• Aucun résultat trouvé

4 CHAPITRE III : La formation « Culture de Sécurité » : Concevoir, mettre en place et

4.3 Expérimentation

4.3.2 Faible vividité

Cette expérimentation a été conduite suivant le plan expérimental : 2, Formation (avant vs après). Ce plan s’applique à nos huit variables dépendantes : vulnérabilité perçue, gravité perçue, efficacité des recommandations, auto-efficacité, bénéfice-coût, intention comportementale, comportement passé et retour d’expérience.

Tout d’abord nous allons procéder à une présentation de notre support que nous qualifierons de faible vividité, puis nous présenterons les résultats issus du pré-test afin d’évaluer la réaction émotionnelle des individus à l’exposition à ce message. Dans un dernier temps nous présenterons les résultats issus de notre expérimentation. Nous détaillerons les résultats dimension par dimension puis nous les discuterons.

4.3.2.1 Présentation du support de faible vividité

Pour ce support, nous avons choisi une vidéo d’environ huit minutes retraçant sous une forme scénarisée la plus grande catastrophe chimique de l’histoire88, à savoir l’accident de Bhopal en Inde (1986). Cette vidéo présente pour nous plusieurs intérêts. D’une part, elle retrace parfaitement la succession d’événements amenant à l’accident, et d’autre part elle insiste sur la non prise en compte du retour d’expérience. Ce support présente un certain nombre de règles qui ont été transgressées et qui ont conduit à cette catastrophe. Du fait du bilan désastreux de cet accident chimique (i.e., plusieurs milliers de morts), cette vidéo est susceptible d’éveiller une réaction émotionnelle chez les personnes qui la visionnent.

Concernant les critères de notre modèle, cette vidéo expose bien le danger (i.e., isocyanate de methyle), le risque associé (i.e., intoxication) et elle présente une forte gravité des conséquences (i.e., près de 4000 morts). La vulnérabilité perçue n’est qu’indirectement ressentie car cet accident s’est produit en Inde. Néanmoins, c’est un procédé chimique

classique et il est décrit comme un procédé parfaitement conçu et ne présentant pas de problème de conception initiale tout comme les procédés industriels utilisés en France.

Nous le classons cependant a priori comme un message de faible vividité car c’est un dessin animé et cet accident s’est déroulé il y a quelques décennies et dans un pays éloigné géographiquement.

4.3.2.2 Pré-test portant sur l’évaluation émotionnelle pour le support de faible vividité

Nous avons réalisé un pré-test afin d’évaluer la réaction émotionnelle des individus à ce support.

Les items mesurant la « peur » ont fait l’objet d’un calcul d’alpha de Cronbach. Cette variable a ensuite été traitée par une analyse de variance (ANOVA) sur la moyenne des items correspondants.

L’ANOVA pour (ANalysis Of VAriance) est couramment utilisée lorsque l’on cherche à comprendre le lien entre deux variables X et Y.

X étant représentée par la Variable Indépendante (VI) et Y par la Variable Dépendante (VD).

Lorsque l’on cherche à comprendre un lien entre plusieurs variables, de nombreuses méthodes existent (e.g., régression logistique, régression linéaire, etc.). C’est généralement le type de variables qui indique quelle méthode choisir a priori. Ainsi lorsque la VI est nominale et la VD est numérique, l’ANOVA est couramment utilisée.

