naissance intérieure dans la vie de

387 M. HENRY, "Philosophie et subjectivité", In Encyclopédie philosophique Universelle, Éd. A. Jacob, t. I, L’Univers philosophique, Paris, PUF, 1989, p. 46.

388 EM, p. 318.

Dieu. Le tout est lié à notre engendrement filial dans la vie divine qui fait de nous ce que nous sommes dans notre vérité singulière.

Il n'y a pas la vie en général. La vie n'est pas une totalité fusionnelle indéterminée ou une Structure extérieure à ce qu'elle structure. Elle refuse d’être comparée à un océan illimité qui porte en lui toutes choses sans être porté par chacune d’elles. La vie n'est que là où il y a une subjectivité vivante singulière. Il s’ensuit que toute subjectivité singulière n'est pas et ne peut être le fruit de l'exigence que dicte l'auto-réalisation d'une puissance anonyme ou d’un "rien" phénoménologique. Dans la vie, il y a des vivants, il y a chacun de nous. Si ma vie m’est donnée comme une effectivité singulière, c’est parce qu’elle s'éprouve elle-même dans une ipséité singulière capable de venir en elle-même d’une façon effective. Quant à la chair vivante, elle est nécessairement la chair d’un Soi vivant, puisque pas une chair qui puisse être la chair de personne ni une souffrance qui puisse être la souffrance de personne.

Cela est vrai parce que la vie absolue ne peut engendrer que des subjectivités singulières vivantes capables d’éprouver leur vérité pathétique dans chaque point de leur vérité intérieure.

Toute venue à soi subjective est soufferte dans le fond de la vie absolue qui la supporte et la donne à elle-même. C’est pourquoi en s’éprouvant elle-même, toute subjectivité singulière vient en elle-même dans la force qui se sature d'elle-même selon un jaillissement continuel s'intensifiant sans arrêt et qui gonfle la vie de sa propre pulsionnalité et son propre effort. Ce qui fait que le tout s’effectue au cœur de ce mouvement continuel d'intensification de soi par soi impliquant toute la gamme des modes divers de la puissance volcanique propre à la vie se révélant comme une auto-transformation de soi par soi qui n'a rien à voir avec des causalités extérieures. Tout cela n'a d'autre espace et temporalité vivante que la chair phénoménologique vivante qui porte en elle l'éternité de la vie et sa force, cette chair qui ne cesse de venir en elle-même dans la venue de sa propre force en elle. Le "à chaque instant" de la venue de la force en elle-même identique à la venue de la vie en elle-même dans son auto-accroissement éternel habite l'auto-mouvement de la vie qui ne cesse de jaillir en s'accomplissant pratiquement et effectivement dans son s'éprouver soi-même continuel à chaque fois singulier. Et c’est là que toute la force volcanique de la vie ne vient pas à elle-même hors d'elle-même, mais elle est soufferte en elle-même par cette même vérité qui s’étreint elle-même. La surabondance de la force de la vie qui va

jusqu'au bout de son ivresse dans le souffrir et le jouir n'a rien à avoir avec la dislocation de la vie en deux. Étant les deux modes phénoménologiques immanents du pouvoir pathétique de la vie, le souffrir et le jouir sont habités par la puissance pulsionnelle unitaire qui imprime dans le fond de la vie l’éternité historiale de son agir incessant. Quant à l’effectuation de la diversité des modes pathétiques découlant de la richesse de la vie et la surabondance de sa générosité, elle ne suppose pas que la vie se différencie d’elle-même en vue de se révéler elle-même grâce à la déchirure qui œuvre originairement au sein de son tissu phénoménologique subjectif. Toute la diversité illimitée des sentiments vécus au sein du Fond affectif est connectée originairement à l’unité du pouvoir charnel auto-impressionnel capable de donner chaque sentiment à lui-même. Parler alors, à ce niveau phénoménologique radical, d’une altération continuelle de l’Un dans la pluralité ou d’une dislocation infinie de l’unité de la singularité n’a pas de sens. Par conséquent, rien ne peut être vivant s’il n’est pas un dans l’Un et singulier en soi. Une telle singularité qui jaillit de la singularité d’une subjectivité donnée à elle-même dans la vie une, loin de nier le fond unitaire qui la supporte, ne peut s’éprouver soi-même hors de cette vie absolue une qui s’affirme en elle dans sa naissance singulière même.

Donné à lui-même dans l’auto-donation de la Vie, le moi transcendantal s’auto-affecte dans la Vie tout en étant ce moi singulier identique à sa propre vérité exceptionnelle irréductible à d’autres moi. D’où, ce qui fait de notre subjectivité une subjectivité singulière, ce n’est pas le contenu du pathos qu’elle éprouve, mais ce rapport unique donné à lui-même dans chaque ipséité filiale. Quant au fait de dire "Moi" et "Je", il ne m’est possible que si la Vie le dit en moi en m’engendrant en elle comme son fils singulier. Si le Moi peut être agissant et puissant, c’est parce qu’il est avant tout passible au pouvoir primordial de la vie absolue qui le donne à lui-même. « Le moi, écrit Henry, s’éprouve soi-même passivement sur le fond de l’Ipséité originelle de la Vie qui le donne à lui-même et fait de lui à chaque instant ce qu’il est. (...) S’éprouvant soi-même dans l’Ipséité de la Vie, il entre en possession de lui-même en même temps que de chacun des pouvoirs qui le traversent »389. Le "Je Peux"

identique au pouvoir fondamental de la chair vivante constitue l’essence du Je capable de ramasser en lui tous les points de sa force ainsi que ses pouvoirs connectés au pouvoir unitaire de la vie en lui. « Agir, exercer chacun des pouvoirs qui composent son être n’est

389 MV, p. 171; souligné par l’auteur.

possible qu’à un moi entré en possession de chacun de ses pouvoirs »390. Seul « ce moi qui s’est emparé de lui-même et de tout ce qu’il porte en lui, est un "Je" »391 qui se rapporte à lui-même dans l’auto-affection de la Vie. Si le Moi possède des pouvoirs propres à lui, c’est parce qu’il est, avant tout, donné à lui-même comme un Soi filial vivant qui se reçoit lui-même de la Vie. Il s’ensuit que ce qui fonde le "Je Peux", c’est uniquement l’auto-épreuve pathétique de la Vie absolue qui donne le Moi à lui-même en lui conférant la possibilité de s’affecter lui-même intérieurement.

Étant ce vivant singulier qui se reçoit lui-même dans la passibilité profonde, le Soi éprouve dans son pâtir le fondement de tout agir et l’essence de la liberté. « Libres, nous ne le sommes jamais à l'égard de quoi que soit d'extérieur, mais seulement à l'intérieur de ce je fondamental qui, lui-même, présuppose le moi et le Soi. Libre, l'ego ne l'est donc, en fin de compte, que sur le fond en lui d'un moi qui le précède nécessairement, c'est-à-dire sur le fond de ce Soi généré dans l'auto-engendrement de la vie, c'est-à-dire donné à lui-même dans l'auto-donation de la vie »392.

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 189-192)

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