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Philosophies politiques, Théories économiques

Encadré 2 : Deux modèles simplifiés de discrimination statistique

2.2 Théories économiques de la discrimination et philosophies politiques de la justice

2.2.4 La théorie libérale-démocrate de la segmentation

Deux ans après la publication du livre de Thurow (1969), la théorie de la discrimination raciale proposée dans le chapitre 7 de Doeringer et Piore (1971) s’affirme comme une autre alternative majeure au modèle commercial de Becker (1957)60. L’idée de segmentation du marché du travail qu’ils avancent conteste l’hypothèse d’harmonie économique et sociale du marché du travail. Mais l’originalité des théories de la segmentation réside moins dans la reconnaissance de différenciations de types d’emplois et catégories de main-d’œuvre que dans l’existence de

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Nous donnons ici une formalisation théorique simplifiée du modèle initial de Doeringer et Piore (1971). Voir le paragraphe 4.2.3 pour une analyse plus détaillée des prolongements théoriques et empiriques.

barrières constituant des obstacles pour que des travailleurs issus des segments secondaires puissent accéder aux segments primaires (Hanchane, 1998). Les procédures de recrutement, de formation et de promotion sont les causes d’une segmentation qui est à la fois fonctionnelle et inéquitable :

A consideration of the factors generating internal labor markets suggests that some discrimination is best understood in terms of the costs to employers of screening, recruitment, and training. (…) Racial discrimination is closely bound to the informality and flexibility of recruitment and hiring procedures. Increasing the formality and the rigidity of theses procedures may be required, but this is also likely to curtail the ability of the internal market to adapt efficiently to technological change and changing labor market conditions.

Doeringer et Piore (1971), p160, 161

Ce sont donc les coûts de recrutement et de formation qui sont au centre des explications de ce type de modèles. On retrouve donc le même point de départ du modèle de discrimination statistique développé précédemment puisque l’employeur minimise le coût total actualisé de la force de travail. Mais ce modèle comporte deux différences majeures. La première différence tient à ce qu’il raisonne non en termes marginaux, mais en termes de niveaux de qualifications. La seconde réside dans le fait que l’employeur n’est plus face à l’alternative discrimination à l’embauche ou discrimination salariale, mais peut différencier la main d’œuvre dans des modes d’emploi différents, selon le statut, le temps de travail ou le niveau hiérarchique.

Cette différenciation de la main d’œuvre a d’abord de nombreuses conséquences sur les coûts de recrutement. Si la main d’œuvre est recrutée sur contrat à durée indéterminée, l’entreprise devra toujours entreprendre un test sévère de sélection. Le coût de ce test de recrutement sera d’autant plus élevé que les qualifications seront élevées. En effet, pour des niveaux de qualification plus hauts, les supports publicitaires d’annonces de vacances d’emploi sont plus chers et le degré d’attention porté aux procédures de sélection est plus élevé. D’autre part, le coût total de recrutement sera d’autant plus élevé que la proportion de personnes embauchées à temps plein sera faible. Mais si la main d’œuvre est recrutée sur contrat à durée déterminée, la première séquence d’emploi pourra servir de test, donc le coût de recrutement sera nul.

Elle a également des conséquences sur les coûts de formation. D’abord, comme pour les coûts de recrutement, le coût de la formation initiale est plus important lorsque les qualifications requises ou les positions hiérarchiques plus élevées. En effet, la période de « mise au courant » ou de spécialisation de formation sur le tas, nécessaire avant que le nouvel arrivant trouve sa place dans le collectif de travail, est plus longue. En revanche, le coût de la formation ne varie pas avec la durée du contrat et le temps de travail et dépend seulement du nombre de personnes recrutées si bien qu’il est préférable de stabiliser la main d’œuvre formée par le contrat permanent à temps plein. Dernière catégorie, les coûts des absences croissent seulement avec les niveaux de qualification ou avec les hiérarchies des postes.

La différenciation de la main d’œuvre est influencée aussi les différences de taux moyen de congés et de nombre moyen d’heures d’absence. L’important ici est de noter que ces différences influent de manière différenciée selon le sexe. C’est l’asymétrie sexuée de répartition du temps de travail domestique qui provoque cette différenciation. Les demandes de congés parentaux sont d’autant plus fréquentes que la durée du contrat de travail est grande. Elles sont par ailleurs moins longues en temps partiel. Enfin, on doit noter qu’un changement de temps plein à temps partiel équivaut au coût d’un départ à temps partiel.

