• Aucun résultat trouvé

Philosophies politiques, Théories économiques

CHAPITRE 1 : philosophies politiques de la justice sexuée

1.1 Discriminations et philosophies politiques de la justice

1.1.2 Philosophies politiques libérales de l’égalité des chances

La notion de discrimination est la plupart du temps liée explicitement à la notion d’égalité des chances. Dans les textes communautaires, il y a souvent juxtaposition du principe d’égalité de traitement et de la notion d’égalité des chances, par exemple dans les Articles 137 et 14123. On retrouve explicitement ce lien dans la convention 111 de l’Organisation Internationale du Travail24

, ou encore avec la loi de 1975 sur la discrimination sexuelle qui instaure une

Commission pour l'égalité des chances (Equal Opportunities Commission)25.

22

Dans l’affaire Danfoss (1989), l’employeur, pour justifier une différence de rémunération s’appuyait sur le critère de la flexibilité. La cour de justice a répondu que le critère de la flexibilité pouvait servir de justification s’il rémunérait la qualité du travail, pas l’adaptabilité à des horaires ou des lieux de travail variables.

23

Article 137, § 1 (Traité) : En vue de réaliser les objectifs visés à l'article 136, la Communauté soutient et complète

l'action des Etats membres dans les domaines suivants: (…) l'égalité entre les hommes et les femmes en ce qui concerne leurs chances sur le marché du travail et le traitement dans le travail (...).

Art 141. § 3 (Traité) : Le Conseil, statuant selon la procédure visée à l'article 251 et après consultation du Comité

économique et social, adopte les mesures visant à assurer l'application du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes en matière d'emploi et de travail (…).

24

Le terme « discrimination » comprend: toute distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le

sexe, la religion, l'opinion politique, l'ascendance nationale ou l'origine sociale, qui a pour effet de détruire ou d'altérer l'égalité de chances ou de traitement en matière d'emploi ou de profession (…) Aux fins de la présente

Or aucun texte ne précise exactement ce que cette notion d’égalité des chances recouvre. Il est indispensable à ce niveau de l’analyse de sortir du flou entourant les dispositions législatives existantes pour donner, grâce aux apports de la philosophie politique, plus de consistance à ces notions. L’analyse notionnelle de Rawls (1971), ainsi que la formalisation économique analytique de Roemer (1998) permettent rigoureusement d’explorer à quoi correspond l’idée d’égalité des chances.

Rawls (1971) propose dans son chapitre 2 une typologie des philosophies politiques de l’égalité des chances. Il distingue trois conceptions distinctes : la conception méritocratique, la conception libérale et la conception démocratique. Ces trois conceptions sont en fait des interprétations du second principe énoncé dans le paragraphe 11. Selon ce dernier, les inégalités sociales et économiques doivent être à l’avantage de chacun et attachées à des positions et à des fonctions ouvertes à tous. Les différentes conceptions de l’égalité des chances interprètent différemment les expressions « ouvertes à tous » et « à l’avantage de chacun ».

La conception méritocratique défend l’idée d’ouverture des carrières aux talents. La méritocratie propose un moyen pour libérer les énergies dans la poursuite de la prospérité économique. L’égalité méritocratique des chances signifie certes une chance égale de laisser en arrière les plus défavorisés dans la quête de l’influence et de la position sociale, mais aussi une chance égale de ne pas être exclu de cette quête par la violence ou le monopole. Rawls réfère cette position au système de la liberté naturelle, qui exige une égalité formelle des chances, c’est-à-dire que tous aient au moins les mêmes droits (légaux) d’accès à toutes les positions pourvues d’avantages :

Le système de la liberté naturelle affirme qu’une structure de base satisfaisant au principe d’efficacité, et dans laquelle les positions sont ouvertes à ceux qui sont capables et désireux de faire des efforts pour les obtenir, conduira à une juste répartition.

Rawls (1971), Chap 2, para 12

Convention, les mots « emploi » et « profession » recouvrent l'accès à la formation professionnelle, l'accès à l'emploi et aux différentes professions, ainsi que les conditions d'emploi. (Article 1, convention 111, 1958).

25

La commission est un organisme indépendant, financé par des fonds publics (6,08 millions de GBP en 1999/2000), chargé de trois missions: lutter contre la discrimination sexuelle ; promouvoir l'égalité des chances; et suivre de très près les effets de la législation sur la discrimination sexuelle.

Ce système correspond, bien que Rawls ne le dise pas explicitement, à la philosophie politique libertarienne dont les deux représentants principaux sont Nozick et Hayek. Les libertariens proposent de ne pas s’intéresser aux résultats (donc à l’avantage), et de se focaliser exclusivement sur les procédures. Cette doctrine propose ce que Rawls définit comme une justice procédurale pure. Dans la doctrine libertarienne, il n’y a pas de critère pour déterminer une juste distribution ; c’est la procédure de distribution elle-même qui garantit que le résultat est juste. Tout ce que la justice demande, c’est que la distribution des positions et avantages ait lieu dans des conditions de juste concurrence, exemptes de fraude, de monopole ou de violence.

La seconde conception de l’égalité des chances que Rawls propose de distinguer est la conception libérale. Selon cette approche, les positions ne doivent pas seulement être ouvertes à tous en un sens formel, mais tous devraient avoir une chance équitable d’y parvenir. Ainsi les chances d’acquérir de la culture et des compétences techniques, de postuler pour des fonctions qui sont ouvertes à tous ne devraient pas dépendre des contingences sociales. Le système devrait être conçu de manière à aplanir les barrières de classe.

Selon Rawls, même si cette conception libérale œuvre à la perfection pour éliminer l’influence des contingences sociales, elle continue de permettre que la répartition de la richesse et des revenus soit déterminée par la répartition des capacités et des talents. C’est pourquoi Rawls propose de lui substituer une conception démocratique en adossant au principe d’égalité libérale des chances le « principe de différence » : les plus favorisés naturellement peuvent tirer avantage de leur chance à condition que cela améliore les chances et la situation des moins bien lotis.

On retrouve ces typologies des conceptions de l’égalité des chances dans un certain nombre d’approches analytiques contemporaines se posant le problème de la responsabilité, c’est-à-dire se demandant quelles sont les actions dont on peut considérer que les individus doivent rendre compte (should be held accountable for), qui dépendent d’eux-mêmes, de leur volonté autonome, ou à l’inverse, quels sont les actions dues au hasard, qui dépendent des circonstances ou de l’environnement. La politique d’égalité des chances consiste à allouer l’avantage total en fonction de ce dont les individus peuvent être tenus pour responsable dans leur situation sociale. Parmi

l’ensemble des travaux de formalisation, on peut particulièrement retenir celui de Roemer (1998) (cf encadré 1 suivant).

Outline

Documents relatifs