Imaginons qu’un formateur veuille évaluer l’efficacité de sa formation. Il va prendre comme critères le score à un test de performance. Il dispose donc d’une variable dépendante (VD) numérique. Il veut voir comment sa formation influence le score de performance. Il va comparer deux groupes l’un ayant suivi la formation (i.e., groupe 1) et l’autre pas (i.e., groupe 2). Il dispose donc d’une variable indépendante (VI) nominale. Imaginons que le premier groupe obtienne une moyenne de 15/20 et le second une moyenne de 10/20. Le formateur observe une différence de performance au test entre les deux groupes. Le chercheur pourrait se dire que dans le groupe 1, certaines personnes étaient à l’origine nettement plus performantes que les autres et sont donc la cause de cette différence de performance. Elle serait due au hasard de l’échantillonnage qui a fait que le groupe comporte des personnes excellentes à l’origine alors que le groupe 2 n’en comptait pas. Pour rejeter cette hypothèse que l’on va appeler hypothèse nulle, il faut utiliser le test de l’ANOVA. Ce test prend en compte la variance au sein des deux groupes. Autrement dit, il tient compte du fait que les personnes qui composent les deux groupes sont toutes différentes et vont répondre de manière hétérogène c’est-à- dire certaines très bien et d’autres moins bien. L’ANOVA tient compte également de la variance entre les groupes c’est-à-dire des différences entre les deux groupes. Quand la variance entre les groupes est supérieure à celle entre les personnes qui composent les groupes l’ANOVA est dite significative. Cela se traduit par un indice F qui est le rapport de la variance entre les groupes et au sein des groupes. La valeur de F va ensuite être comparée à une valeur critique (i.e., loi de Fisher-Snedecor). Si F est supérieure à la valeur critique il est significatif sinon il n’est pas significatif. La valeur critique n’est pas fixe, elle dépend du nombre de personnes qui composent les groupes et du nombre de conditions que l’on compare (dans notre exemple il y avait deux conditions : avec formation vs sans formation). Il existe des tables de valeur critique qui permettent de vérifier si la valeur du F est supérieure ou pas à la valeur critique. Si c’est le cas, cela signifie que la compétence d’origine des personnes qui composent les groupes est négligeable en comparaison de l’impact de la formation. Donc la différence de performance au test est due pour une part non négligeable à la formation. Le formateur peut donc conclure que sa formation a eu un effet.

Cette conclusion n’est pas sure à 100%, on va l’accepter si on a moins de 5% de chances de se tromper soit p < .05. Dans certains cas, on parle d’effet tendanciel quand la probabilité de se tromper est comprise entre 5 et 10 % (i.e., p > .05 et p < .10).

Le formateur peut aussi déterminer dans quelle mesure sa formation a eu un effet en calculant une taille d’effet ou η². La taille d’effet renvoie à la proportion de variance entre les groupes qui est due à la formation. La taille d’effet s’exprime en pourcentage, par exemple dans notre cas si η² = .23 cela signifie que la différence de moyennes est due à 23 % à la formation ; 77 % de la différence reste inexpliqué et nécessite des études complémentaires.

Ainsi, l’ANOVA « peut se comprendre à la fois comme une méthode permettant de construire un

modèle, c’est-à-dire une représentation simplifiée mais (on l’espère) pertinente de la réalité, et également comme un test statistique portant sur le lien entre deux variables. » (Gauvrit, 2006 ; p. 91- 92.).

On observe une forte cohérence interne entre les items qui mesurent la peur, la valeur de l’alpha de Cronbach89 étant égale à .81. Nous observons un effet principal de la variable « message », F(1, 32) = 22.95, p < .01, η² = .42 . La peur rapportée par les sujets est plus forte après l’exposition au message faisant appel à la peur (M = 2.99 ; E-T. = 1.59) qu’avant (M = 1.83 ; E-T. = 0.79).

Au vu de notre échelle en 7 points, ce message éveille bien la peur et nous le désignerons comme faiblement vivide.

4.3.2.3 Résultats de FAIBLE

Toutes nos variables dépendantes ont fait l’objet, une à une, de calculs d’alpha de Cronbach. Ces variables ont ensuite été traitées à l’aide d’analyses de variance sur la moyenne des items correspondants.

Nous présentons, les résultats ayant un p < .05 (i.e., significatifs) ainsi que les résultats ayant un p > .05 mais inférieur à p < .10 (i.e., tendanciels).

Nous n’avons pas obtenu d’effets sur les différentes dimensions suivantes : vulnérabilité perçue, gravité perçue, auto-efficacité, bénéfice-coût, intention comportementale et retour d’expérience. Nous avons obtenu des effets sur l’efficacité des recommandations et du comportement passé.

