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Entre phénoménologie et théologie

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 34-38)

f) La naissance, mystère de la vie

II. Entre phénoménologie et théologie

La phénoménologie de la vie et la théologie mystique ne peuvent révéler quelque chose de vrai et d’effectif que parce qu’elles appartiennent toutes deux au fond unitaire de la vérité éprouvée dans la simplicité et l’unité de la vie. Si la phénoménologie de la vie cherche à rejoindre la source qui laisse surgir à partir d’elle toutes choses vivantes, c’est parce qu’elle est connectée à la donation fontale de la phénoménalité pure qui désigne cette matérialité intérieure transcendantale constituant toute épreuve immanente de soi. Parce qu’elle est aussi intérieure que la vie qui la constitue, une telle phénoménalité pure n’est jamais distincte de l’essence intérieure de la Déité qui révèle dans la simplicité et l’unité le mystère de sa vérité nue.

Pas une contradiction entre ce qui est désigné comme vérité de la vie et ce qui est désigné comme vérité mystique, puisque ce qui s’affirme, à ce niveau, comme révélation ultime est cette manifestation du fond unitaire de l’unique vérité qui supporte dans sa puissance pratique l’excès du sens sur lui-même. Il s’ensuit que la vérité immanente dans son fond unitaire n’est autre que ce sol commun qui révèle toute la dimensionnalité intérieure de la vie dans la simplicité première de son pur jaillir d’elle-même en elle-même. Seule la vérité intérieure vivante rend possible le chemin qui conduit à elle, puisqu’elle est l’unique chemin qui mène d’elle-même à elle-même. D’où, pas de chemin qui conduit à la vérité qui puisse être quelque chose qui se distingue de la révélation immanente à la vie. Il suffit d’être dans la vérité pour avoir en nous tous les chemins possibles qui mènent à elle. Ce qui fait que pas de différence fondamentale entre la phénoménologie de la vie et la théologie mystique quand elles sont révélées à elles-mêmes dans la simplicité primordiale d’une unique vérité. Portées par un même tronc, elles appartiennent toutes deux à cette

« archi-intelligibilité »25 de la vie qui est une intelligibilité pratique identique à cette

25 Une telle archi-intelligibilité de la vie correspond, selon M. Henry, au logos de la chair auto-impressionnelle qui souffre son sens dans sa manifestation immanente invisible. Ce logos johannique vivant précède tout discours sur la vérité, puisqu’il implique en lui l’essence pratique de son connaître primordial (Cf. Incarnation, dernier chapitre).

passion pré-originaire de la vérité soufferte continuellement dans le fond charnel et auto-impressionnel de la vie.

Michel Henry termine son ouvrage Incarnation26 en développant une méditation sur l’archi-gnose johannique impliquant tout le pouvoir pratique et charnel de l’intelligibilité pré-originaire de la vie qui souffre sa vérité en venant pathétiquement dans son propre Verbe. Et c’est uniquement grâce à une telle archi-intelligibilité que nous pouvons poser les fondements de tout connaître phénoménologique et théologique. La Vie ne peut être sa propre vérité que là où elle s’éprouve dans la chair de son Logos. « Avant la pensée, avant la phénoménologie donc comme avant la théologie (avant la philosophie ou avant toute autre discipline théorique), une Révélation est à l'œuvre, qui ne leur doit rien mais qu'elles supposent toutes également. Avant la pensée, avant l'ouverture du monde et le déploiement de son intelligibilité fulgure l'Archi-intelligibilité de la Vie absolue, la parousie du Verbe en lequel elle s'étreint »27. Tout ce qui se donne comme porteur de vérité doit être connecté d’une façon pré-originaire à cette Révélation qui souffre sa vérité en s’engendrant elle-même et en engendrant son Dire au cœur de son auto-épreuve vivante. Il s’ensuit que toute logique possible présuppose un logos charnel vivant et tout logos charnel est donné à lui-même dans l'archi-intelligibilité de la vie absolue qui vient en elle-lui-même dans son propre Logos.

En méditant le rapport entre phénoménologie et théologie (ou théophanie), nous cherchons à saisir le sens excessif que peuvent révéler la phénoménologie et la théologie, une fois comprises à partir de leur enracinement commun dans le Fond archi-intelligible de la Vie.

Nous n'opérons pas par là un saut d'un axe de recherche à un autre comme si nous cherchons à passer d'une couche métaphysique à une autre plus camouflée et plus gonflée de sa teneur métaphysique28. Notre saut ne se fait que dans l'espace interne et propre à

26 Cf. Incarnation, p. 361-374.

27 Ibid., p. 364.

28 Les dimensions théophaniques de la vérité vivante se révélant à ce niveau phénoménologique radical n’a rien à voir avec la réduction de la vie absolue à une nouvelle universalité métaphysique. Rolf Kühn nous dit sur ce point que la puissance pratique excessive de la vie, son archi-passibilité et son pathos impliquent une

« mise entre parenthèses de toute métaphysique classique, des genres et modes ontologiques aristotéliciens et de leur suite historique en faveur d'un tournant radical vers l'intensité pathétique ou phénoménologique, c'est-à-dire en faveur d'un dire de l'Affectivité pure qui n'est plus une discursivité abstraite, mais la chair impressionnelle même, laquelle est nécessairement donnée en toute phénoménalisation de phénomène. On peut nommer l'absence de cet espace pour le jeu argumentatif habituel une religion, mais en faisant remarquer que la religion comme mode de vie ou comme révélation authentique est le seul mode pratique

l'univers phénoménologique de la vie, un saut animé par la force d’une pulsion pré-originaire. En se révélant comme vie, la phénoménalité divine, loin d’être identifiée à un phénomène transcendant ou à une phénoménalité relative à un au-delà illusoire, affirme dans la profondeur même de son affectivité pré-originaire la puissance de sa vérité effective. Étant cette vérité ultime qui laisse venir la vie dans sa phénoménalité la plus généreuse, le phénomène théophanique génère à partir de son fond généreux toute donation de sens capable d’ouvrir la vérité à elle-même.

