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Théories de l’appel à la peur

3 CHAPITRE II : Des dangers aux comportements de sécurité

3.2 Modélisation : De la représentation du risque à la mise en place d’un comportement de

3.2.2 Réponses associées à une représentation du risque

3.2.2.2 Théories de l’appel à la peur

La toute première expérimentation relative à l’efficacité persuasive d’un appel à la peur a été menée par Janis et Feshbach en 1953. Durant cette expérimentation, trois groupes de lycéens ont reçu une version différente50 d’un même message traitant des dangers liés à une

mauvaise hygiène dentaire. Les messages proposés se distinguaient essentiellement par le degré de nocivité des conséquences associées au non-respect des recommandations avancées. Une semaine plus tard, les résultats recueillis mettent en évidence que 36 % des sujets déclaraient se laver plus fréquemment les dents depuis leur exposition au message, et ceci pour le message de faible peur. Plus les sujets étaient exposés à des messages forts et moins ils verbalisaient d’effets sur leur brossage. Néanmoins un gain était observable pour les trois51

groupes. De très nombreux travaux vont succéder à cette étude notamment pour étudier les effets de l’appel à la peur. Cependant la relation forte peur/effet négatifs sur le comportement va être sujette à controverse (Girandola, 2000 ; Witte et Allen, 2000).

En 1962, Janis et Terwilliger, présentent des conclusions qui vont dans le sens de celles de la première étude de Janis et Feshbach en 1953. Les auteurs ont étudié la résistance à la persuasion, dans le cadre d’une campagne de lutte contre le tabagisme. Les expérimentateurs présentaient, à un premier groupe, un message fortement menaçant et à un second un message faiblement menaçant. Les deux messages comportaient, en conclusion, une recommandation préconisant l’arrêt du tabac. Après l’exposition aux messages, il était demandé à chaque sujet d’exprimer ses pensées. Les résultats montrent que les fumeurs exposés à une forte menace critiquent et remettent en cause les arguments persuasifs. Les auteurs ont mis en évidence le

50 Trois versions étaient proposées :

• Forte peur avec des images de dents et de gencives très dégradées. Des commentaires insistaient sur des possibles complications touchant d’autres organes aux conséquences irréversibles.

• Peur modérée, présentant des images moins fortes et des conséquences moins graves

• Peur faible, mentionnant de façon allusive des conséquences éventuelles d’un défaut de brossage régulier.

danger de l’utilisation d’une trop forte menace, à savoir, le développement chez l’individu d’une résistance psychologique aux éléments du message et la manifestation de mécanismes de défense. Nous présenterons un peu plus tard ces mécanismes de défense.

Nous pouvons évoquer que ce n’est pas l’exposition à un message générant une peur importante qui amène les individus à se détourner du message mais principalement une mauvaise présentation des recommandations (Leventhal, Singer et Jones, 1965 ; Leventhal et Singer, 1966 ; Girandola, 2000).

Il est important de souligner à ce stade que ces modèles ont un objectif de persuasion, c’est-à-dire un objectif de modification des attitudes et à terme des comportements. Cette persuasion va donc impliquer une source (émetteur) et une cible (récepteur).

Les modèles que nous présentons possèdent une dimension très cognitive et prennent peu en compte la composante affective. Nous verrons que les travaux récents de Damasio (2003) et de Slovic, Finucane, Peters et MacGregor (2004) insistent sur la nécessité d’inclure une composante affective dans ces démarches de modélisation. Cependant ces modèles présentent l’avantage d’avoir une utilité pour l’action.

Rogers (1983) va proposer un modèle sous-tendant une approche en termes de coûts/bénéfices. Ce modèle de « motivation à la protection » précise comment un comportement s’explique par la valeur perçue de ses conséquences. L’individu choisirait librement et selon un processus conscient les moyens nécessaires pour atteindre les objectifs qu’il s’est fixé. Les choix de cet individu résulteraient d’une évaluation coût vs bénéfice de la réalisation du comportement. Ainsi toujours dans une approche cognitive, pour qu’un comportement soit réalisé, il doit présenter plus de bénéfices que de coûts.

Selon le modèle de Rogers (1983), la motivation à la protection va dépendre de la différence entre l’évaluation de la menace52 et l’évaluation du coping53. Nous détaillerons plus

tard précisément ce que nous entendons par coping mais ce dernier va ici représenter la manière de s’ajuster à la menace.

L’auteur présente quatre concepts (i.e., l’auto-efficacité, la sévérité, la vulnérabilité et l’efficacité des recommandations) qui représentent pour lui les composantes de l’appel à la peur. Ces critères participent à l’émergence de la motivation à la protection qui va dépendre également des bénéfices des comportements non sécuritaires et du coût des recommandations

51 22% des sujets exposés au message de peur modérée et 08% des individus exposés à une forte peur. 52 La menace est en fait le risque.

(Priolo, 2005). L’ensemble de ces éléments détermine l’évaluation de la menace et l’évaluation du coping.

Ainsi, pour évaluer la motivation à la protection :

• L’individu examine l’efficacité de la réaction (Est-ce que je crois que l’action recommandée permettrait vraiment d’éviter le danger ?) puis son auto-efficacité, c’est-à-dire sa propre capacité à suivre les recommandations (« Est-ce que je me sens capable d’agir de la façon recommandée ?). Il évalue également les coûts que lui imposerait un comportement adéquat aux recommandations (Courbet, 2003). La différence entre ce dernier point (i.e., coût des recommandations) et les deux premiers (i.e., efficacité des recommandations et auto-efficacité) représente l’évaluation pour lutter contre la menace perçue (i.e., coping).

• La sévérité (i.e., gravité) et la vulnérabilité perçue augmentent la menace alors que les bénéfices du comportement non sécuritaire diminuent la menace. La différence entre ces deux représente l’évaluation de la menace.

