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Philosophies politiques, Théories économiques

CHAPITRE 2 Théories économiques de la discrimination entre les sexes

Introduction

Le champ des théories économiques de la discrimination est dominé par deux corpus principaux : discrimination par goût et discrimination statistique. La théorie économique s’est attachée à développer des modèles mathématiques dans ces deux postures hypothético-déductives. La lecture conventionnelle des théories de la discrimination s’attache à décrire les approfondissements par ajouts d’hypothèses dans chacun des deux corpus. Selon cette lecture, toutes les théories partent d’une même définition de la discrimination, comme traitement différent de travailleurs ayant les mêmes productivités marginales. Cette définition donnerait différents modèles dans le cadre d’une préférence discriminatoire ou de l’information imparfaite.

Une lecture plus attentive permet de critiquer cette lecture conventionnelle des théories de la discrimination. En effet, le recours au concept de productivité marginale laisse indéterminée la définition de la structure salariale non discriminatoire. Or avant de tenter de définir formellement le comportement discriminatoire, les théories ont besoin de se référer à l’idée d’une structure salariale non discriminatoire, et par conséquent de s’inscrire dans une philosophie politique de la justice. Ce sont davantage ces différences d’inscription qui font que les modèles diffèrent.

Nous présenterons d’abord une double critique de la lecture conventionnelle des théories de la discrimination : ces théories ont tendance à confondre productivité marginale et contribution productive, et se situent au niveau du précepte du sens commun « à chacun selon sa contribution » au lieu de mettre l’accent sur le fonctionnement des structures économiques et sociales. Puis nous essaierons d’inscrire les théories dans le champ pluraliste des philosophies politiques, et ainsi d’approfondir d’anciennes voies théoriques et d’en explorer de plus récentes. Une typologie des théories de la discrimination est donnée en annexe au chapitre.

2.1 Théories économiques de la discrimination

Deux théories de la discrimination ont été principalement développées : la théorie de la discrimination par goût et celle de la discrimination statistique. De nombreuses revues de littérature se rapportant à ces deux théories de la discrimination ont été dressées, voir pour les plus récentes Altonji et Blank (1999) et Havet et Sofer (2002). Aucune théorie ne nuance l’hypothèse normative implicite de la théorie marginale de la juste distribution : toutes partent du postulat marginaliste de la juste distribution. Après avoir présenté ces deux corpus, nous critiquerons ce postulat.

2.1.1 Les théories de la discrimination par goût

Dans le point de vue de la discrimination par goût, on part de l’idée que certains agents ont des préférences discriminatoires à l’encontre des femmes. Selon les agents considérés, trois types de modèles peuvent être distingués : la discrimination par les employeurs ; la discrimination par les travailleurs ; la discrimination par les consommateurs. L’employeur discriminant agit comme s’il maximisait non pas le profit, mais une fonction d’utilité qui est la somme des profits moins le coût psychologique induit par l’emploi des femmes. Le travailleur discriminant agit comme s’il refusait d’être associé à des travailleuses à moins de recevoir une prime spécifique. Enfin, le consommateur discriminant agit comme s’il acceptait de payer le produit plus cher s’il était vendu par un homme que par une femme.

C’est le travail précurseur de Gary Becker (1957) qui a donné lieu au premier modèle général de discrimination par goût. Le modèle de Becker peut être présenté dans une version simplifiée comme dans l’encadré 1. Dans le modèle de discrimination par les employeurs, on voit qu’à productivité marginale égale, il subsiste un écart de salaire égal au coût psychologique marginal de l’embauche d’une femme. Le modèle de la discrimination par les travailleurs tendrait à expliquer la ségrégation sexuée sur le marché du travail : la discrimination a pour conséquence, non pas un écart de salaire, mais une ségrégation maximale ; le plus avantageux pour l’employeur est d’embaucher exclusivement soit des hommes soit des femmes. Enfin, le modèle de la

discrimination par les consommateurs aboutit à une différence de salaire proportionnelle à la productivité marginale du vendeur.

Encadré 1 :

Les trois modèles de discrimination par goût (version simplifiée sans offre de travail)

La discrimination par l’employeur

Les employeurs maximisent la fonction d’utilité suivante :

U(Lm,Lf) = pF(Lm) – WmLm – WfLf – dLf

où d est le coût psychologique marginal induit par l’emploi d’une femme. On en déduit que U’(Lm) = U’(Lf) ⇔pF’(Lf)-Wf-d = pF’(Lm) - Wm

D’où F’(Lm)=F’(Lf) ⇒ Wm – Wf = d.

