• Aucun résultat trouvé

Le retour d’expérience et la maîtrise des risques d’accidents majeurs

2 CHAPITRE I : Vers une maîtrise des risques industriels axée sur la formation

2.3 Apprentissage de la maîtrise des risques

2.3.1 Apprentissage par le retour d’expérience

2.3.1.3 Le retour d’expérience et la maîtrise des risques d’accidents majeurs

Du fait de l’importance des facteurs entrant en jeu dans la maîtrise des risques d’accidents majeurs, la démarche de retour d’expérience devient une problématique complexe. A ce jour, nous avons atteint des niveaux de fréquence d’accidents extrêmement bas notamment grâce à une prise en compte importante de la sécurité dans l’entreprise. Celle-ci joue sur trois leviers :

les facteurs techniques, les facteurs organisationnels et les facteurs humains. C’est bien évidemment dans ce troisième registre que nous nous inscrivons au travers de la formation.

Le retour d’expérience peut être défini comme le point initial de la prévention des accidents majeurs. Il n’est pas l’action la plus importante d’un point de vue quantitatif. En effet, le respect des procédures de travail peut être considéré comme un aspect plus important de la sécurité, mais c’est grâce à lui qu’une progression est possible en termes de sécurité. Mais, encore faut-il qu’il soit réalisé et dans de bonnes conditions. Si l’on peut définir le retour d’expérience comme un outil de management (Wybo et al., 2001), utilisé pour identifier les causes de dysfonctionnement par l’analyse des faits (e.g., séances de débriefing, interviews, etc.) et pour en tirer des leçons (e.g., nouvelles consignes, modifications organisationnelles, etc.), encore faut-il pouvoir le mettre en place au sein de l’entreprise.

Les grands groupes industriels ont bien compris l’importance du retour d’expérience que cela soit en termes d’accident du travail ou d’accidents majeurs. Ils se sont focalisés sur les enseignements à tirer des accidents présentant une gravité importante. En mettant en place une démarche proche de l’épidémiologie, il devient pertinent d’investir en mesure de sécurité là où les accidents sont les plus fréquents et les plus graves. Cette démarche a été concluante comme le montre les chiffres d’accidentologie du travail au niveau national24. Dans certaines industries (e.g., industrie pharmaceutique) où le nombre d’accidents est aujourd’hui très faible, on cherche à pallier ce manque de fiabilité en recourant à l’analyse des quasi-accidents ou des incidents ; mais ici se pose alors le problème de la valeur supposée de ces derniers, c’est-à-dire de leurs liens avec les accidents.

Ainsi, suite à l’analyse d’un très grand nombre d’accidents25, Charavel (2003) constate que pour chaque accident grave dans une organisation, il y a eu environ une dizaine d’accidents de moindre gravité, une trentaine d’accidents bénins et six cents quasi-accidents. Ces données sont couramment représentées sous la forme d’un triangle (c.f. figure 14).

24 A titre d’illustration le nombre d’accidents du travail mortels en France est passé de 1420 en 1980, à 626 en

2004. Source INRS et CNAMTS.

25 L’auteur se base sur une étude réalisée au profit de compagnies d’assurances nord-américaines dirigée par Bird

600 30 10

1 Blessures avec incapacité

Blessures mineures

Dommages matériels

Quasi-accidents

Triangle de Bird, 1969

Figure 14 : Le « triangle de Bird »

Selon l’auteur l’analyse des taux de fréquence d’accidents du travail concernant une population de 8 000 personnes réparties sur une vingtaine de sites allant de 25 à 1 500 personnes l’on conduit au même résultat. Cependant comme le signalent Bird et Germain (1969) dans leur étude, ce lien est statistique, il n’y a donc pas forcément de lien de cause à effet.

