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La mesure démocrate-citoyenne de l’effet de modes de négociation collective

Philosophies politiques, Théories économiques

CHAPITRE 3 : Mesures statistiques de la discrimination entre les sexes

3.2 Une conception pluraliste de la mesure

3.2.6 La mesure démocrate-citoyenne de l’effet de modes de négociation collective

La philosophie politique démocrate-citoyenne met l’accent sur le poids des conventions collectives, et sur le rôle des syndicats et de l’Etat. Les grilles de rémunération selon le diplôme ou selon l’ancienneté ont le mérite de formaliser les critères et de s’opposer à une logique d’individualisation du rapport salarial (Silvera, 1996). La logique qualification où les positions relatives des salariés sont vues comme le produit d’un long processus de négociation entre salariés et employeurs pour définir des critères de justice, s’oppose alors à la logique compétence où le niveau de salaire peut toujours être justifié par l’employeur en mettant en avant les différences de compétences individuelles. Dans cette approche, c’est le mode de négociation et la manière dont les syndicats défendent les intérêts des femmes qui influent sur les différences de répartition des hommes et des femmes dans l’espace social.

Historiquement, le mouvement syndical a largement ignoré la place des femmes, les structures étant fondées sur des univers masculins. Le travail de Zylberberg-Hocquard (1981) sur la place des femmes dans le syndicalisme français permet de mettre en évidence les deux tournants de 1914 et de 1968. Avec la première guerre mondiale, les femmes qui auparavant étaient très peu présentes dans les syndicats, entrent massivement dans la production industrielle. Cette émergence reste cependant très fortement encadrée par un mouvement ouvrier masculin qui demeure méfiant vis-à-vis de travailleuses dont l’entrée sur le marché du travail est vue comme une pression à la baisse sur les salaires masculins. Si en 1920 les femmes sont autorisées à se syndiquer indépendamment de leur époux, ce n’est véritablement qu’à partir des années 70, avec l’arrivée massive des femmes sur le marché du travail et l’influence des mouvements féministes que des avancées sont réalisées dans l’intégration de l’égalité dans les syndicats français : pour Maruani (1979), les syndicats font alors « l’épreuve du féminisme »92.

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« Jusqu’aux années 70, plus que le syndicat ne s’adapte à elles, ce sont elles qui doivent s’adapter aux syndicats qui sont fondés sur un mode viril » (Zylberberg-Hocquard, 2000).

Depuis, les taux de présence des femmes ont augmenté, leur accès aux postes de direction a été favorisé par une politique volontariste, et des structures spécifiques sur les questions de l’égalité entre les sexes ont été crées. Mais en dépit de ces progrès, Cotta (2000) souligne les obstacles persistants à une mixité des structures syndicales, notamment la faiblesse relative de la représentation des femmes dans les organisations professionnelles93 ainsi que les risques de marginalisation de la question des discriminations entre les sexes par la création de structures spécifiques. De nombreux travaux récents se sont intéressés à ces problèmes94.

Empiriquement, les travaux sociologiques ont largement privilégié des histoires de luttes sociales. Ces histoires montrent souvent que l’ouverture de nouveaux métiers ou la transformation d’anciennes pratiques ouvrières par la mécanisation sont souvent l’occasion d’une redéfinition différenciée selon le sexe95. Parmi les histoires les plus connues, on peut citer celle des ouvriers du livre et des clavistes (Maruani et Nicole, 1989) ou celles des infirmières ou des conductrices d’autobus (Kergoat, 2001). Certains travaux ont aussi montré comment la présence des femmes à la direction des syndicats ont influencé les préoccupations syndicales ainsi que les méthodes de travail. Ainsi, l’étude de Coleman et Hasting (1993) montre que la présence de femmes permanentes dans les syndicats permet d’aborder de nouvelles priorités dans les négociations comme l’égalité des salaires, la garde des enfants, le congé parental, ou le harcèlement sexuel.

Ces approches tendent à montrer que la qualification n’est pas une simple opération technique. L’existence d’un biais sexué dans la représentation des intérêts des salariés conduit à la critique du choix d’une norme économétrique mixte qui incorpore encore ce biais. La norme non discriminante n’est pas issue d’une valorisation moyenne de caractéristiques, mais résulte d’un processus de négociation dans lequel les femmes sont plus ou moins présentes et ont plus ou

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« La représentation des femmes dans les organisations professionnelles est, en quelque sorte, conforme aux statistiques relatives à la présence des femmes à la tête des entreprises. » (Cotta, 2000)

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Notons entre-autres les rapports et publications de l’Organisation internationale du travail (ILO, 2000 ; Coleman et Hasting, 1993), et les articles récents de Cockburn (1999), Ardura et Silvera (2001) et Correia (2002).