Formellement, il ne s’agit plus d’égaliser les coûts marginaux de travailleurs à productivité marginale égale, mais d’égaliser les coûts actualisés des forces de travail masculine et féminine ayant les mêmes qualifications q61, soit :

avec r taux d’actualisation correspondant au taux d’intérêt réel, C1 les coûts de recrutement, C2

les coûts de formation, C3 les coûts des absences, Q les taux de départs définitifs (Qm pour les

hommes et Qf pour les femmes), P les taux de demande de congés parentaux (Pm pour les

hommes et Pf pour les femmes), A les taux d’absentéisme (Am pour les hommes et Af pour les

femmes).

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Dans ce modèle, la main d’œuvre est toujours plus ou moins qualifiée, mais ces qualifications peuvent ne pas être reconnues comme telles.

= + + + = + + + = + + + = + = T 0 t t 3 T 0 t T 0 t t 2 1 t 2 1 1 t T 0 t a W/(1 r) C Q(C C )/(1 r) P(C C )/(1 r) HC /(1 r) C

Un premier ensemble d’hypothèses concerne les coûts de l’instabilité. On peut supposer que les coûts de recrutement et de formation croissent proportionnellement avec les niveaux de qualification, que le temps partiel multiplie par deux les coûts de recrutement et de formation et divise par deux les coûts de l’absentéisme, et que l’emploi temporaire fait disparaître les coûts de recrutement. Pour ceux qui sont employés en CDI et à temps plein, on a C1=C1q=aq, C2=C2q=bq

et C3=C3q=cq. Pour les employés en CDI et à temps partiel, on a C1=2C1q=2aq, C2=2C2q=2bq et

C3=C3q/2=cq/2. Pour ceux qui sont employés temporairement et à temps plein, on a C1=0,

C2=C2q=bq et C3=C3q=cq. Enfin, pour ceux qui sont employés temporairement et à temps partiel,

C1=0, C2=2C2q=2bq et C3=C3q/2=cq/2.

Un second ensemble d’hypothèses se rapporte au taux de départs Q, au taux de demande de congés P et au nombre moyen d’absences A. On peut supposer qu’en emploi permanent et à temps plein, on a P=P A=A et Q=Q. En emploi temporaire et à temps partiel, on suppose que les taux de demande de congés et d’absentéisme sont nuls, soit P=A=0 et Q=Q. En emploi temporaire et à temps plein, seuls les taux de demande de congés sont nuls, soit P=0, A=A et Q=Q. En emploi permanent et à temps partiel, on suppose que les taux d’absence sont nuls, soit A=0, Q=Q et P=P.

Si T→+∞ et Caf=Cam, on obtient la relation d’inégalité suivante:

Wf–Wm = (Qm-Qf)(C1q+ C2q) + (Pm-Pf)(C1q+ C2q) + (Am-Af)C3q

Compte tenu de l’incidence des modes d’emploi sur les coûts et l’instabilité, on obtient le tableau suivant:

Segmentation de l’emploi

Wf–Wm Temporaire CDI

Temps plein (Qm-Qf)bq + (Am-Af)cq (Qm-Qf)(a+b)q + (Pm-Pf)(a+b)q + (Am-Af)cq

Ainsi si Qm>Qf, Af>Am, Pf>Pm et en cas de rigidité salariale, il sera plus avantageux pour les

employeurs d’employer les femmes à temps partiel en emploi temporaire, et les hommes en CDI et temps plein. L’avantage pour les deux autres catégories reste indéterminé. Dans tous les cas, les employeurs auront tendance à moins reconnaître les qualifications des femmes travaillant en CDI à temps partiel, et à justifier, par cette moindre reconnaissance, des salaires plus faibles.

Dans ce modèle, l’employeur peut éviter à la fois la discrimination à l’embauche et la discrimination salariale et discriminer de manière moins visible la force de travail pour minimiser ses coûts. Notamment, les coûts induits par l’instabilité de la main d’œuvre féminine peuvent être réduits par une politique de l’entreprise passant par l’embauche des femmes prioritairement sur contrat à durée déterminée, à temps partiel, ou à des bas niveaux de qualification. Le modèle prédit donc le développement de ces trois barrières discriminatoires.

De plus, même en cas de stabilité globale identique entre les hommes et les femmes, un différentiel de salaires peut subsister du fait de dissymétries dans les caractéristiques de stabilité des hommes et des femmes. En effet, les coûts de rotation induits par les flux de mobilité interne des hommes peuvent être réduits par une politique de l’entreprise visant à diminuer les taux de départ moyens des travailleurs masculins en augmentant leur salaire quand ils menacent de quitter leur emploi pour une meilleure occasion ailleurs.

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