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3 CHAPITRE II : Des dangers aux comportements de sécurité

3.1 Risque, persuasion et prédiction des comportements

3.1.1 D’une évaluation « objective » à une évaluation « subjective » du risque

3.1.1.1 L’approche probabiliste

Historiquement, les mathématiciens sont les premiers à avoir abordé la problématique « risque ». Très rapidement, ils se sont aperçus qu’il n’était pas toujours possible d’évaluer « objectivement » le risque. Le plus souvent, les phénomènes sont bien plus complexes qu’une urne de laquelle des boules de couleurs sont extraites. La « subjectivité » va rentrer dans ces théories concernant le risque. Nous souhaitons évoquer ces travaux, car se sont eux qui serviront de base de réflexion aux chercheurs travaillant sur la construction cognitive de « l’objet » risque.

Dans le domaine des risques, c’est le calcul des probabilités qui représente le point de départ de la démarche économique, initialement sous une forme assez intuitive. Ce raisonnement intuitif de départ utilise un outil de la démarche probabiliste : l’espérance mathématique32. Cette démarche consiste à généraliser l’analyse coût-bénéfice en intégrant le caractère aléatoire des bénéfices et des coûts grâce au calcul des probabilités. Cette démarche est représentée par le concept de « probabilités objectives ».

Utile et pédagogique, ce formalisme de l’espérance mathématique est cependant trop simple par rapport à la réalité psychologique et sociale.

En effet est-il possible de connaître « objectivement » les probabilités d’événements qui structureront l’avenir ? Ainsi, lorsque l’on joue à pile ou face, on sait affecter aux résultats des probabilités fondées sur des régularités objectives telles que la symétrie de la pièce. Mais il y a des cas où l’ignorance des phénomènes en cause est telle qu’on ne peut reproduire cette démarche. On dit alors qu’il y a incertitude.

Le lien entre probabilités objectives et incertitude sera la base d’une théorie : celle des « probabilités subjectives ». Ainsi selon Savage (1954) cité par Gollier et Walliser (2001), en

31 Profane : qui n’est pas initié à un art, une science, une technique, un mode de vie, etc. (source : Le Petit

Robert). Par profane nous entendons, les acteurs qui n’ont pas été initiés à la maîtrise des risques. Nous aurions pu prendre le terme d’initié, mais au vu de la quasi-inexistence de formations et d’informations sur la maîtrise des risques nous préférons conserver ce terme. Il est tout de même important de signaler que le code du travail prévoit une formation obligatoire dans chaque entreprise, mais pas pour les populations (sauf dans le cas du voisinage d’un site à risques élevés).

32 Par exemple dans le cas d’un pari ou d’une loterie, l’espérance mathématique est représentée par le produit du

gain escompté par la probabilité de l’obtenir (Si j’ai une chance sur cent de gagner dix mille euros, l’espérance est de cent euros.).

situation d’incertitude les individus peuvent se comporter comme s’ils attribuaient aux événements incertains une probabilité, dite subjective.

Il existe ainsi deux positions : objectiviste et subjectiviste. Selon Tallon et Vergnaud (2002), dans la vision objectiviste, la probabilité d’un événement est une propriété physique de cet événement et elle n’existe que si son occurrence peut être répétée au cours de plusieurs expériences menées dans des conditions identiques. La probabilité correspond à la fréquence observée à long terme. Cette théorie présente une distinction pertinente entre risque et incertitude (introduit par Knight et Keynes, tous les deux en 1921). Tous les événements probabilisés dont les fréquences sont observables (e.g., crue décennale, possibilité de développer un cancer pour un fumeur depuis 30 ans, etc.) relèvent du risque. Par contre, toutes les situations où l’on ne dispose pas de données suffisantes pour calculer des fréquences, ou si l’événement ne peut pas se répéter (e.g., on ne peut attribuer des probabilités au fait qu’un pays décide d’abolir ou non la peine de mort) relèvent de l’incertitude. Il y a risque lorsque l’incertitude est probabiliste ; dans le cas contraire, on dit qu’on est dans l’incertain.

Selon Schmidt (1999, p. 69), par probabilités subjectives on entend couramment, depuis Savage (1954) : « une interprétation particulière de probabilités mathématiques, entièrement

dérivée des préférences individuelles dont sont dotés les agents ».

Cette position subjectiviste refuse l’idée d’une existence physique des probabilités. Selon Tallon et Vergnaud (2002), suivant cette orientation, tout n’est que projection psychique : les probabilités existent uniquement en tant que probabilités subjectives, c’est-à-dire en degrés de croyances d’un individu.

