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La théorie de l’engagement

3 CHAPITRE II : Des dangers aux comportements de sécurité

3.2 Modélisation : De la représentation du risque à la mise en place d’un comportement de

3.2.3 L’engagement ou l’influence du comportement sur le comportement

3.2.3.1 La théorie de l’engagement

Pendant la seconde guerre mondiale, les Américains ont été confrontés à des problèmes de rationnement alimentaire. Il a donc fallu changer les habitudes alimentaires des familles américaines et notamment consommer des bas morceaux de boucherie. Le gouvernement américain a mis en place des campagnes de communication qui ne furent pas d’un grand effet. Les autorités décidèrent de solliciter un chercheur pour modifier les comportements alimentaires des ménagères. Kurt Lewin (1947) se questionnait sur les moyens à mettre en place pour modifier les comportements d’un groupe : « Pour modifier efficacement l’idéologie et le comportement d’un groupe, devrait-on avoir recours à la radio, à l’affichage, aux conférences ou à d’autres moyens et méthodes, et lesquels ? (Lewin, 194756) ».

Ainsi Lewin (1947) décida d’optimiser la stratégie prévalante du moment : la persuasion. Pour cela, il invita des petits groupes de ménagères à une conférence qui leur vantait les mérites sur le plan économique et nutritionnel de la préparation de bas morceaux de boucherie plutôt que des pièces nobles (celles-ci faisant défaut). Après avoir été exposées pendant quarante-cinq minutes à cette information par le biais d’un conférencier de talent, elles recevaient des recettes pour préparer ces morceaux à leurs familles. Suite à cette campagne,

les succès étaient au rendez-vous sur le plan de la motivation et des attitudes puisque la majorité des ménagères étaient convaincues des arguments avancés mais seulement 3 % d’entre elles se mirent à servir des bas morceaux au sein de leurs foyers. Au vu de ces résultats, Lewin (1947) dut admettre que même si la conférence avait pu faire apparaître les attitudes et la motivation attendues cela ne permettait pas de déboucher sur de nouveaux comportements.

Lewin (1947) mit en place une seconde stratégie, toujours en petits groupes, les ménagères recevaient les informations similaires mais cette fois plus sous la forme d’une conférence mais d’une discussion de groupe sous l’impulsion d’un animateur. A la fin de la réunion, l’animateur sollicitait les ménagères afin qu’elles indiquent à main levée si elles étaient disposées à cuisiner les bas morceaux dans la semaine suivante. La majorité des ménagères était convaincue des arguments avancés mais cette fois-ci 32 % d’entre-elles servirent des abats. Lewin (1947) venait de découvrir un lien entre motivation et action : la décision. Il venait de découvrir « l’effet de gel ». « Ce lien est fourni par la décision, mais n’est

habituellement pas fourni par les conférences, voir les discussions. Ceci semble être l’explication (…) de ce fait paradoxal qu’un processus, comme celui de la décision, qui ne prend que quelques minutes, soit à même d’affecter la conduite pendant plusieurs mois. La décision relie la motivation à l’action et semble avoir dans le même temps « un effet de gel » qui est dû en partie à la tendance de l’individu à « adhérer à sa décision » et en partie à « son engagement vis-à-vis du groupe. » Lewin (1951, p. 233). Pour l’auteur, l’effet de gel bloque

l’individu dans son choix et l’amène à faire ce qu’il a décidé de faire. Un premier point intéressant souligné par Lewin (1947) est le fait que cet effet de gel soit imputable à l’acte même de décision et non pas aux raisons qui ont pu le conduire à décider. Cet effet de gel sera répliqué expérimentalement. Les travaux de Moriarty en 1975 mettront encore plus en exergue le poids de la situation dans la détermination des comportements. Un deuxième point mis en lumière par l’auteur est la persistance dans le temps de ce comportement. Cette persistance, voir l’escalade dans les comportements sera nommée escalade d’engagement (Staw, 1976 ; Staw et Ross, 1989) et montrera l’extrême difficulté à revenir sur une décision.

En 1966, à Palo Alto, Freedman et Fraser (1966) réalisent une expérimentation qui va ouvrir le champ d’une nouvelle voie de la modification comportementale. Dans une première expérimentation, les expérimentateurs cherchaient à obtenir un comportement de la part de ménagères : l’acceptation de recevoir chez soi une équipe de cinq ou six personnes qui fouilleraient la totalité de leurs habitations afin de connaître leurs habitudes de consommateurs. Cette requête est particulièrement coûteuse et les auteurs vont avoir pour objectif d’augmenter le pourcentage d’acceptation de la part des ménagères.

En condition contrôle (i.e., sollicitation directe par téléphone) : 22,2 % des ménagères acceptent la requête. Afin d’augmenter ce chiffre, les chercheurs vont modifier un élément de leur protocole. Ils vont amener les ménagères à participer au préalable à une enquête téléphonique (i.e., répondre à huit questions sur leurs habitudes alimentaires). Grâce à cet acte préparatoire, le pourcentage de ménagères acceptant de recevoir chez elles l’équipe passera à 52,8 %. Afin de reproduire cet effet, les auteurs ont mis en place une seconde expérimentation portant sur le même principe mais la requête est cette fois-ci plus importante. Il s’agit d’obtenir de résidants de maisons individuelles qu’ils posent dans leur jardin un panneau (de 4m sur 4m !) sur lequel serait inscrit : « Conduisez prudemment » à des fins supposées de sécurité routière. Reprenant le même principe, Freedman et Fraser (1966) ont demandé aux personnes d’apposer sur leur véhicule un autocollant présentant un message d’incitation à la conduite avec prudence. Puis dans un second temps, ils ont demandé aux personnes d’installer ce panneau57. Là encore, les résultats sont sans appels, en situation contrôle (sollicitation directe), 16,7 % des personnes ont accepté, taux qui passe à 76 % dans la condition expérimentale.

La situation a amené ces personnes à produire librement ce comportement. Cette situation étant principalement représentée par la mise en place d’un acte préparatoire. Cet acte préparatoire s’inscrit dans une technique bien connue, celle du pied-dans-la-porte. Les expérimentations portant sur l’efficacité du pied-dans-la-porte sont nombreuses, Guéguen (2002) relate près de trois cents articles publiés dans la littérature en psychologie sur le pied- dans-la-porte. Une méta-analyse réalisée par Burger (1999) montre la robustesse de cet effet. En obtenant un premier comportement peu coûteux, il est possible d’en obtenir un autre plus coûteux. Cependant, même si ces effets sont robustes, qu’est-ce qui amène ces individus à accepter librement une requête qu’ils auraient refusée en première instance ? La théorie de l’engagement (Kiesler, 1971) permet de rendre compte de tels effets.