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a) Parole et génération

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 94-97)

À la différence de la parole extérieure du monde qui désigne les choses sans pouvoir les fonder dans leur effectivité propre, la parole de vie qui s’éprouve elle-même d’une façon incarnée est capable d’engendrer le contenu qu’elle manifeste. En s’éprouvant pathétiquement, la parole de vie s’engendre et se révèle tout en rendant possible toute donation de sens. « La façon dont la vie révèle, écrit Henry, c'est celle dont elle parle »165. Loin d'être identique à une production ou à une action qui pose sa vérité dans le hors de soi, la Parole de vie est la manifestation immédiate de cette puissance auto-révélatrice de la vie dans son auto-engendrement. Tout ce qui est généré dans la vie en tant que sa révélation et sa parole est inhérent « au pouvoir qui le génère, et cela parce que le pouvoir qui génère demeure intérieur à ce qu'il génère. Or la Parole de Vie n’est pas seulement une génération mais une génération. Elle est l’génération de la vie en tant que son auto-révélation. C’est ce pouvoir de s’auto-révéler en s’auto-générant qu’exprime la notion de Parole, c’est le pouvoir phénoménologique de la Vie absolue qu’elle désigne. La vie absolue est une parole parce qu’elle s’auto-génère de telle façon qu’elle s’auto-révèle dans cette auto-génération – plus profondément parce qu’elle génère en s’auto-révélant »166. En s’engendrant elle-même, la vie absolue manifeste la vérité d'une auto-épreuve qui vient en elle-même charnellement dans la puissance d'un Verbe, son propre Verbe. Une telle auto-manifestation de l'auto-épreuve soufferte dans chaque naissance est un savoir qui se sait lui-même au-delà de toute pensée réduite uniquement à une saisie de soi hors de soi. Le penser charnel auto-affectionnel de la naissance se révèle comme une connaissance pratique et un verbe charnel vivant enfouis dans tout engendrement. Et c'est à ce niveau que nous pouvons comprendre comment le Verbe de la vie absolue dans son auto-révélation est essentiellement un Verbe filial, un Archi-Fils qui laisse naître dans chaque Soi singulier la vie du Père et la vie de son Verbe. Penser donc l’impensable de

165 M. HENRY, "Phénoménologie matérielle et langage", In Michel Henry, l'épreuve de la vie, Alain DAVID et Jean GREISCH (sous la direction de) Actes du Colloque de Cerisy 1996, Paris, Cerf, 2001, p. 25.

166 MV, p. 278.

toute naissance transcendantale dans la vie, c’est penser l’impensable de son logos charnel vivant qui révèle la puissance pratique et pathétique de la vie.

En parlant son Logos, « la Vie engendre en elle ses Fils »167 de telle sorte qu’elle ne cesse de nous parler notre vie, là où elle s’révèle en nous engendrant dans son auto-engendrement. En se révélant elle-même dans son parler archi-pathétique, la vie absolue me révèle à moi-même dans son auto-épreuve souffrante et jouissante. Il s’ensuit que toute révélation qui œuvre en moi pour que je puisse écouter la parole de la Vie est consubstantielle à ma condition de fils168.

Affirmer qu’il n’y a aucune hétérogénéité phénoménologique entre la vie dans sa phénoménalité charnelle auto-affective et son parler, c’est affirmer que le parler de la vie considéré comme le parler du pathos pré-originaire est foncièrement phénoménologique. La co-appartenance de la parole et de l'écoute, de l'appel et de la réponse n'est possible que parce qu'il y a une seule et unique révélation, la révélation d'une vie absolue qui, dans son logos charnel, engendre des fils capables de l'écouter et de recevoir sa parole. L'homme vivant ne peut écouter le parler de la Vie que parce qu'il est engendré dans l'auto-engendrement et l'auto-révélation de la Vie elle-même. Parce que la Vie ne peut engendrer et révéler dans l’homme vivant autre chose qu'elle-même, tout ce qu’elle dit en l’homme par son Verbe constitue toute vérité humaine profonde. L'homme vivant, s’il est apte à écouter, répondre et parler, c’est parce qu’il est engendré dans la Parole comme parole. Il n’écoute que ce qui constitue en lui la matière phénoménologique même de sa vérité intérieure. Étant ce verbe qui ne cesse de venir en lui-même charnellement dans l’auto-affection de la vie absolue, l’homme co-appartient à la puissance pratique de la vérité absolue qui le laisse plonger dans les profondeurs de sa propre transparence. Le fait d’entendre l'appel ne peut être, dans ce cas, que contemporain de la naissance transcendantale de l'homme dans la vie absolue. Étant engendré comme parole dans le parler de la vie absolue qui le génère, l'homme laisse parler en lui continuellement le parler de l'engendrer, de sorte que ce qui parle en lui ne cesse de s'auto-écouter et de répondre constamment dans le parler lui-même. La Parole de Vie n'oublie pas ceux qui sont capables de se sentir vivants en elle. L'Écart que peut introduire la pensée entre écouter et répondre

