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Philosophies politiques, Théories économiques

Encadré 2 : Formalisation de la philosophie politique d’Amartya Sen

1.2 Discriminations, philosophies politiques, et féminismes

1.2.2 L’oppression patriarcale dans le marxisme

La formalisation de la théorie marxiste s’appuie sur le concept d’exploitation. Le cadre conceptuel est ici important car il ne suffit pas de parler d’exploitation pour rentrer dans le cadre marxiste43. L’exploitation capitaliste est définie par le fait que le capitaliste extorque une plus- value dans le procès de production en faisant travailler la force de travail au delà du temps socialement nécessaire à sa reproduction. Dans ce cadre, la discrimination entre les sexes peut être définie comme la surexploitation des femmes dans le procès de production capitaliste.

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L’expression est de Delphy (1998). 43

Par exemple Madden (1973) a défendu l’idée selon laquelle les employeurs disposent d’un pouvoir de monopsone plus grand à l’égard des femmes qu’à l’égard des hommes. Les femmes seraient « exploitées » au sens néoclassique : du fait de leur confinement dans des marchés du travail à tendance monopsoniques, elles seraient payées moins qu’en concurrence pure et parfaite. En ce sens, le modèle du monopsone discriminant s’inscrit plutôt dans la philosophie politique libertarienne.

Trop souvent, la théorie marxiste est critiquée pour passer à côté des luttes des femmes qui ne sont pas seulement opprimées par le rapport salarial, mais parce qu’on leur interdit ou restreint l’accès au travail salarié (voir critique de Kymlicka, 1999). Certes l’oppression des femmes est la plupart du temps omise dans les analyses de Marx et d’Engels. Pourtant, la question de la restriction de l’accès des femmes au salariat n’est pas entièrement absente de leurs écrits. Marx, par exemple, parle à plusieurs reprises dans l’Idéologie Allemande de l’abolition de la famille (cf p61, 173, 203). Engels (1974) développe l’idée que l’émancipation des femmes passe par la suppression de la famille conjugale en tant qu’unité économique de production :

On verra que l’affranchissement de la femme a pour condition première la rentrée de tout le sexe féminin dans l’industrie publique et que cettecondition exige à son tour la suppression de la famille conjugale en tant qu’unité économique de la société. (…) Pour que l’émancipation de la femme devienne réalisable, il faut d’abord que la femme puisse participer à la production sur une large échelle, que le travail domestique ne l’occupe plus que dans une mesure insignifiante.

Engels F. (1974), p 82 et 170

La disparition de l’unité de production domestique est donc vue comme une condition nécessaire, mais non suffisante, à l’émancipation des femmes. Marx (1972) précise pourquoi cette condition n’est pas suffisante en critiquant les « communistes grossiers » sur leur idée de communauté des femmes. Selon lui, une propriété collective des femmes peut se constituer sans l’existence de la famille :

Enfin ce mouvement [des communistes grossiers] qui consiste à opposer à la propriété privée la propriété privée générale s’exprime sous cette forme bestiale qu’au mariage (qui est certes une forme de la propriété exclusive), on oppose la communauté des femmes, dans laquelle la femme devient une propriété collective et commune. On peut dire que cette idée de la communauté des femmes constitue le secret révélé de ce communisme encore très grossier et très irréfléchi. De même que la femme passe du mariage à la prostitution générale, de même tout le monde de la richesse, c’est-à-dire de l’existence objective de l’homme, passe du rapport du mariage exclusif avec le propriétaire privé à celui de la prostitution universelle avec la communauté. Ce communisme – en niant partout la personnalité de l’homme - n’est précisément que l’expression conséquente de la propriété privée, qui est cette négation.

Mais ces textes restent trop peu nombreux et imprécis. La critique principale porte sur le flou entourant le concept de travail productif. Marx et Engels font la distinction entre la production et la reproduction. Or le terme de reproduction introduit une confusion puisqu’il peut désigner à la fois la reproduction biologique, la reproduction des forces de travail, et la reproduction sociale44. Il peut ainsi conduire à restreindre la sphère de la production à la production marchande. Un autre flou entoure la définition du privé et du public. Ainsi, l’expression « industrie publique » reste ambiguë dans la mesure où elle peut désigner l’ensemble des activités productives marchandes ou l’ensemble des activités payées. La restriction du travail domestique au travail ménager prend sa source dans de telles confusions qui rendent invisibles les productions marchandes domestiques non rémunérées45.

De nombreux courants, s’inspirant de manière critique de la pensée marxiste, ont été développés. En France, le courant radical matérialiste a cherché à développer une analyse marxiste de l'oppression des femmes. La base économique de cette oppression-subordination se situe dans le « mode de production domestique » (Delphy, 1998), dans l' « appropriation » de la classe des femmes par la classe des hommes (Guillaumin,1992) ou encore dans le «système social des sexes» (Mathieu, 1991). La revue Nouvelles questions féministes s’inscrit dans une telle perspective. Les hommes et les femmes sont présentés comme des classes de sexe produites par des rapports de pouvoirs organisés en système. La lutte féministe vise l’abolition du patriarcat défini comme le système de subordination des femmes aux hommes dans les sociétés contemporaines.

En particulier, Delphy (1998) s’est vigoureusement opposée à l’idée que l’on pourrait analyser l’oppression des femmes du seul point de vue de l’exploitation capitaliste. Elle met en avant l’idée d’un double système d’oppression ou d’exploitation, l’un relatif au mode de production capitaliste dans lequel les employeurs exploitent tous les salariés et surexploitent les femmes, l’autre relatif au mode de production domestique dans lequel les hommes exploitent les femmes. Ces deux systèmes d’exploitation sont indépendants, bien qu’il existe un lien entre la

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Cette confusion a été mise en avant par l’ethnologue Meillassoux (1975). 45

discrimination entre les sexes dans le mode de production capitaliste et l’exploitation des femmes dans le mode de production domestique : la surexploitation des femmes dans le travail salarié constitue une pression au mariage, à la mise en couple et à la « maternitude ».

Notons qu’une revendication des matérialistes est née avec le courant dit du « salaire contre travail ménager ». Ce courant, qui naît autour du livre de Dalla Costa et James (1973), propose la stratégie du salaire contre le travail ménager. Même si cette stratégie est restée minoritaire dans les féminismes, elle a quand même poursuivi son chemin jusqu'à nos jours sous diverses formes. Ainsi Delphy (2003) reprend l’idée en proposant de substituer à l’ensemble des droits dérivés ou spécifiques un salaire conjugal.

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