La figure 21 ci-dessous illustre ces propos.

Efficacité des recommandations Auto-efficacité PEUR Evaluation du coping Coût des recommandations Sévérité Vulnérabilité Bénéfices Evaluation de la menace Motivation à la protection

-

-

=

=

Figure 21 : Schéma de la théorie de la motivation à la protection, d’après Rogers (1983), modifié

Au cours de cette démarche décisionnelle séquentielle si l’une des séquences n’est pas validée l’individu va chercher à maîtriser sa peur.

Même si ce modèle a été validé par des recherches (Seydel, Taal et Wiegman, 1990 ; Sturges et Rogers, 1996) comme relativement fiable pour la prédiction des intentions

comportementales, l’importance apportée à la cognition fait apparaître les individus comme des êtres fortement rationnels54, ce qui est en décalage avec les études récentes (Damasio, 2003 ; Slovic et al., 2004).

Cette théorie peut être enrichie par les travaux de Leventhal (1971) mais surtout par ceux de Witte (1992 et 1998) qui reprend les modèles de Rogers (1983) et Leventhal (1971).

En effet, Leventhal (1971), au travers de son modèle des réponses parallèles, indique que face à un message représentant un danger, le récepteur met en place deux types de réponses en parallèle : d’une part, il traite le danger lui-même et, d’autre part, il tente de diminuer la peur que déclenche le message.

Le traitement du danger consiste à contrôler le danger par un processus de résolution de problème. Il s’agit d’un traitement analytique du danger visant l’élaboration des comportements. Le traitement de la peur sera réalisé par un processus émotionnel.

Witte (1992) signale que le danger représenté dans le message déclenche une peur plus ou moins intense. Cette peur va interférer avec le premier type de réponse. Witte (1998) propose un modèle étendu des réponses parallèles. L’auteur y référence et définit les conditions nécessaires à la peur (cf. figure 22). Ainsi pour que de la peur soit générée suite à l’exposition à un message deux composantes sont importantes. Il s’agit de la menace perçue et de l’efficacité perçue :

• La menace perçue est composée de deux dimensions : la sévérité perçue (i.e., gravité perçue) et la vulnérabilité perçue. Selon Witte (1998, p. 429), la vulnérabilité perçue est la « croyance qu’a une personne concernant le risque

qu’elle encourt vis-à-vis d’une menace ». L’intensité de cette menace concourt à

établir la sévérité perçue qui est la « croyance qu’a une personne à propos de la

signification ou de l’ampleur d’une menace ».

• L’efficacité perçue est déterminée par l’efficacité des recommandations et l’auto-efficacité. Les recommandations proposées dans le message permettent de faire face à la menace perçue. Il faut pour cela qu’elles soient efficaces et auto- efficaces (Priolo, 2005). Selon Witte (1998, p. 429), l’efficacité des recommandations est « la croyance qu’a une personne à propos de l’efficacité

de la réponse recommandée dans l’évitement de la menace » et l’auto-efficacité

est la « croyance qu’a une personne à propos de sa capacité à mettre en œuvre

les recommandations afin de se prémunir de la menace ».

Ainsi quand la menace perçue est supérieure à l’efficacité perçue, le processus de contrôle de la peur qui se met en place. A l’inverse, quand l’efficacité perçue est supérieure à la menace perçue, c’est le contrôle du danger qui se met en place (Priolo, 2005).

Figure 22 : Modèle étendu des réponses parallèles, d’après Witte (1998), modifié. Witte (1998) décrit également les deux processus initialement proposés par Leventhal (1970). Ces processus amèneront soit au contrôle du danger, soit au contrôle de la peur :

• Le contrôle du danger est considéré par l’auteur comme la stratégie que les individus souhaitent mettre en place pour éviter la menace. Il le définit comme un processus cognitif qui révèle une motivation à la protection et qui apparaît lorsqu’un individu croit qu’il est capable de se prémunir efficacement d’une menace importante pour lui par des changements auto-protecteurs.

• Le contrôle de la peur est selon Witte (1998) considéré comme un processus émotionnel qui révèle une motivation défensive et qui apparaît lorsqu’un individu est confronté à une menace importante pour lui et qu’il se croit incapable de mettre en œuvre les réponses recommandées et/ou pense que les réponses seraient inefficaces.

L’individu met en route un processus de gestion des émotions négatives pour diminuer la peur ressentie (Leventhal, Nerenz et Steele, 1984). Ces mécanismes de défense conduisent à

Composantes du message Auto-efficacité Efficacité des recommandations Vulnérabilité Sévérité Efficacité perçue (auto-efficacité et efficacité des recommandations) Menace perçue (vulnérabilité et sévérité) PEUR Motivation

défensive Rejet du message Motivation à la

protection Acceptation du message

Pas de menace (pas de réponse)

Spécificités individuelles

Stimuli externes Traitement du message Résultats Processus

(1ère et 2nd évaluation) 1 : boucle de feedback 1 Contrôle du danger Contrôle de la peur

émettre des réponses a priori illogiques ou opposées à la première voie (i.e., contrôle du danger) : accroissement du sentiment d’invulnérabilité, déni du danger, minimisation de la menace, décrédibilisation de la source, émission de comportement inverse (prise de risque),

etc. (Courbet, 2003).

Ces mécanismes de défense permettent de réduire la peur efficacement mais empêchent les réponses du contrôle du danger d’apparaître (Witte, 1998).

La psychologie sociale nous oriente vers un certain nombre de mécanismes que les individus peuvent mettre en place s’ils sont exposés à un danger entraînant une représentation du risque liée à ce danger. Ces mécanismes de défense sont généralement nommés sous le terme de coping.