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c) Paternité et filiation dans le « Notre Père »

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 117-120)

Le « Notre Père », cette prière jaillissante d’une intériorité filiale, l’intériorité du Fils incarné Jésus-Christ, implique une magnificence intense de la paternité divine dans la filiation. Elle nous révèle avec une force inouïe ce rapport que nous sommes invités constamment à vivre comme fils du Père par le Fils et dans l’Esprit. Le « Notre Père » nous fait vivre de cette relation filiale que le Père fonde en nous en ne cessant de nous engendrer en lui. En condensant en elle l’essence de tout rapport qui lie l’homme à Dieu, elle manifeste le mystère filial de l’homme qui est né dans le Père et comme le Fils unique. C’est en priant le Père en tant que fils dans le Fils que l’homme coïncide avec sa vérité ultime en Dieu.

Dans son œuvre latine, M. Eckhart a commenté deux fois208 le « Notre Père ». Et dans les deux fois, il nous parle avec insistance de notre vérité filiale qui nous est donnée dans le Fils Jésus-Christ qui nous a appris de prier Notre Dieu comme Notre Père. Dieu tel qu’il nous est révélé dans le Christ est un Père qui se donne à nous dans la proximité de l’amour. Et parce qu’il est Père, il fonde en nous notre filiation et notre fraternité sur ce qui nous unit à lui et nous unit les uns aux autres dans la même vie et la même vérité.

C’est lui « qui nous donne le pouvoir de devenir des fils de Dieu » (Jn 1, 12), des

« héritiers de Dieu » (Rm 8, 17). C’est dans la vie de Notre Père que nous avons reçu le pardon des péchés, l’adoption filiale, l’héritage royal, la fraternité et que seront exaucées toutes nos demandes et nos prières209. Tout ce que le Père nous donne vise à affirmer en

208 Cf. M. ECHARDI, LW 5, Stuttgart, Verlag Kohlhammer, S. 102-129; M. ECHARDI, Expositio Sancti Evangelii Secundum Iohannem, Op. cit., p. 524-537.

209 En méditant le terme « Vater », Eckhart écrit : « Merke zuerst aus Chrysostomus, daß Gott mehr geliebt als gefürchtet sein will; daher sagt er unser Vater, nicht 'unser Herr'. Zweitens (sagt er Vater), damit wir wissen, daß 'er uns Macht gegeben hat, Söhne Gottes zu werden' (Joh. 1,12). Folglich drittens, daß wir 'wenn Söhne, auch Erben' sind (Röm. 8,17). Viertens : "wer Vater gesagt hat, hat mit dieser einen Anrede

nous notre filiation, notre fraternité210 et la venue de son royaume céleste qui ne cesse de venir en nous d’une manière intérieure et éternelle.

Dans l’autre commentaire sur le Notre Père qui figure dans le commentaire de l’Évangile de Jean, Eckhart nous dit de même que c’est au nom de Jésus, le Fils, que nous pouvons prier « Notre Père ». Et pour que le Père soit vraiment notre Père, il faut que nous soyons vraiment ses fils dans le Fils Jésus-Christ. Si la vérité d’être fils (filius) est liée à notre engendrement dans l’amour du Père, c’est parce que tout ce que le Père nous donne, il nous le donne dans son amour. Tous ceux qui se reçoivent eux-mêmes dans l’amour du Père sont fils du Père. Seul un fils laisse régner en lui la vie de son père. C’est pourquoi le règne du Père ne vient que là où il ne cesse d’engendrer en lui des fils dans son Fils et son Esprit. Il s’ensuit que la sanctification du Nom du Père, la venue de son Royaume ainsi que l’accomplissement de sa volonté ne se réalisent que dans la vie de ceux qui, loin d’être nés « du sang », « d’un vouloir de chair » ou « d’un homme », sont nés uniquement

« de Dieu »211 (Cf. Jn 1, 13).

Plusieurs sont les Pères spirituels qui ont médité cette prière qui condense en elle l’essence intérieure du message évangélique. Nous nous contentons de mentionner les méditations faites par Cyprien et Maxime le Confesseur sur le « Notre Père », ces méditations qui nous font plonger dans le mystère même de notre filiation qui ne peut s’accomplir que là où le Père fait régner en nous sa sainteté, son royaume intérieur et son pouvoir vivant. Ces méditations insistent sur le fait que tout ce qui nous est donné, nous l'avons reçu dans la vie du Père, pour que nous soyons ses fils. Seul un fils est capable de vivre son Père, puisqu’il est le fruit d’une naissance intérieure qui s’effectue dans la vie

die Vergebung der Sünden, die Annahme an Sohnes Statt, die Erbschaft, die Bruderschaft, die zu dem Eingeborenen hin besteht, und das reiche Geschenk des Geistes bekannt." Fünftens: wir sollen Gottes Ehre lieben und ihr Gegenteil soll uns schmerzen, wo immer es einträte, wie es Söhnen beim eigenen Vater geht.

