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c) La Grâce divinisante : “Devenir par grâce ce que Dieu est par nature”

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 145-148)

Eckhart fait une lecture mystique radicale de l’affirmation patristique : « devenir par grâce ce que Dieu est par nature ». En méditant le sens interne qui découle d’une telle affirmation patristique, nous pouvons signaler que la grâce ne peut être comprise comme grâce créée, mais comme une grâce incréée. Ce qui est désigné par Grâce, selon Eckhart, n’est pas distinct de ce que Dieu est en lui-même.

En recevant la grâce de Dieu qui me fait être dieu en Dieu, je reçois mon être divinisé par pure grâce, mais une telle grâce m’est donnée dans l’auto-donation de Dieu lui-même.

Parce que tout ce qui m’est donné comme moi-même m’est donné en Dieu, tout ce que je reçois comme ma vie constitue ma vérité filiale qui est l’effectuation vivante de ma divinisation dans la vie de Dieu. La grâce ne peut pas être uniquement, dans ce cas, cette manifestation extérieure qui découle d’une autre plus intérieure et qui demeure incommunicable à l’homme, mais ce qui manifeste Dieu dans sa vérité immanente. La grâce est avant tout la manifestation de la vie immanente de Dieu qui se donne telle qu’elle est dans l’intériorité de l’homme d’une façon pathétique. Elle est la révélation intérieure du don de soi de Dieu à l’homme. Il s’ensuit que tout ce qui m’est donné en Dieu révèle Dieu lui-même et non pas uniquement le rayonnement qui existe extérieurement autour de Dieu. Si nous ne pouvons pas connaître Dieu hors de Dieu, c’est parce que nous ne pouvons jamais éprouver sa vérité que là où il nous donne de l’éprouver dans sa vie immanente. Ce qui demeure inconnaissable de Dieu pour le regard

285 M. ECKHART, Sermon 67, trad. Ancelet-Hustache, p. 50-51.

conceptuel de notre conscience est ce qui constitue en nous la matérialité de l’épreuve de sa vérité vivante intérieure.

En se donnant pour nous, Dieu ne nous donne que ce qu’il est lui-même. C’est pourquoi la Grâce est ce que Dieu donne en tant que lui-même. Dieu ne nous donne pas d’être vivants d’une vie qui est distincte du point de vue contenu immanent de sa vie propre. Et si Dieu nous donne d’être vivants dans sa vie éternelle, ce n’est pas parce que nous méritons cela, mais parce que ce qu’il nous donne découle de sa générosité incommensurable qui ne connaît aucune limite.

Si notre finitude est liée au fait que nous nous recevons nous-mêmes dans la source qui nous donne à nous-mêmes, cette même finitude manifeste cette identité entre ce que nous sommes singulièrement en nous-mêmes et la vérité de la vie absolue qui ne cesse de nous engendrer en elle. En nous recevant nous-mêmes de la Grâce, Dieu nous donne de vivre en lui tel qu’il se vit lui-même dans le Fond de sa vie immanente. Il fait de nous une source qui jaillit du cœur de sa Source intérieure vivante. En vivant en nous, Dieu souffre notre vie dans sa vie et ne cesse de nous engendrer au cœur de son épreuve de soi. Il nous donne sans arrêt la grâce d’être en lui, de l’éprouver en vivant de sa vie même, de recevoir la grâce d’être ses fils et de le sentir intérieurement.

La divinisation intérieure de l’homme n’est pas le fait de l’homme et ne peut jamais l’être. Elle est ce jaillissement de la vie de Dieu en l'homme et cette transformation intérieure de l'homme en Dieu. Si la grâce a sa source en Dieu et en Dieu seul, c'est parce que seul Dieu est capable de donner la vie tout en étant la source de toute vie possible.

C'est seulement dans la vie de Dieu que l'homme est divinement vivant. Être divinisé par la grâce de Dieu, c’est laisser Dieu être en moi ma source intérieure. L’homme n’est pas la source de ce qu’il est en lui-même, mais une fois qu’il se reçoit lui-même dans la source divine, il naît en lui-même dans le jaillissement en soi de la Source. Être source dans la Source, c’est être vivant de la vie même de Dieu et naître dans la générosité donatrice divine.

Lorsque nous disons que l’homme reçoit par grâce ce que Dieu lui donne d’être en lui, cela veut dire premièrement que l’homme, loin de se donner à lui-même la vérité qui l’habite, est celui qui accueille le don qu’il est dans la vérité généreuse de celui qui effectue en lui ce don. Seul Dieu est capable de se donner à lui-même le contenu intérieur

qui constitue sa vérité essentielle. Quant à l’homme, il ne peut être ce qu’il est que parce qu’il est avant tout vivant en Dieu. Il se reçoit lui-même comme homme de Dieu et en Dieu. Hors d’une telle réception de soi dans la vie de Dieu, l’homme demeure incapable de se rapporter lui-même à lui-même.

L’homme ne peut pas se donner à partir de soi l’essence qui le constitue, puisque tout ce qu’il est, il l’est par et dans la grâce de Dieu. Mais une fois qu’il reçoit ce que Dieu lui donne d’être en lui, sa vérité fondamentale n’est pas constituée par une vie distincte dans son essence phénoménologique immanente de la vérité pathétique immanente de Dieu.

En donnant l’homme à lui-même, Dieu ne fait que lui donner de vivre singulièrement de sa vie même. Rien ne se donne en Dieu qui puisse exister hors du Rapport qui est Dieu lui-même. « La vie que Dieu donne n’est rien sinon la vie où Dieu se donne »286.

En souffrant le rapport qui me fait vivre en lui, Dieu se souffre lui-même au cœur de ce rapport qui est lui-même. C’est pourquoi en me recevant moi-même de la grâce de Dieu, je suis donné à moi-même comme ce fils singulier capable de vivre Dieu d’une manière intense. Il s’ensuit que ce que je donne à Dieu n’est rien d’autre que ce que je reçois de lui. Dieu est en nous l’essence de ce que nous recevons de lui. Ma vie, je la reçois, parce qu’elle m’a été donnée en Dieu. Tout ce que nous donnons à Dieu, nous a été déjà donné en lui. C’est pourquoi nous ne faisons que recevoir ce que nous sommes de la Gratuité de la Source qui nous génère en elle.

Dieu nous génère généreusement, parce qu’il est l’unique don de la vie. Pour être ce que nous sommes, il faut laisser Dieu nous engendrer dans sa générosité incommensurable.

Jésus a révélé à la samaritaine le sens vivant du don divin qui nous confère le tout de ce que nous sommes : « Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te le dit : donne-moi à boire, c’est toi qui l’aurais prié et il t’aurait donné de l’eau vive. (…) Quiconque boit de cette eau aura soif à nouveau, mais qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif; l’eau que je lui donnerai deviendra en lui source d’eau jaillissante en vie éternelle » (Jn 3, 10; 13). Celui qui vit Dieu est donné à lui-même dans la source divine et est intérieurement vivant et donateur de vie, puisque « de son sein couleront les fleuves d’eau vive » (Jn 7, 38). Laisser Dieu être en nous cette source d'eau vive et cette source

286 Y. LABBÉ, "La vie éternelle ou l’auto-donation divine", In Revue des sciences philosophiques et théologiques, Tome 91, 2007, p. 705.

d'éternité, c'est laisser son eau et sa grâce jaillir en nous pour nous fonder dans sa vie éternelle. C'est dans cette vie éternelle que réside la gloire de ce que nous sommes dans la vie de Dieu.

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 145-148)

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