Henry ne substitue pas au Dire du christianisme un autre Dire exigé par un autre horizon phénoménologique, mais laisse le Dire du christianisme se manifester dans l'espace d'une phénoménologie de la vie. Il l'approche comme la vérité de la vie et sa révélation, une vérité qui se révèle dans l'invisibilité de sa phénoménalité pure. Il s'ensuit qu'il n'y a, selon lui, aucune incompatibilité entre la recherche phénoménologique de l'humain et celle du divin une fois que nous sommes submergés par l'excès de ce qui peut révéler à la fois et l'humain et le divin. Et si la vérité du christianisme est avant tout une vérité phénoménologique vivante, c’est parce que ses intuitions fondamentales sont foncièrement identiques à ce logos phénoménologique de la vie donné dans l'archi-intelligibilité de son auto-engendrement. Il y a bien là une phénoménalité-limite qui témoigne de l'incommensurabilité de la vie dans l'immensité de son auto-révélation. Et une telle phénoménalité vivante, en se saturant elle-même par l'excès de sa puissance révélatrice, révèle un type de révélation fondamentalement phénoménologique, mais phénoménologie, dans ce cas, ne doit être comprise que comme phénoménologie de la vie.

La phénoménologie de la vie, dans son essence, refuse d'être sélective. Elle est concernée par tout ce qui est vivant, puisque là où il y a un atome de vie, il y a nécessairement une donation de sens immense. D’où, tout ce qui vient à la vie est le lieu d’un rapport qui se révèle selon l’unité et l’intensité. La donation pré-originaire phénoménologique ou la non-donation de la vie absolue donne tout ou rien. Ce qui fait que l'absolu phénoménologique n'est pas coupé de la vérité matérielle de chaque chose vivante, puisque chaque chose vivante obéit dans son événement, dans sa révélation et dans sa matérialité transcendantale

réel qui s'accomplit par la seule passivité en tant qu'autorévélation ou autodonation de l'Absolu lui-même » (R. KÜHN, "Réception et réceptivité", In Revue philosophique, 2001, n° 3, p. 296-297). Voir aussi R.

KÜHN, "Phénoménologie de la religion et phénoménologie de la vie", In Revue d'histoire et de philosophie religieuse, 1993, vol.73, n° 2, p. 155-165.

au même dynamisme phénoménologique qui lui est intérieur. Chaque chose ne révèle que ce qui est vivant au cœur de l’Absolu, de sorte que tout ce qui vit dans la chose vivante est absoluité singularisée de la vie absolue elle-même. Dire que la vie humaine et la vie divine ont une seule et même matérialité phénoménologique pathétique, c’est dire que tout ce qui est donné dans l’auto-donation de la vie absolue porte en lui le secret de la générosité qui donne en se donnant complètement. Mais est-ce que le fait de pratiquer la réduction transcendantale, à ce niveau, ne nous mène-t-il pas nécessairement à opérer une théologisation de la phénoménologie ?

L'essentiel, à notre sens, ne consiste pas à subordonner la théologie à la phénoménologie ou la phénoménologie à la théologie, mais réside dans le fait de les comprendre à partir de leur enracinement commun dans la vie. Ajoutons de même que ce qui jaillit de toute pratique phénoménologique radicale n'est autre que la pureté de la phénoménalité et de l'essence de la vie qui échappe à toute qualification et classification. Et cela nous pousse à dire que ce n'est pas uniquement la phénoménologie qui doit être libérée de la phénoménologie, mais la théologie, elle aussi, est invitée à se libérer de la théologie pour ne laisser la place qu'au jaillissement de la vérité de la vie qui surgit en toute spontanéité, là où la vie engendre et révèle dans son propre engendrement la communauté des vivants dans sa simplicité. Pour être aussi féconde que la vérité qu’elle médite, la théologie doit laisser la vérité de Dieu venir dans un cœur détaché capable de pâtir la vérité et de l’être intérieurement. Seul un fils qui connaît son père par cette même connaissance qui le fait être en lui est capable d’éprouver la vérité comme sa propre vérité. Seul un cœur filial et

« détaché » coïncide avec la vérité telle qu’elle se donne en Dieu. En ne cessant de naître dans la Vérité comme son fils, l'homme vivant n’est rien d’autre que cette même vérité qui l’engendre en elle. C’est pourquoi recevoir Dieu de Dieu comme Dieu se donne en lui-même est l’unique façon d’être ce que nous recevons.

Une fois que nous sommes au cœur de la vie, ce qui est constamment en œuvre est l'action puissante de la vie qui creuse en nous la possibilité de la connaître et de connaître toutes choses en elle. Plus nous creusons en profondeur, plus les choses, dans leur jaillissement fontal, deviennent simples et proches. Et une telle proximité n’est perceptible que là où la vie se rapporte à elle-même en rendant possible tout rapport singulier et pluriel. D’où l’affirmation : là où il y a la vie, il y a une seule révélation qui se phénoménalise en

s'auto-donnant en chaque chose vivante singulière. Une telle vision phénoménologique de la vie n'exclut rien de ce qui peut être éprouvé comme phénomène pathétique et comme événement continuel dans l'archi-affectivité de la vie, l'espace profond véritable de toute phénoménologie de la naissance. Et si une phénoménologie de la religion peut être possible à ce niveau, c’est parce que la religion et la foi n'ont d'autre "lieu" phénoménologique privilégié que l'affect que présuppose toute puissance de l'intellect.

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