Il convient immédiatement de noter que les moyennes rapportées par les individus avant la formation pour l’ensemble des dimensions sont extrêmement hautes. Elles varient entre M = 5.15 et M = 5.97 sur une échelle en 7 points.

Concernant l’efficacité des recommandations, nous obtenons un effet inverse à notre hypothèse. On constate une forte cohérence interne entre les items qui mesurent l’efficacité

89 Il convient de vérifier si les items de nos questions renvoient bien à la même dimension. L’alpha de Cronbach

est un indicateur qui permet de calculer la cohérence interne entre les items lorsque leur nombre est supérieur à deux.

Pour la cohérence entre des items nous nous référons à Guéguen (2007) qui pour l’alpha de Cronbach définit les éléments suivant. De 0 à .50 : cohérence insuffisante. De .50 à .70 : cohérence faible ou moyenne. De .70 à .99 : cohérence élevée ou très élevée.

des recommandations, la valeur de l’alpha de Cronbach étant égale à .77. Nous observons un effet tendanciel de la variable « formation », F(1, 24) = 3.28, p < .08, η² = .12. L’efficacité des recommandations rapportées par les sujets est plus faible après la formation (M = 5.62 ; E-T. = 1.04) qu’avant (M = 5.97 ; E-T. = 0.64).

Concernant les comportements passés, on note une forte cohérence interne entre les items qui mesurent les comportements passés, la valeur de l’alpha de Cronbach étant égale à .83. Nous observons un effet principal de la variable « formation », F(1, 24) = 5.26, p < .03, η² = .18 . Les comportements passés rapportés par les sujets sont plus importants après la formation (M = 5.65 ; E-T. = 1.01) qu’avant (M = 5.15 ; E-T. = 1.66).

4.3.2.4 Discussion des résultats

Contrairement à notre hypothèse, la formation des individus avec la présence d’un message de faible vividité n’a pas permis d’obtenir de meilleurs résultats sur nos dimensions après la formation. Nous observons même un effet tendanciel inverse sur l’efficacité des recommandations rapportées. Il est possible que l’émotion générée par le message de la catastrophe de Bhopal ait modifié l’appréciation de l’efficacité des recommandations mises en place. Si c’est effectivement le cas, cela indiquerait que toutes les mesures présentées hors contexte émotionnel n’ont pu être perçues comme réellement efficaces.

Il convient de relativiser ces résultats au vu des moyennes qui sont très hautes. Il est donc statistiquement plus difficile d’obtenir des effets. Par contre, si les moyennes sur l’ensemble des dimensions sont importantes, c’est un indicateur intéressant sur le fait que les individus sont disposés favorablement à mettre en place des comportements de sécurité adéquats comme nous l’indique la moyenne pour la dimension « intention comportementale » : Mavant = 5.85 et Maprès = 5.90 (alpha de Cronbach = .60).

Sur le plan théorique, il est intéressant de noter qu’après la formation, les individus rapportent avoir mis en place plus de comportements de sécurité que dans le passé. Ce qui ne peut être le cas car les individus ne sont pas retournés sur leur lieu de travail et les questions renvoient bien à des éléments dans le passé (e.g., Dans le passé, j’ai rempli des fiches

incidents ou des constats d’incidents.) qui ne peuvent être confondues avec ce qui est réalisé

dans la formation. La formation modifierait donc chez les individus la représentation de leur passé. Ce point est intéressant car on sait que le comportement passé est lié à l’intention comportementale et aux comportements futurs (Bentler et Speckart, 1979). Albarracin et Wyer (2001) ont montré que le comportement passé peut, dans certaines situations, modifier les intentions, les attitudes et le comportement futur même si celui-ci n’a pas été produit mais simplement si les individus croient l’avoir effectué.

Dans le cadre de notre expérimentation, nous pensons que si nous n’avons pas réussi à modifier la menace perçue (i.e., vulnérabilité et gravité perçue), il est possible que cela soit lié au fait que notre vividité ne soit pas assez forte. Ainsi, nous avons décidé de réaliser une seconde expérimentation présentant cette fois-ci un message de plus forte vividité.