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CHAPITRE 1 Des fondements aux récents

3. La théorie des parties prenantes

3.7. Extensions à d’autres champs

3.7.4. Théorie des parties prenantes et marketing

Par définition, le marketing a pour objet la relation entre l’entreprise et l’une des ses parties prenantes : ses clients, et ce, de manière à maximiser les bénéfices de l’entreprise et donc à satisfaire ses actionnaires. Les spécialistes du marketing admettent aujourd’hui que les entreprises doivent se soucier de l’ensemble de leurs parties prenantes. Toutefois, leur logique reste encore fortement basée autour de l’importance de la relation client. Les marketeurs ont donc tendance à privilégier cette partie prenante. Ainsi, en 2003, Kotler insiste dès le début de son ouvrage sur l’erreur que commettraient les entreprises qui n’agiraient pas, prioritairement, en fonction de leurs clients (p. 21). Quelques pages plus loin, il convient de l’importance pour l’entreprise d’établir des relations étroites avec ses parties prenantes :

« The key is for the company to form close relationships with its stakeholders. The company needs to build a network of partners that all gain from their joint strategy and behaviour. Mutual trust is the bond. Selecting good partners and motivating them is the key to stakeholder marketing. »1 (p. 119)

1 « Le point clé, pour l’entreprise est de créer une relation étroite avec ses parties prenantes. L’entreprise doit construire un réseau de partenaires qui gagnent tous à adopter une stratégie et un comportement communs. La

De façon générale, le marketing tend à concentrer ses efforts sur un nombre restreint de parties prenantes, généralement, les clients, les actionnaires et, parfois, les salariés. Dans ce dernier cas, l’idée sous-jacente est souvent que plus les salariés sont satisfaits de leur situation professionnelle, plus leur motivation est importante et – en bout de chaîne – mieux ils sont susceptibles de satisfaire les clients de l’entreprise. Plusieurs auteurs proposent des modèles marketing basés sur la théorie des parties prenantes. Par exemple, Christopher, Payne &

Ballantyne, (1991) établissent un modèle des « six marchés ». Ils identifient des « marchés » qui correspondent à des groupes de parties prenantes spécifiques (les clients, les fournisseurs, etc.) et suggèrent d’adopter une stratégie adaptée à chaque « marché » tout en tenant compte du fait qu’il existe des interactions entre ces « marchés ».

En plus de ce type d’applications de la théorie des parties prenantes à la littérature relative au marketing, on trouve plusieurs évolutions des concepts marketing qui découlent aussi de la théorie des parties prenantes et sont liés aux concepts d’éthique et de responsabilité sociétale d’entreprise. En 1998, O’Sullivan & Murphy utilisent la théorie des parties prenantes pour étudier les enjeux éthiques liés aux démarches d’« ambush marketing »1 développées par certains annonceurs. Plus récemment, Maignan, Ferrell & Ferrell (2005) ont développé un cadre d’analyse basé sur les parties prenantes pour permettre aux managers d’intégrer la RSE au sein de leurs stratégies marketing. D’autres chercheurs s’intéressent aux fondements moraux de telles stratégies. En 2002, Crane & Desmond parlent du « marketing sociétal » qui se développe depuis les années 10970 et tentent d’établir sur quelles bases morales il est bâti. En plus des objectifs traditionnels de satisfaction du consommateur et de profit, le « marketing sociétal » poursuit, selon eux, un objectif de bien-être de long terme du consommateur et de la société en général. Cependant, ils concluent que cette nouvelle approche ne constitue qu’une évolution du marketing mais pas une réelle reconstruction morale du marketing. En effet, les entreprises qui adoptent un comportement socialement responsable le font avec un objectif de profitabilité. Selon les auteurs, il s’agit d’une évolution d’un égoïsme psychologique vers un égoïsme éthique, mais l’approche rationnelle du marketing rend les décisions moralement neutres. Les auteurs suggèrent l’utilisation de la

confiance mutuelle est une obligation. Sélectionner les bons partenaires et les motiver est la clé du marketing des parties prenantes. » (Traduction libre)

1 Littéralement « marketing en embuscade » : il s’agit d’une stratégie marketing grâce à laquelle une entreprise s’associe indirectement à un événement (en particulier sportif) afin d’obtenir des bénéfices équivalents à ceux d’un sponsor officiel, sans en payer les droits. (Ellis, Gauthier & Séguin, 2011, Desbordes & Richelieu, 2011)

théorie des parties prenantes pour pousser plus avant les recherches sur le « marketing sociétal ».

