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Philosophies politiques, Théories économiques

CHAPITRE 3 : Mesures statistiques de la discrimination entre les sexes

3.2 Une conception pluraliste de la mesure

3.2.4 La mesure libertarienne du degré d’ouverture à la concurrence

Dans la conception libertarienne, on ne peut se fonder sur les répartitions effectives dans l’espace social pour mesurer la discrimination puisqu’elle porte, non pas sur des résultats, mais sur des intentions. Le respect des règles concurrentielles ne demande que la publicité de l’information sur les postes ouverts (et les rémunérations associées) ainsi que des critères d’évaluation qui régiront l’affectation. Aucune information sur le type de positions occupées ne peut autoriser à présumer qu’il y a discrimination.

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L’exploitation des données de l’enquête Emploi 2000 est conçue de manière complémentaire à celle des données de Génération 98.

Du point de vue de l’accès aux différentes catégories d’emploi, aucune différence entre hommes et femmes n’autorise à parler d’injustice. L’offre de travail est dite « révélée » par le jeu du marché. Il n’y a donc pas de chômage féminin involontaire, de temps partiel contraint ou de plafond de verre. Selon la théorie de l’échange volontaire, la rencontre de l’offre et de la demande sur le marché garantit, dans un cadre de prix flexibles, l’équité des positions occupées à condition que les critères de sélection soient rendus publics.

Du point de vue de la hiérarchie salariale, aucune différence ne permet de conclure en l’existence d’une discrimination salariale. Dans l’approche libertarienne, la discrimination salariale n’existe pas car il n’y a pas de norme salariale juste. La structure salariale a seulement pour fonction de donner les bon signaux. La fonction des salaires n’est pas de rétribuer les individus pour ce qu’ils ont fait, mais de leur dire ce qu’ils doivent faire. Tout ce que la justice demande, c’est seulement des salaires concurrentiels exempts de fraude, de monopole ou de violence.

Il n’y a donc pas de norme non discriminante. Dans ce cadre, il n’y a pas non plus de mesure statistique de la discrimination. Les différences statistiques de résultats ne permettent pas de conclure à des défaillances du jeu concurrentiel. L’économétrie n’est par conséquent d’aucune utilité. La discrimination étant conçue comme une distorsion des procédures concurrentielles d’affectation de la main d’œuvre, la discrimination sera imputée à des lois ou règlements faussant le jeu de la concurrence de sexe.

Plutôt que de développer des outils statistiques, les travaux empiriques vont s’attacher à raconter des récits de prise de monopole ou au contraire d’établissement de règles plus concurrentielles. La plupart du temps, les travaux développant ce type de récits ne défendent pas une vision libertarienne. En effet, l’opposition aux monopoles ne signifie pas l’adhésion au principe de la concurrence « libre et non faussée ». Ils peuvent être cependant détournés assez aisément pour les mettre au service d’une défense de procédures concurrentielles.

Un certain regard sur les législations du travail peut conduire à considérer l’interdiction du travail de nuit des femmes travail de nuit comme l’établissement d’un monopole masculin qui a duré plus d’un siècle en France. Le travail de nuit des femmes dans l’industrie a été interdit par la loi

du 2 novembre 1892. Selon Bué et Roux-Rossi (1997), cette interdiction a reflété un double souci de protection des femmes « reproductrices » et de protection des emplois masculins. Au fil des années, de nombreuses dérogations ont autorisé le travail de nuit des femmes dans certains secteurs sans remettre en cause le principe de l’interdiction82. Afin de mettre la législation française en conformité avec le droit communautaire83, et à la suite d’un certain nombre d’arrêts de justice de la Cour Européenne84, l’interdiction du travail de nuit a finalement été levé par la loi du 9 mai 2001 relative à l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. On voit dans cet exemple que le droit libertarien à une concurrence loyale entre travailleurs a pu amener à justifier la suppression de l’interdiction. Le fait que les dispositions prévoient aussi d’encadrer ces formes d’emploi85 montrent pourtant la complexité des principes normatifs qui ont guidé la réforme.

De même, de nombreux récits de conflits sur le syndicalisme pourraient alimenter la critique libertarienne des organisations professionnelles. Cockburn (1981), puis Maruani et Nicole (1989) ont pu ainsi montrer, dans des études de cas sur les ouvriers du livre, que les hommes ont utilisé les syndicats pour se défendre contre la libre entrée des femmes dans leur profession. Elles montrent comment ils ont tenté de défendre leur monopole sur la qualification, au moment de l’introduction de nouvelles technologies dans l’imprimerie. La perspective marxiste de Cockburn et l’approche démocrate de Maruani et Nicole ne défendent pas l’idée libertarienne d’une défense de la concurrence loyale entre femmes et hommes. Leurs analyses positives peuvent cependant être détournées sur le terrain normatif dans un sens libertarien. Il en va de même d’autres analyses

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En 1987, la loi Séguin permet une nouvelle dérogation à condition que des accords soient négociés et signés sur ce thème au niveau de la branche et de l’entreprise.

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Les articles L. 213-1 à L. 213-6 du Code du travail sur le travail de nuit, qui visaient essentiellement les femmes et les jeunes travailleurs, sont rentrés en contradiction avec l'application de la jurisprudence communautaire "Stoeckel" et la directive communautaire n° 93/104 du 23 novembre 1993, dont le délai de transposition en droit interne a expiré le 23 novembre 1996.

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En février 1992, la CJCE a rendu un arrêt dans lequel il est estimé que la France a manqué à ses obligations communautaires en maintenant l’article du Code du Travail qui interdit le travail de nuit des femmes.

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Ces dispositions autorisent le travail de nuit de façon exceptionnelle, pour les femmes comme pour les hommes, au nom de l'égalité professionnelle entre hommes et femmes, tout en encadrant d'avantage le recours à cette organisation du travail et, notamment, en prévoyant une protection particulière pour les femmes enceintes ou ayant accouché.

positives, telle que l’observation de procédures de cooptation dans les hautes sphères dirigeantes masculines86.

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