Sechstens, um uns Zutrauen zu geben, daß wir etwas erlangen; denn Väter pflegen ihre Söhne zu erhören nach dem Wort : 'bittet, so werdet ihr empfangen' (Matth. 7,7) und ferner : 'alles, was ihr bitten werdet in eurem Gebet, glaubt' usw. (Mark. 11,24) » (M. ECHARDI, « Tractatus super Oratione Dominica », In LW 5, S. 102-129).

210 Jean Chrysostome, cité fréquemment par Eckhart dans son commentaire sur le Notre Père, insiste sur l’importance de cette fraternité spirituelle qui nous est donnée dans la vie de notre Père et qui constitue en nous ce lien fraternel fait d’amour. « Si le Seigneur, écrit Saint Jean Chrysostome dans son commentaire du Notre Père, ne nous a pas commandé de dire, mon Père qui êtes aux cieux, mais bien Notre Père qui êtes aux cieux, afin que, sachant que nous avons un Père commun, nous éprouvons les uns pour les autres un amour fraternel ».

211 Pour approfondir de plus cette question portant sur la paternité de Dieu et la filiation humaine dans le commentaire eckhartien du Notre Père cf. M. ECHARDI, Expositio Sancti Evangelii Secundum Iohannem, Op. cit., p. 524-537.

paternelle donatrice de tout engendrement mystique. Dans son commentaire du Notre Père, Saint Cyprien écrit : « L’homme nouveau, rené, restitué à son Dieu par grâce de ce Dieu, s’écrie d’emblée « Père » parce qu’il commence à être fils. « Il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas reçu. Mais à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné pouvoir de devenir fils de Dieu, à ceux qui croient en son nom » (Jn 1, 11-12). Celui donc qui a cru en son nom et qui a été fait fils de Dieu doit commencer par cette appellation : « Père ! » Ainsi rend-il grâces et se reconnaît fils de Dieu puisqu’il qualifie de Père - pour lui - Dieu qui est dans les cieux …

Frères bien-aimés, ne retenons pas seulement que nous appelons Père celui qui est dans les cieux, ajoutons ce que nous joignons : NOTRE Père, c’est-à-dire Père de ceux qui croient, Père de ceux qui, sanctifiés par lui et restaurés par la naissance à la grâce spirituelle, commencent à être fils de Dieu.

Quelle miséricorde de la part du Seigneur, quelle abondance de bienveillance et de bonté à notre égard ! Il a voulu que nous nous tenions en présence de Dieu de manière à l’appeler Père et que nous soyons nommés fils comme le Christ est Fils de Dieu.

(…) Il nous faut savoir et ne pas oublier que nous devons agir en fils de Dieu, puisque nous nommons Dieu Père »212.

En méditant le « Notre Père », Maxime le Confesseur écrit : « L’invocation très sainte et vénérable du grand et bienheureux Dieu le Père est le symbole de l’adoption personnelle et existentielle qui sera accordée par don et par grâce de l’Esprit-Saint; suivant cette adoption, puisque tout ce qui est propre aux hommes sera dominé et couvert par la venue de la grâce, tous les saints recevront le titre de fils de Dieu et ils le seront (cf. 1 Jn 3, 1), eux qui, grâce aux vertus dès maintenant, ont déjà resplendi splendidement et glorieusement de la divine beauté de la Bonté »213.

L’adoption est révélée comme ce don qui nous fait vivre comme fils dans la vie du Père qui nous donne par grâce d’être sanctifiés en lui. Nous ne pouvons prier le Père que parce que le rapport qui nous lie à lui est aussi profond que sa vie en nous. Nous sommes ce rapport qui nous fait exister comme fils en Dieu. Notre prière, parce qu’elle est essentiellement une prière filiale, est le lieu de la révélation et de l’actualisation du

212 Cité dans N. DEVILLIERS, Initiation aux Pères de l’Église, Association “L’Icône de Marie”, Bretagne, 1999, p. 129-130.

213 Maxime le Confesseur, Mystagogie, Paris, Migne, 2005, p. 126-127.

royaume du Père en nous. C’est pourquoi la grâce qui nous est donnée pour naître fils du Père nous divinise et nous transforme en Dieu comme Dieu. Glorifier la paternité de Dieu, c'est l'éprouver dans notre intériorité filiale, là où le Père céleste se donne en nous d'une manière divinement royale.

C’est en nous donnant d'être des fils dans sa filiation éternelle que le Fils unique nous conduit à vivre dans la source paternelle qui ne cesse de nous engendrer en elle. Le Verbe, écrit Maxime le Confesseur, « conduit à Dieu le Père ceux qui ont été adoptés comme fils dans l’Esprit au moyen de la prière par laquelle ils ont été rendus dignes d’appeler Dieu « Père ». Et à partir de là, à nouveau, comme ils ont maintenant dépassé par la science toutes les raisons [naturelles qui existent] dans tous les êtres, il [les]

conduit par l’inconnaissance à la monade inconnaissable au moyen du Un seul saint et ce qui suit : divinisés par grâce, c’est par participation qu’ils lui ont été rendus semblables par l’indivisible identité, autant que possible »214.

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 117-120)

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