Cette approche des probabilités subjectives va proposer une approche élargie prenant en compte les croyances des individus. Cette prise en compte repose sur deux notions : l’aversion pour le risque et l’aversion pour l’ambiguïté.

L’aversion pour le risque exprime le fait que les individus n’ont pas une perception symétrique de leur espoir de gains et de leur possibilité de pertes. Selon Gollier et Walliser (2001, p.73), « la plupart des individus sont en effet prêt à jouer à une loterie ressemblant au

loto français, où l’on a une probabilité infime d’emporter un gain considérable et une forte probabilité d’une petite perte. A l’inverse, le plus grand nombre ne jouerait pas, ou jouerait bien moins volontiers, à un jeu dont le résultat pourrait être, avec une assez forte probabilité, un gain modéré et, avec une probabilité dérisoire, une énorme perte, par exemple un placement financier généralement rentable mais pouvant se solder par la ruine dans des cas très exceptionnels. ».

L’aversion pour l’ambiguïté est un trait psychologique qui vient se rajouter à l’aversion pour le risque. Les personnes semblent en effet faire une différence importante entre les contextes de probabilités et ceux pour lesquels il est impossible ou en tout cas très difficile, d’assigner des probabilités subjectives aux événements considérés, parce qu’ils ne se produisent pas ou qu’un très faible nombre de fois. Les individus préfèrent les situations où les risques sont clairement mesurés et bien identifiés aux situations ambiguës pour lesquelles, au contraire, on ne dispose que de très peu de données.

L’aversion pour l’ambiguïté, semble donc souligner que les individus préfèrent disposer de probabilités plutôt que d’avoir à les formuler subjectivement sur la base d’informations insuffisantes.

Gollier et Walliser (2001), supposent que c’est très probablement cette aversion pour l’ambiguïté qui explique l’inquiétude et les réticences de l’opinion publique française suscitées par la problématique des organismes génétiquement modifiés.

Pour les auteurs, les individus préféreront donc toujours une situation risquée (avec des probabilités connues) à une situation ambiguë (ou radicalement incertaine).

Cette approche économique et mathématique du risque a donc profité pleinement aux assureurs. Selon Picard (1999) les choix d’assurance ou les comportements de prévention ou d’autoprotection résultent de la confrontation des risques objectifs et du désir plus ou moins grand que les individus ont de s’en protéger, c’est-à-dire de ce que les économistes appellent leur « aversion pour le risque ». Dans la logique actuelle de l’assurance, le risque reste une donnée objective, reflet des sinistres passés, vécue par de nombreux individus placés dans des conditions similaires et ayant les mêmes comportements (Picard, 1999).

Le modèle coût-bénéfice est à l’origine des modèles qui tentent de représenter l’opération mentale que chaque individu effectue lorsqu’il détermine sa vitesse au volant, installe une alarme antivol, réduit sa consommation de cigarettes ou d’alcool ou bien détermine la structure de son portefeuille financier (Gollier, 1998). Si les fondements de cette analyse ne posent pas de problème spécifique, il n’en est pas de même en ce qui concerne l’évaluation du coût et des bénéfices de la prévention. En effet, en général le coût et les bénéfices ne sont pas instantanés. Dans les cas les plus standard, le coût est payé aujourd’hui, mais les bénéfices sont distribués dans le temps (Gollier, 1998). Des auteurs (Raufaste et Hilton, 1999) définissent ces cas de « choix intertemporel », qui consiste à décider entre des possibilités d’actions dont les coûts et les bénéfices associés ne sont pas simultanés. Par exemple, dans les investissements en matériels technique, le coût est immédiat tandis que les bénéfices escomptés n’interviennent qu’à plus ou moins longue échéance. Selon ces auteurs une

proportion importante de sujets néglige la dimension temporelle dans l’évaluation globale des bénéfices escomptés. Ils choisissent les options offrant le retour sur investissement le plus rapide, même si cela est, au bout du compte, moins avantageux. Raufaste et Hilton (1999), définissent ceci comme un phénomène « de myopie » par rapport à l’horizon temporel.

Cette approche est cependant insuffisante, les travaux de psychologie expérimentale montrent l’importance des mécanismes de représentation des risques par les individus. Selon Picard (1999), d’une certaine manière, pour les individus concernés, le risque n’est pratiquement jamais une donnée parfaitement objective car son appréciation résulte d’une construction mentale et de la mobilisation de ressources cognitives.

Ainsi, les individus n’appréhendent pas les probabilités et le risque de façon objective mais est-il possible d’approcher le fonctionnement cognitif des individus pour en inférer leurs réponses par rapport aux risques ?