• Aucun résultat trouvé

Barrières à l’accès à l’emploi, au temps plein et aux responsabilités hiérarchiques

CHAPITRE 6 : Les barrières à l’accès aux responsabilités hiérarchiques

6.1 Discrimination et hiérarchie

6.1.1 Les explications du plafond de verre

L’inégal accès à l’encadrement supérieur est relativement marqué en France comme d’ailleurs dans tous les Etats membres de l’Union Européenne : environ 16% des hommes actifs- occupés sont cadres supérieurs contre seulement 10% des femmes. L’inégal accès aux postes de direction est encore plus net : dans l'ensemble, que ce soit dans les secteurs privé ou public ou encore dans la politique, les cadres féminins sont encore peu présentes dans les fonctions de direction, leur proportion dépassant rarement 20%. L’écart d’accès aux postes à responsabilités s’accentue donc quand on s'élève dans la hiérarchie professionnelle interne des cadres127.

La persistance d’un écart d’accès aux responsabilités est d’autant plus surprenante que les femmes sont en moyenne davantage présentes dans les niveaux de formation élevés. Seule exception, elles sont moins souvent diplômées des grandes écoles, écoles d’ingénieurs ou de commerce. Mais cette différence tend elle-même à s’estomper sans que les barrières

127

Ce constat est vrai pour tous secteurs, y compris ceux où les femmes sont majoritaires. Par exemple, alors que la majorité des enseignants sont des femmes, la plupart des dirigeants dans l'enseignement supérieur et dans les instituts de recherche publics sont des hommes. C’est d’autant plus vrai que la direction est importante: dans les établissements très grands et très puissants, la part des postes de direction dévolue aux femmes est généralement de 2 à 3%.

disparaissent. Il y a donc lieu de présumer que ce sont des barrières discriminatoires à l’entrée sur le marché du travail qui expliquent cet écart.

Dans la littérature sociologique, plusieurs raisons sont évoquées pour expliquer ces barrières à l’accès aux responsabilités. En guise de synthèse de ces nombreux travaux, on peut citer Laufer et Fouquet (1998) qui expliquent le plafond de verre séparant les femmes de l’accès aux responsabilités par un ensemble de facteurs qui s’articulent les uns aux autres :

« La tension permanente entre la recherche d'un équilibre vie professionnelle-vie privée et l'implication intense que nécessite la compétition pour le pouvoir et l'exercice du pouvoir de direction, la question de la mobilité internationale particulièrement difficile à gérer pour les couples à double carrière et enfin les règles du jeu souvent implicites qui gouvernent l'accès au pouvoir dirigeant, comme la complexité des processus de cooptation qui déterminent l'accès à ces sphères, constituent autant d'obstacles à franchir par les femmes qui veulent accéder au groupe des dirigeants. »

Cette synthèse rend bien compte de la multiplicité des phénomènes qui permettent d’expliquer le plafond de verre. Les explications prennent appui à la fois sur la sociologie du travail et des organisations, mais aussi sur la sociologie de la famille, ou sur celle des professions, et appellent à la diversification et la combinaison des approches128. On peut principalement repérer quatre types d’arguments.

Le premier argument est lié aux pratiques de gestion des recrutements et des carrières défavorables aux secteurs d’activité ou aux contenus d’emploi des femmes. Du point de vue des secteurs d’activité, les femmes sont plus souvent placées dans les domaines de l'administration, des ressources humaines et de la communication, plus périphériques par rapport à la décision opérationnelle, et sont moins nombreuses au sein des ingénieurs et cadres techniques. Du point de vue des contenus des emplois, les femmes sont plus souvent des chefs de projets chargés d’animer les équipes, et sont plus rarement des responsables hiérarchiques. Se mettent ainsi en place des « barrières de verre » à l’accès aux postes offrant par la suite d'intéressantes possibilités de promotion.

128

Sur la sociologie des cadres voir Bouffartigue et Gadéa (2000), Bouffartigue (2001), Karvar et Rouban (2004) et les cahiers du GDR Cadres, ou cahiers du GDR Mage-GDR Cadres. Parmi les ouvrages de référence sur les femmes cadres voir surtout Laufer (1982) et Marry (2004). Voir enfin Pochic (2004) sur les carrières des cadres.

