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La mesure libérale-démocrate des barrières à l’accès aux segments valorisés

Philosophies politiques, Théories économiques

CHAPITRE 3 : Mesures statistiques de la discrimination entre les sexes

3.2 Une conception pluraliste de la mesure

3.2.3 La mesure libérale-démocrate des barrières à l’accès aux segments valorisés

Selon l’approche libérale-démocrate, la discrimination est surtout un phénomène qui a trait à l’affectation des emplois et peu à la distribution des salaires. En effet les règles administratives et comptables de gestion de la main d’œuvre amènent à segmenter l’offre de travail, donc à produire des différences qui justifient en aval les différences de salaires. Il est plus facile de contourner l’égalité de rémunération à travail égal en différenciant le travail masculin et le travail féminin.

Dans l’approche de la segmentation, le marché du travail n’est pas homogène, et il convient de distinguer deux ou plusieurs marchés. Piore (1978) distinguait un marché primaire offrant des emplois stables et bien rémunérés, et permettant d’accéder aux marchés internes et aux filières de promotion ascendantes, et le marché secondaire cumulant tous les désavantages. Divers autres modèles à trois voire quatre segments ont été proposés (par exemple Bluestone, 1970). Comme le rappelle Michon (2003), l’essentiel de l’hypothèse de la segmentation réside moins dans le nombre de segments identifiables que dans le constat de profondes discontinuités. Des barrières partagent le marché du travail en segments régulés par des procédures distinctes, soumis à des règles de fonctionnement différentes (Berger et Piore, 1980).

Selon Michon (2003), l’objet des « inégalités de sexe dans l’emploi » est assez vite abandonné par les économistes théoriciens de la segmentation. Ainsi les dimensions du genre semblent peu présentes dans l’approche récente des marchés transitionnels, initiée par Schmid (1995), popularisée en France par Gazier (1998), et que l’on peut considérer comme un prolongement de l’approche de la segmentation (Gautié, 2002)80. Simultanément, l’objet des « inégalités de sexe » a été réapproprié par la sociologie de l’emploi, en particulier par les travaux de Maruani. Le concept de « mode d’emploi » fournit une bonne synthèse de l’objet de la sociologie de l’emploi développée par Maruani:

Le mode d’emploi est constitutif du statut dans le travail. Le mode d’emploi, c’est-à-dire le type de contrat de travail, les modalités d’accès au marché du travail et les conditions d’emploi est aujourd’hui un élément déterminant dans les rapports sociaux au sein de l’entreprise. Autrement dit, le temps partiel, pris comme mode d’emploi et non comme aménagement du temps de travail, constitue l’un des pôles qui structurent les hiérarchies sociales. C’est autour de cette forme d’emploi que s’organisent un certain nombre de clivages sociaux fondamentaux dans l’entreprise.

Maruani M. (1998), p 125.

Le mode d’emploi reprend l’idée de règle de fonctionnent ou de mode de gestion. C’est pourquoi il nous semble que les travaux sur le sous-emploi, la précarité et le plafond de verre développés

80

Cette absence est d’autant plus surprenante que les théories des marchés transitionnels prennent notamment pour objet « les filières déqualifiantes débouchant sur les emplois instables à temps partiel » (Gazier (2000). Michon (2003) note que ces théories ne proposent pas « une vision d’ensemble de la place des catégories de main-d’œuvre au sein de la division sociale du travail ».

par la sociologie de l’emploi de Maruani peuvent s’inscrire dans la cadre des hypothèses de la segmentation. De même, s’y inscrit tout un ensemble d’études portant par exemple sur l’incidence des nouvelles modalités de flexibilité du temps de travail mises en œuvre dans les entreprises et les établissements (Gauvin et Silvera, 96) ou encore sur les règles administratives régissant les promotions internes (Laufer et Fouquet, 97).

Nous pensons que cette approche peut trouver une traduction économétrique. Nous proposons donc une méthode de mesure de ces barrières qui passe par plusieurs étapes. Il faut d’abord disposer de données sur les différentes catégories d’emploi de la main d’œuvre afin d’identifier une hiérarchie salariale de ces emplois. Puis, il s’agit de prouver que l’affectation des hommes et des femmes à ces différentes catégories est influencée par des barrières discriminatoires depuis la sortie du système scolaire. L’idée est ici de tester l’existence de différences non expliquées d’accès aux positions sociales valorisées. C’est cette approche que nous choisissons de développer dans la deuxième et la troisième partie.

La difficulté principale de cette approche réside dans un double processus de reproduction. La segmentation s’auto-perpétue d’abord objectivement par les trajectoires induites. Ainsi, les secteurs secondaires du marché du travail ne permettent pas aux travailleurs d’accéder à une expérience professionnelle transférable sur les marchés primaires. Les passages d’un individu dans les segments secondaires ne font qu’augmenter la probabilité future d’y demeurer. La segmentation s’auto-perpétue ensuite subjectivement par l’adaptation des goûts. Piore (1970) a utilisé l’idée d’un goût endogène pour suggérer un « syndrome s’auto-perpétuant » dans lequel un placement initial des groupes discriminés dans le secteur secondaire, développe chez leurs membres des habitudes de travail qui perpétuent, par effet de rétroaction, la discrimination.

De fait les femmes sont concentrées dans les emplois à temps partiel et dans des contrats à durée déterminée. Dans le cadre de la théorie de la segmentation, cette concentration peut s’expliquer d’abord par la flexibilité des procédures de recrutement et de gestion de la main d’œuvre qui avantage les hommes. Elle peut s’expliquer aussi par des phénomènes d’autoréalisations, le goût du temps partiel et du contrat temporaire se construisant en partie par les habitudes que la

discrimination sexuée à l’accès au CDI et au temps plein ont contribué à générer sur le poste de travail ainsi qu’au sein de la famille.

Cette approche incite par conséquent à être prudent quant à l’interprétation des souhaits et des préférences. Certes, l’offre de travail doit être définie à un moment donné par le souhait ou la recherche. Ainsi l’offre de travail salarié est égale soit au nombre d’actifs ou soit au nombre de personnes qui souhaitent travailler (qu’ils soient actifs ou pas). De même, l’offre de travail à temps plein est égale au nombre de personnes qui déclarent souhaiter travailler à temps plein ou seulement à ceux qui demandent explicitement à leur employeur un temps plein. Mais l’approche longitudinale incite à s’intéresser davantage à la construction de ces préférences.

Pour cette raison, la mesure des barrières discriminatoires est difficilement compatible avec l’analyse transversale. Dans les théories de la segmentation, les barrières se renforcent au fil du temps et génèrent des effets de retour négatif (negative feedback effects). D’une période à l’autre la structure de segmentation du marché est reproduite. De là procède la nécessité d’utiliser des données longitudinales pour prendre en compte la trajectoire des salariés sur le marché du travail. En l’absence de données longitudinales de très long terme, nous avons choisi de privilégier, par l’exploitation des données de génération 98, l’étude des phénomènes de barrières dès la sortie de la formation initiale81.

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