167 M. HENRY, "Parole et religion : la Parole de Dieu", Op. cit., p. 136.

168 Cf. MV, p. 283.

ou entre le fait de se souvenir de la Vie ou de l'oublier n'a rien à voir avec la vérité de la Parole, puisque « la Vie n'a qu'une parole, cette parole ne revient jamais sur ce qu'elle a dit, et nul ne s'y dérobe. Cette Parousie sans mémoire et sans faille de la Parole de la Vie, c'est notre naissance »169.

Nous ne pouvons pas nous dérober au pouvoir de la Vie qui nous parle notre vie et nous révèle à nous-mêmes en nous plongeant dans le toujours déjà là de son appel. La Parole de la Vie révèle en parlant l'agir de sa puissance et sa force qui sont l'agir d'un engendrement continuel. C’est pourquoi elle est capable d’engendrer la réalité « dans la mesure où toute réalité, celle de l'Agir lui-même, présuppose une révélation première, l'Archi-Révélation de la Vie et de sa Parole »170.

Le "bruissement" de la naissance retentit partout et à chaque instant dans l'Abgrund de la Vie qui m'engendre et qui, en m'engendrant constamment, me parle comme sa propre parole. Cela nous mène à affirmer que l’homme vivant engendré dans l'auto-engendrement de la Vie et son auto-affection ne peut révéler que le silence pathétique de l’auto-engendrement de la Vie qui le donne à lui-même. J'écoute constamment dans le silence de la Vie l'appel de la Vie qui rend possible ma réponse. Le Dire de la Vie agit et ne cesse d'agir, puisqu'il co-appartient pré-originairement à la puissance de son auto-engendrement.

Celui qui n'appartient pas à l'agir de la Parole de la Vie est incapable de naître, puisqu'il ne peut pas être l'effectuation d'une révélation. Et si nous ne pouvons pas ne pas entendre au fond de nous-mêmes la parole de la Vie, c’est parce qu’elle est « ce bruissement de la puissance innée qui nous confère l'être »171 en ne cessant d’imprimer en nous notre vérité.

La chair vivante, parce qu’elle est cousue de ce même contenu phénoménologique propre à la chair auto-impressionnelle de la Vie, est le lieu de tout naître et de tout connaître dans la Vérité de la Vie. Et ce que la Vie imprime dans la chair pathétique de chacun de nous n'est autre que ce silence dynamique, ce cri charnel qui se sature de son souffrir et son jouir, cette voix nue qui retentit éternellement. « Engendrant celui auquel elle s’adresse, et cela en faisant de lui un vivant, la Parole de Vie lui a conféré dans sa génération même et en quelque sorte avant même qu’il vive, dans le procès même par lequel il venait à la vie, dans sa naissance transcendantale, la possibilité de l’entendre - elle qu’il a entendue dans le

169 MV, p. 285.

170 Ibid., p. 286.

171 M. HENRY, "Peindre l’invisible", In Pierre Magré, Poitiers, Diane Grimaldi, 1989, p. 28.

premier tressaillement de sa propre vie, quand il s’est éprouvé lui-même pour la première fois, elle dont l’étreinte avec soi, dont la Parole l’a joint à lui-même dans le surgissement même de son Soi et à jamais. Ainsi la possibilité d’entendre la Parole de Vie est-elle pour chaque vivant et pour chaque Soi vivant, contemporaine de sa naissance, consubstantielle à sa condition de Fils. J’entends à jamais le bruit de ma naissance. Le bruit de ma naissance est le bruit de la Vie, l’infrangible silence dans lequel la Parole de la Vie ne cesse de me parler ma propre vie, dans lequel ma propre vie, si j’entends la parole qui parle en elle, ne cesse de me parler la Parole de Dieu »172.

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 94-97)

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