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« Qu’il s’agisse de nouvelles technologies ou de vieux métiers, la dévalorisation des savoirs féminins est toujours au cœur du processus de différenciation sexuelle du travail. Nouvelles technologies ou pas, la question de la valeur sociale du travail reste entière : c’est la redéfinition permanente des tâches, des postes, des qualifications, des métiers qui constitue le travail féminin comme différent et, par la même inégal. Il ne s’agit donc pas de vestiges du passé, d’inégalités résiduelles qui, tout naturellement, vont se diluer dans la modernité. La construction sociale de la différence est toujours d’actualité. » (Maruani et Nicole 1989).

moins de pouvoir. La qualification est avant tout un enjeu constant entre le patronat et les organisations syndicales, et au sein des salariés entre les hommes et les femmes. La division sexuée du travail apparaît alors comme une construction sexuée de la qualification. Maruani et Nicole (1989) vont même jusqu’à renverser la relation en avançant l’idée que c’est avant tout à travers la distinction entre le féminin et le masculin que l’enjeu de la qualification est posée96.

L’adhésion syndicale, mais aussi la participation à des mouvements de grève, à des assemblées générales ou à des réunions de réflexion ou encore le fait d’être encadré par une convention collective peuvent être connus par questionnaires. De fait, un certain nombre d’économètres étrangers ont mesuré les effets de l’adhésion syndicale sur les salaires par la différence

( )

βˆu−βˆnX

=

∆ où X est le vecteur des caractéristiques choisis etβˆuest le vecteur de paramètres

estimés pour les syndiqués (βˆn pour les non syndiqués). En dépit de la seule prise en compte de

l’adhésion sans éléments sur la forme de la participation ou la convention, les résultats tendent à montrer que la part de la différence de salaires expliquée par l’adhésion syndicale est loin d’être négligeable97.

Il est de ce point de vue d’autant plus surprenant de constater que peu d’études économétriques ont introduit des variables reflétant plus finement les modalités de la participation syndicale dans les variables explicatives des différences de salaires entre les hommes et les femmes (taux de représentation aux différentes fonctions de représentation par exemple). La première raison tient sans doute à l’influence des théories des avantages comparatifs ou du capital humain sur le choix des variables explicatives par les économètres. Une seconde raison a trait au manque surprenant de données disponibles dans les enquêtes sur la participation syndicale. L’enquête-emploi comme l’enquête Génération 1998 n’incorporent aucune question sur l’action collective.

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« La distinction masculin/féminin est l’axe central autour duquel se constitue la notion même de qualification » (Maruani et Nicole, 1989).

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Elle varie entre 10 à 30% suivant les modèles estimés et les données disponibles. Lewis (1986) l’estime à 14% pour les Etats-Unis, Standing (1992) à 20% dans l’industrie en Malaisie et Arbache et Carneiro (1999) à 30% en 1992 et 19% en 1995 pour le Brésil. Des auteurs tels que Lee (1978) ou Robinson (1989) préfèrent estimer des modèles d’équations simultanées en considérant comme endogène l’adhésion syndicale. Lewis (1986) fait cependant remarquer que ces estimations sont plus sensibles à l’ajout ou la suppression de variables tout en donnant des résultats moyens semblables.

Des approches empiriques par analyse de données d’entretiens permettraient de pourvoir à ce type de difficultés. Une des méthodologies employées par l’équipe de l’ISERES autour du programme MSU (Mainstreaming and Unions) consiste à mener des entretiens semi-directifs auprès des responsables fédéraux des syndicats, de représentants d'entreprises de chaque secteur et de militant(e)s. Il s’agit d’étudier à la fois la représentativité des femmes au sein de chaque fédération, mais surtout d’analyser les contenus mêmes des négociations pour apprécier dans quelle mesure la négociation des salaires, du temps de travail et de l'emploi répondent à une démarche de mainstreaming98.

Le rapport final (Silvera, 2004) tend à mettre en évidence des obstacles sectoriels à l’intégration de la démarche du mainstreaming, liés à la faible représentation des femmes (métallurgie), à la précarité des emplois qu’elles occupent (commerce) ou au poids du statut et d’une référence formelle à l’égalité (services publics). Il vise à démontrer comment l’approche intégrée devrait se décliner autour des inégalités salariales et de l’enjeu du temps.

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