La discrimination par les travailleurs

On a Wm=Wm(Lf/L) où Wm(.) est une fonction qui croît quand Lf/L augmente de 0 à 1 D’où C(Lf,Lm) = Wm(Lf/L)Lm + WfLf

où Wm(Lf/L)-Wm(0) est la prime obtenue par les hommes pour travailler avec Lf femmes. Trois cas peuvent être envisagés:

Wm(0)>Wf⇒∀Lf≠L, Wm(Lf/L)>Wm(0)>Wf d’où C>WfL⇒Lf*=L et Lm*=0 Wm(0)<Wf⇒∀Lf≠0, Wm(Lf/L)>Wm(0) d’où C>Wm(0)L⇒Lf*=0 et Lm*=0 Wm(0)=Wf⇒∀Lf≠{0,L}, C > Wm(0)L=WfL⇒ (Lf*=0 et Lm*=L) ou (Lf*=L et Lm*=0)

La discrimination par les consommateurs

Les employeurs maximisent la fonction de profit suivante :

Π = pmF(Lm) + pfF(Lf) – WmLm – WfLf avec pf(1+d)=pm

où pf est les prix que le consommateur accepte de payer si le produit est vendu par une femme. On en déduit que : Π’(Lf) = Π’(Lm) = 0 ⇔ pfF’(Lf)-Wf = pmF’(Lm)–Wm

Cependant, à long terme et dans le cadre d’une concurrence parfaite, il devrait y avoir un nombre suffisant d’employeurs non discriminants pour employer toutes les femmes puisque ce sont leurs entreprises qui sont les plus compétitives. En effet, les employeurs qui n’ont pas cette préférence discriminatoire ou ceux qui l’ont à des degrés moindres bénéficient de coûts de production plus faibles. Dans ce cas, la discrimination ne peut pas persister, ou doit, tout au moins, diminuer progressivement.

C’est cette ligne directrice qui va largement conditionner le contenu des travaux ultérieurs. Leur but principal est d’expliquer la persistance des différences de salaires entre les sexes. Les prolongements récents de cette hypothèse intègrent donc des hypothèses supplémentaires diverses, ayant trait le plus souvent au processus de recherche d’emploi ou de recrutement mais aussi aux procédures de négociation. Black (1995), Bowlus et Eckstein (2002) et Rosen (2003) se placent dans le cadre d’une discrimination par l’employeur. Lindsay et Maloney (1988), Ragan et Tremblay (1988), Sattinger (1996), et Sasaki (1999) adaptent le raisonnement à la discrimination de la part des salariés. Akerlof (1985) et Borjas et Bronas (1989) analysent la discrimination par le consommateur52.

Deux critiques ont été formulées à l’égard du corpus de la discrimination par goût. D’abord, les préférences sont exogènes et restent inexpliquées : la théorie est silencieuse sur les raisons pour lesquelles les agents économiques manifestent une telle préférence, et elle propose uniquement des modèles des mécanismes de marché à travers lesquels la discrimination agit. Ensuite, ces modèles procèdent souvent à un découpage factice entre entreprises : la discrimination de genre prend non pas la forme d’un découpage entre entreprises discriminantes et entreprises non discriminantes (distance physique), mais s’établit plutôt par un découpage entre les emplois pour lesquels les femmes sont discriminées et les emplois dans lesquels les femmes sont reléguées (distance sociale).

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2.1.2 Les théories de la discrimination statistique

Dans le point de vue de la discrimination statistique, l’autre voie théorique proposée, le traitement différent de travailleurs en fonction du sexe peut constituer une réponse rationnelle des firmes confrontées à l’incertitude de certaines caractéristiques économiques des individus qu’elles embauchent. Dans cette optique, le sexe joue le rôle d’une proxy pour les caractéristiques économiques non directement décelables.

Depuis les travaux précurseurs de Phelps (1972) et Arrow (1973), de nombreuses variantes de discrimination statistique ont été proposées53. Deux caractéristiques peuvent être notamment analysées eu égard à leur importance dans le cas des inégalités sexuées : les caractéristiques de stabilité de la main d’œuvre (mobilité et absentéisme) et les caractéristiques de qualité de la main d’œuvre (capacité d’initiative, sens des responsabilités, rigueur,…). Des versions simplifiées de ces deux types de modèle sont présentées dans l’encadré 2.

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