Rien n’indique donc qu’un accident majeur aurait eu comme événement antérieur un incident qui aurait dérivé. Cependant si ce lien de cause à effet n’est pas démontré, pour de nombreux incidents il est important de prendre en compte leurs gravités potentielles. En effet, certains incidents ont un potentiel de nuisances important, mais il faut pouvoir l’identifier.

Cette remarque nous amène à l’importance pour les industriels de mettre en place des systèmes de retour d’expérience pertinents. En outre depuis la transcription de la directive Seveso II en droit français, les établissements classés Seveso « seuils hauts » doivent mettre en place un système de retour d’expérience au travers de leur système de gestion de la sécurité26.

Il n’y a pas d’obligation structurale pour la mise en place d’un système de retour d’expérience. Ainsi, nous proposons de construire une démarche en cinq points : identification, collecte, analyse, actions correctives et partage.

La phase d’identification correspond à une étape marquée par le repérage des incidents. Il convient tout d’abord pour l’entreprise de définir ce qu’ils entendent par incident (e.g., arrêt d’une pompe, déclenchement d’une alarme, etc.). Il apparaît dès cette étape qu’une formation du personnel peut s’avérer indispensable afin de s’entendre sur la notion d’incident.

La phase de collecte des incidents est représentée par le formalisme à mettre en place pour retranscrire l’événement. Cette étape peut prendre plusieurs formes mais généralement un

formalisme (e.g., fiche incident) commun est utilisé. L’utilisation d’un outil informatique peut s’avérer fort utile pour le stockage des différents incidents.

La phase d’analyse est une étape critique car bien souvent il n’est pas possible de prendre en compte tous les incidents. En effet, l’analyse est un processus coûteux, il convient donc de définir des « filtres » pour ne s’attacher qu’aux incidents ayant le « potentiel » le plus intéressant. Il convient de préciser des critères. Le premier peut être le potentiel de gravité. Nous avons vu précédemment qu’il était aisé d’utiliser des échelles de gravité, il est ainsi possible de côter la gravité potentielle en imaginant « Quelles auraient été les conséquences si aucune sécurité n’avait fonctionné ? » ou « Si un événement supplémentaire était survenu à ce moment, les conséquences auraient t’elles pu être plus graves ? ». Un second critère est proposé par Wybo (2006) il s’agit du potentiel d’apprentissage de l’événement. En effet, certains incidents peuvent présenter des caractéristiques pédagogiques intéressantes et peuvent donc être utilisées sous formes d’études de cas.

La phase d’actions correctives ne pose en soi pas de problèmes particuliers. Suite à l’analyse, des actions sur le plan technique, organisationnel ou humain peuvent être proposées. Cependant à cette étape il est indispensable d’y associer une nouvelle étape d’analyse de risque. En effet, comme lors de notre méthodologie d’évaluation des risques au poste de travail il convient de réévaluer les risques après une modification afin d’être sûr que celle-ci n’a pas créée de nouveaux risques.

La dernière phase est la plus importante mais n’a de sens que si les autres étapes ont été réalisées avec soin. Il s’agit de la phase de partage, c’est-à-dire que les analyses de certains incidents vont être partagées avec d’autres acteurs de l’entreprise. On devine que cette phase est également la plus difficile car il convient de se poser la question de la forme de partage la plus appropriée (e.g., fichier électronique, fiches papier, diaporama, etc.) ainsi que du mode de partage (e.g., affichage, courrier, conférence, etc.).

Aujourd’hui la démarche des grands groupes industriels a évolué vers une volonté de partage des incidents au sein de leurs établissements. Ceci posera un certain nombre de problèmes lorsqu’il faudra faire modifier le comportement des acteurs sur ce point et en évaluer l’efficacité. Cependant, cette voie de progrès permettra d’améliorer la conduite de systèmes à risques pour reprendre les termes d’Amalberti (1996). Nous reviendrons plus tard sur ce point car ces phases de retour d’expérience peuvent être caractérisées comme des comportements de sécurité à mettre en place au sein de l’entreprise.