En 2005, Patricia Thiéry s’intéresse à la relation entre RSE et marketing et aux différentes réalités managériales que recouvre la notion de « marketing sociétal ». Selon elle, il s’agit du marketing des produits et services qui intègrent l’engagement sociétal de l’entreprise. Il consiste à faire appel à l’éthique1 et/ou à la solidarité pour doter les produits d’un sens supplémentaire. Cette offre « éthico-marchande » se décline en produits écologiques (respectueux de l’environnement), produits éthiques (fabriqués dans des conditions sociales décentes), produits équitables (garantissant aux producteurs un prix leur permettant de vivre) et produits-partage (dont une part des bénéfices est reversée à une cause humanitaire ou écologique). A chaque type de produit correspond une déclinaison particulière de « marketing sociétal » et, plus largement, une conception et une mise en œuvre spécifiques de la RSE.

Figure 1-15 : Le champ d’application du marketing sociétal (d’après Thiéry, 2005)

1 L’éthique « correspond à une pratique individuelle ou sociale au sens large de ce qui est bon ou mauvais en faisant appel au jugement subjectif des hommes. » (p. 64)

L’éthique est au cœur du « marketing sociétal » des entreprises. Elle peut être vue

« comme une réflexion située en amont de l'action qui vise à distinguer la bonne et la mauvaise façon d'agir. Les notions relatives de bon ou mauvais se forgent à partir du système de valeurs et des attitudes des acteurs » (Mercier, 2000, p. 255). Patricia Thiéry l’envisage comme un « viatique » pour les entreprises dont l’engagement sociétal est global et dont l’objectif est de concilier affaires et conscience sociale. L’éthique peut aussi être mise en pratique par des entreprises qui souhaitent se positionner sur des marchés porteurs de sens et d’opportunités commerciales (exemple : lancement d’une gamme de produits « verts »).

Enfin, l’entreprise peut choisir de s’associer à une cause éthique. L’engagement sociétal est ici beaucoup plus faible puisqu’il s’agit en quelque sorte de l’externaliser en le confiant à une ONG, sans s’interroger sur le fonctionnement de l’entreprise. Dans pareil cas, l’éthique est instrumentalisée. Patricia Thiéry parle d’« éthique pour la boutique ». Elle note que les entreprises doivent s’interroger sur la légitimité de leur démarche de « marketing sociétal » et que celle-ci dépend de sa cohérence avec l’ensemble des pratiques de l’entreprise :

« La légitimité du marketing sociétal dépend sans doute moins de son désintéressement que de sa cohérence avec l’ensemble des pratiques de l’entreprise engagée. » (p. 67)

Pour finir, l’auteur prédit que la valorisation de la RSE n’en est qu’à ses débuts car la RSE correspond à une tendance lourde, source de nombreux avantages en termes de performance globale de l’entreprise (réduction de certains coûts grâce aux économies d’énergie, amélioration de l’attractivité sociale, ouverture de nouveaux marchés, facteur de différenciation et d’amélioration de l’image). A l’inverse, un comportement socialement irresponsable expose de plus en plus l’entreprise à des sanctions sévères. D’autres auteurs explorent le lien entre marketing et RSE, notamment Swaen & Chumpitaz (2008) qui étudient l’impact de la RSE sur la confiance du consommateur. Et, comme le précisent Freeman et al.

(2010), le champ d’application le plus courant de la théorie des parties prenantes dans la littérature marketing sur la RSE est la responsabilité environnementale (p. 158). Le « green marketing » est un sujet d’étude et d’analyses très populaire (Guillon, 2004, Rivera-Camino, 2007).

Comme nous venons de le voir, la théorie des parties prenantes est désormais mobilisée pour traiter un très grand nombre de sujets en sciences de gestion : économie, management stratégique, finance, comptabilité, management des ressources humaines, comportement organisationnel, marketing, etc. L’intérêt de la diffusion de cette approche

théorique au sein des sciences de gestion serait désormais que les différentes disciplines impliquées contribuent en retour à l’évolution de la théorie des parties prenantes. Freeman et al. (2010) identifient plusieurs pistes possibles pour de telles contributions. Ainsi les chercheurs en finance pourraient participer à l’élaboration des modèles relatifs à la maximisation de la valeur totale de l’entreprise. Les chercheurs en comportement organisationnel pourraient, quant à eux, contribuer à approfondir les recherches sur les aspects psychologiques des relations avec les parties prenantes et la manière des les gérer au mieux.

Les spécialistes du marketing sont naturellement habitués à intégrer l’environnement externe des entreprises dans leurs analyses. Leurs apports pourraient concerner la compréhension, la mesure et la modélisation des influences des parties prenantes.