Le second argument a davantage trait aux caractéristiques de l’organisation du travail dans les milieux professionnels de l’encadrement, essentiellement adaptées aux stratégies des hommes, moins souvent compatibles avec les stratégies et aspirations des femmes. La recherche d’un équilibre entre investissement professionnel et familial amène les femmes à renoncer à poursuivre des carrières qui passent par l’implication horaire et la disponibilité permanente. Or la norme de la disponibilité/mobilité permanente est une condition sine qua non de l’accession au pouvoir129. Les femmes cadres vivent plus souvent en solo, et quand elles sont en couple, elles sont plus fréquemment des compagnes de cadres et doivent alors davantage négocier leurs mobilités et leurs disponibilités avec un conjoint lui-même préoccupé par sa propre promotion (Pochic, 2004).

Un troisième facteur réside dans le rôle fondamental des réseaux dans l’accès aux postes à responsabilités. Les femmes manquent souvent des informations, des liaisons, et des soutiens nécessaires pour atteindre les postes plus élevés parce qu’elles sont coupées des réseaux, aussi bien formels qu'informels, dont l'appui est essentiel pour obtenir de l'avancement au sein de l'entreprise. Parce qu’elles sont l’objet de moins d’attentions et d’encouragements de la part de leurs supérieurs, elles peuvent avoir le sentiment d’être moins légitimes. Ce facteur fonctionne en boucle, puisque le pourcentage supérieur d'hommes au niveau des décideurs contribue à maintenir le plafond de verre.

Enfin le quatrième et dernier facteur qui contribue à créer le « plafond de verre » est lié à la conception stéréotypée des compétences requises et à un biais androcentrique dans la conception de la responsabilité ou de la qualification. La notion de responsabilité hiérarchique est définie par rapport au nombre de subordonnés sous les ordres, et les carrières se fondent davantage sur des principes virils tels que la compétition ou le courage. Par ailleurs, les mises en œuvre de l’approche compétence dans les nouveaux systèmes de classification combinent sur-valorisation de la technique et sous-évaluation de la dimension relationnelle130. Les compétences relationnelles et comportementales sont souvent moins reconnues sur le marché

129

L’étude de Maruani et Nicole (1989) sur les modes d’emplois dans le commerce illustre bien cet effet de l’organisation du travail. Chez Tremplin par exemple, où 7% des femmes sont cadres contre 23% des hommes, la disponibilité permanente est une condition essentielle pour accéder aux postes de maîtrise puis d’encadrement. Tous les chefs de rayons ou de secteurs rencontrés affirment travailler entre 60 et 70 heures par semaine, de façon irrégulière, en fonction des exigences du service, très tôt le matin ou tard le soir, parfois le dimanche ou la nuit. La notion de disponibilité est érigée en valeur, en pilier du système de promotion interne. Avec la mobilité, elle constitue la condition de la réussite dans l’entreprise. (P76,77 Maruani et Nicole, 1989)

130

du travail, ne font pas l’objet de véritables processus formels d’apprentissage car elles sont supposées « innées », naturelles parce qu’acquises au sein de la socialisation familiale131.

Ces explications concernent également les nouveaux entrants sur le marché du travail. Maruani et Nicole (1989) notent que ces mécanismes perdurent avec l’ouverture de nouveaux métiers :

Qu’il s’agisse de nouvelles technologies ou de vieux métiers, la dévalorisation des savoirs féminins est toujours au cœur du processus de différenciation sexuelle du travail. Nouvelles technologies ou pas, la question de la valeur sociale du travail reste entière : c’est la redéfinition permanente des tâches, des postes, des qualifications, des métiers qui constitue le travail féminin comme différent et, par la même inégal. Il ne s’agit donc pas de vestiges du passé, d’inégalités résiduelles qui, tout naturellement, vont se diluer dans la modernité. La construction sociale de la différence est toujours d’actualité.

Outline

Documents relatifs