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Philosophies politiques, Théories économiques

Encadré 2 : Deux modèles simplifiés de discrimination statistique

2.2 Théories économiques de la discrimination et philosophies politiques de la justice

2.2.5 La théorie libérale-patrimoniale du capital humain

Alors que le premier travail de Becker se réfère explicitement à la philosophie politique utilitariste en mettant l’accent sur les avantages comparatifs, Becker a développé dans ses derniers travaux une toute autre idée de la discrimination en approfondissant le modèle du capital humain (Becker, 1993). Les caractéristiques des individus ne sont plus données ex ante, sous la forme de compétences, mais sont du capital humain et de l’énergie investis.

L’investissement est effectué par l’individu lui-même ou par ses parents, et prend la forme de capital culturel, de capital santé, de capital social ou de capital mobilité. L’individu est considéré comme un marché séparé de capital humain (separate human-capital market). Les différences de

capitaux investis légitiment les positions dans l’espace social. La discrimination est conçue cette fois comme l’effet des différences de prix des unités efficaces de capital humain investis par les individus, comme une barrière à l’effort d’investissement62.

Selon la théorie du capital humain, les femmes anticipent plus que les hommes une vie professionnelle entrecoupée d'interruptions d’activité. Par conséquent, elles investissent dans des unités efficaces de capital humain spécifique différentes des hommes, et elles investissent moins que les hommes dans l’acquisition d’expérience professionnelle. Dans cette optique, les femmes accumulent moins de capital humain spécifique que les hommes ce qui explique une partie des différences de positions professionnelles et de salaires. Une autre partie de ces différences provient d’un traitement discriminatoire fondé sur le sexe, c’est-à-dire de différences à stock de capital humain spécifique égal.

C’est dans ce cadre théorique que s’inscrit le modèle de Becker sur l’allocation de l’énergie ou de l’effort. Alors que le chapitre 2 de Becker (1981) portait sur le rôle des avantages comparatifs dans la division du travail au sein des ménages, le supplément du chapitre 2 porte sur le capital humain et l’effort63. Ce modèle montre dans quelle mesure l’allocation du temps interagie avec l’allocation de l’énergie et les investissements en capital humain dans les sphères marchandes ou non marchandes.

Dans ce modèle, les entreprises sont supposées être indifférentes à la distribution des heures pour des salariés comparables et peuvent surveiller l’effort fourni par chaque employé. Le salaire W dépend du stock de capital humain spécifique H, du temps consacré à l’activité professionnelle T et du niveau d’effort E fourni dans le cadre de cette activité marchande :

T,E) W(H,

W = soit par exemple W =βHEσT1−σ

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L’approche économique du capital humain rejoint de ce point de vue les approches sociologiques de Duru-Bellat (1990) et de Boudon (1985). Selon Duru-Bellat (1990), les différences sexuées de positions dans l’espace social sont le produit d’intérêts objectifs, de choix raisonnables de femmes et d’hommes qui anticipent sur les possibilités qui leur sont offertes sur le marché, ainsi que sur les rôles sociaux qui les attendent dans la sphère familiale.

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Ce supplément est paru la première fois dans le Journal of Labor Economics 3 (1985) : S33-S58 et a été ajouté après quelques modifications dans Becker (1981) lors de sa réédition en 1993.

Dans tous les modèles de capital humain, les inégalités sexuées de salaires tendent à être expliquées par une distribution inégalitaire de capital humain spécifique entre les hommes et les femmes. Le modèle de l’allocation de l’énergie tend à donner un rôle important aux différences sexuées de stock d’énergie, non seulement en termes d’énergie physique ou mentale, mais aussi en termes de motivations ou d’ambitions. Dans le modèle, les personnes les plus énergiques sont susceptibles de dépenser plus d’énergie et de toucher davantage par heure de travail. La différence de salaires s’exprime de la manière suivante :

) / f f m m f m f m f) f m) m/T -Ln(W/T Ln( / ) Ln(H /H) Ln(e e Ln(W = β β + + σ σ

La différence de salaires entre les hommes et les femmes s’explique non seulement par les différences d’investissements en capital humain spécifique mais aussi par les différences de dépense moyenne d’énergie par heure de travail. En cas de non discrimination, les employeurs ne différencient pas dans leur traitement des hommes et des femmes, d’où βm=βf, et σm=σf. Alors,

toute la différence de salaire s’explique par la différence en dotations d’unités efficaces de capital humain et différences d’énergie par heure de travail :

) / f m f m f f m) m/T -Ln(W/T) Ln(H /H) Ln(e e Ln(W = +

Chaque ménage produit d’autre part un ensemble de biens et services Zi avec des biens et

services marchands Xi, du temps Ti et des efforts Ei. La différence sexuée de dépense d’énergie

par heure de travail ainsi que le temps de travail accompli dépendent donc également des contraintes de la production domestique ainsi que de l’allocation du temps et de l’énergie totale entre production marchande et production domestique. Formellement chaque ménage maximise la fonction d’utilité suivante :

) Z ,..., U(Z U= 1 n avec

= = + = + = = n 1 i n 1 i i i i i i Z(X,T,E), T T Tet E E E Z i i

Le modèle est détaillé dans l’encadré 3 ci-dessous. Une relation remarquablement simple peut être dérivée des conditions de maximisation du premier ordre (relation (4) de l’encadré 3). Cette relation énonce que le ratio optimal d’énergie par heure entre deux activités dépend seulement de l’intensité en effort qu’elles demandent. Si on pose σi l’intensité en effort de l’activité i, on a :

Dans ce modèle, la différenciation sexuée de l’allocation de l’énergie selon le sexe peut expliquer pourquoi l’énergie par heure de travail marchand peut être supérieure pour les hommes. Il suffit en effet de poser que les activités domestiques demandent plus d’énergie que les activités de loisirs. Si on suppose que les femmes ont la responsabilité de l’élevage des enfants et de la plupart des tâches domestiques au sein de la famille, alors elles allouent en moyenne moins d’énergie par heure de travail marchand que les hommes, et ont par conséquent un salaire horaire inférieur, même à stock de capital humain et temps de travail égaux64 (cf relation (5) de l’encadré 3).

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