• Aucun résultat trouvé

Barrières à l’accès à l’emploi, au temps plein et aux responsabilités hiérarchiques

4.1 Du transversal au longitudinal

4.2.2 Les limites des méthodes économétriques transversales

Le principe de l’extension des méthodes de décomposition de l’écart salarial à l’analyse des déterminants de l’embauche est simple. Au lieu d’utiliser des méthodes de régression linéaire multiple, et de décomposer des différences de salaires, il suffit d’utiliser des modèles logit ou

probit et de décomposer des différences moyennes de probabilités. De fait, un certain nombre

d’études économétriques portant sur les déterminants de l’activité ont étendu les méthodes de décomposition de l’écart salarial à la décomposition de l’écart d’activité (labor force

participation gap)117. Dans ces modèles, on a simplement : Prob(Yi=1)=1-F(-âXi)

où « Y=1 » est l’évènement « l’individu i est actif », Φ(.) est la fonction de répartition d’une loi normale (probit) ou logistique (logit), Xi un vecteur de caractéristiques de l’individu i et â les paramètres associés.

Ces premiers modèles ont d’abord été critiqué pour ne pas prendre en compte la diversité des statuts par rapport à l’emploi. Notamment, les actifs occupés peuvent être indépendants ou salariés. Cette différence importante de statuts doit être prise en compte pour modéliser les choix. Dans de très nombreuses études, l’estimation de l’équation de participation se fait donc en utilisant un modèle logistique multinomial (multinomial logit). Ce modèle permet d’estimer l’ensemble des probabilités de choix des individus. Dans ce cadre statistique, les chances de faire tel ou tel choix sont supposées indépendantes les unes des autres. Cette propriété est nommée l’indépendance des alternatives non pertinentes (IIA). Par exemple, la probabilité du choix de l’état alternatif j par un individu i s’exprime sous la forme suivante :

) ) jXi ( Exp 1 /( ) jXi ( Exp ) j Yi ( ob Pr 2 1 j

= β + β = = 117

où j={0,1,2} représente les états alternatifs avec j=0 ne pas travailler, j=1 être indépendant, j=2 être salarié, et où l’état j=0 est pris comme état de référence.

L’hypothèse de l’IIA a été critiquée pour être peu adéquate à la description des choix des individus sur le marché du travail. Particulièrement, il s’agit de séparer le choix de ne pas travailler de l’ensemble des autres choix qui sont tous des choix de travailler mais dans des segments différents. Pour pouvoir relâcher cette hypothèse, le modèle logistique multinomial emboîté (nested multinomial logit) peut être utilisé. Ce modèle consiste à assembler différentes alternatives en sous groupes et de maintenir l’hypothèse d’IIA à l’intérieur de ces derniers. L’individu choisit ainsi un des deux groupes d’alternatives, travailler ou ne pas travailler, puis fait son choix définitif parmi les différents segments des sous-groupes. La probabilité d’être dans un segment j s’écrit :

Prob(Yi=j)=(Prob(Yi=j/Yi=0))*(1-Prob(Yi=0))

Ces modèles multinomiaux sont cependant inadaptés à la mesure de la discrimination à l’embauche. Ces modèles visent à estimer des probabilités de choix de l’offre de travail en fonction de caractéristiques. Or les choix sur le marché du travail reflètent à la fois un choix d’offre de travail et un choix de demande de travail. Comme on l’a vu dans le chapitre 3, la mesure de la discrimination suppose d’identifier ce qui relève du choix du salarié (offre de travail) et de la demande des employeurs (demande de travail) sans quoi on ne peut pas dire qu’un individu est discriminé, c’est-à-dire contraint indépendamment de sa volonté.

De fait, lorsqu’on utilise un modèle multinomial pour mesurer la discrimination à l’embauche, on s’inscrit au moins implicitement dans la théorie du chômage volontaire. Dans ce cadre, la distinction entre ceux qui font le choix de ne pas travailler et ceux qui sont en situation de chômage involontaire est seulement formelle. Les différences non expliquées de probabilité dans le cadre des modèles multinomiaux permettent de mesurer une ségrégation non expliquée, mais pas la discrimination118. Ainsi soit on renonce à l’idée que l’on mesure la discrimination à l’embauche, soit on renonce à l’utilisation d’un modèle multinomial.

118

C’est vrai pour l’accès des individus à l’emploi salarié, mais également pour l’accès des salariés aux différents emplois. Dans le chapitre 8, nous verrons la méthode BMZ (Brown, Moon, Zoloth, 1980) qui passe par une analyse multinomiale des différences de positions dans l’espace professionnel. Cette méthode permet de mesurer les effets sur l’écart salarial d’une ségrégation professionnelle non expliquée. On verra que la méthode de Jones et Makepeace (1996) qui part de l’idée d’un ordre hiérarchique est plus appropriée à la mesure des barrières discriminatoires à l’accès aux positions sociales (cf chapitre 6).

L’utilisation de modèles séquentiels serait une possibilité alternative. Dans ce type de modèle, on suppose que l’individu choisit entre l’inactivité, le travail indépendant ou rentrer dans la queue pour être salarié (séquence de l’offre de travail salarié). Puis les employeurs choisissent au sein de cette queue ceux qui sont employés et ceux qui restent dans la queue et deviennent chômeurs (séquence de la demande de travail salarié). Les salariés occupés sont ceux qui ont été sélectionnés par les employeurs tandis que les chômeurs restent dans la queue.

La méthodologie séquentielle de mesure de la discrimination à l’accès à l’emploi suppose d’exclure les inactifs et les indépendants (ceux qui ne sont pas dans la queue) de la population de référence de la demande de travail. Cette représentation repose sur l’hypothèse de l’antériorité de l’offre par rapport à la demande. C’est parce que la situation « être salarié » est nécessairement préférée à celle de « être dans la queue pour être salarié » que certaines personnes peuvent être dites discriminées à l’accès à l’emploi. La première séquence de choix peut être formalisée par un modèle multinomial tandis que la seconde séquence utilisera un modèle probit ou logit simple. C’est seulement cette seconde séquence qui nous intéresse pour la mesure de la discrimination à l’embauche.

La méthodologie consiste à chercher les déterminants de la demande d’emploi salarié au sein de la population de référence, c’est-à-dire de l’ensemble des individus qui recherchent un emploi salarié. La différence non expliquée de probabilité d’accès au salariat quand on a décidé d’être dans la queue pour être salarié est interprétée comme un effet de la discrimination à l’accès à l’emploi salarié. Un des premiers articles ayant présenté une telle mesure économétrique de la discrimination à l’embauche s’inspirant est l’article de Gomulka et Stern (1990).

Le problème de ce type de modèle est qu’il exclut nécessairement un nombre important de personnes qui ne sont pas considérées à un moment donné dans l’offre de travail, alors qu’ils ont pu l’être à d’autres moments. Ainsi, une personne inactive ou un travailleur indépendant à une date d’enquête a pu chercher un emploi salarié pendant plusieurs années avant d’y renoncer. L’hypothèse d’indépendance entre la séquence d’offre et la séquence de demande est de ce point de vue un peu forte, et ne peut être défendue que dans une vision transversale assez pauvre de l’accès au marché du travail. La prise en compte de données longitudinales permet de traiter ces difficultés.

Outline

Documents relatifs