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CHAPITRE 1 Des fondements aux récents

5. Limites des approches théoriques présentées et discussion

5.2. Autres approches théoriques de la RSE

Le concept de RSE s’est construit, depuis les années 1950, au fil de débats théoriques et de l’intégration d’approches variées et parfois même divergentes. Nous avons choisi d’appuyer notre recherche sur la théorie des parties prenantes car, tout en fondant son analyse sur un cœur théorique normatif, elle développe aussi une approche instrumentale propice à des développements managériaux et stratégiques pour les organisations. Elle permet d’aborder la RSE comme un idéal (vision éthique de la théorie des parties prenantes) et/ou comme un outil (vision instrumentale de la théorie des parties prenantes).

1 SHT : StakeHolder Theory

Toutefois, il nous paraît nécessaire, voire indispensable, de mentionner également deux autres théories « classiques » mobilisées en sciences de gestion pour le développement du concept de RSE et d’expliquer rapidement quel est leur apport théorique pour la conceptualisation de la RSE. En 2004, Gond et Mullenbach-Servayre estiment, en effet, qu’outre la théorie des parties prenantes, la théorie du contrat entreprise-société et la théorie néo-institutionnelle sont également utiles à la définition, à la compréhension et à l’analyse du concept de RSE.

5.2.1. Théorie du contrat entreprise-société

Les fondements de la RSE reposent sur la perméabilité et l’imbrication des deux systèmes que sont l’entreprise et la société. Ce sont les interactions entre le système de l’entreprise et le système social qui justifient la responsabilité de l’entreprise à l’égard de l’ensemble de la société (Preston & Post, 1975). Cette idée de l’existence d’un contrat social entre l’entreprise et la société a donné lieu à de nombreux développements théoriques, les uns s’inscrivant dans une perspective philosophique, les autres, dans une perspective sociologique.

La première approche – philosophique – tente de déterminer et d’expliquer la nature d’un tel contrat en mobilisant des théories comme la théorie de la justice de Rawls (1971). Les travaux de Donaldson & Dunfee (1994) s’inscrivent dans cette logique et tentent de transposer la conception du contrat social liant l’Etat et la société de Jean-Jacques Rousseau au contrat social unissant l’entreprise et la société. Les auteurs proposent une « théorie intégrative du contrat social »1 et inscrivent clairement leurs travaux dans le champ de l’éthique des affaires.

La seconde approche – sociologique – rend compte du caractère obligatoire d’un tel contrat. Davis (1973), part du principe qu’il existe un jeu de pouvoirs entre l’entreprise et la société. Cette dernière accorde un certain pouvoir aux entreprises en contrepartie des services qu’elles rendent à la communauté. C’est de ce transfert de pouvoir que découlent les responsabilités des entreprises envers la société. Davis parle d’une « loi de fer de la responsabilité »2 d’après laquelle les entreprises qui n’utilisent pas ce pouvoir à bon escient se

1 « Integrative social contract theory » (p. 254)

2 « Iron Law of Responsibility » (p. 314)

le verront retirer par la société. Pour l’auteur, les responsabilités d’une entreprise envers la société sont proportionnelles au pouvoir qu’elle détient. La responsabilité sociétale de l’entreprise découle, quant à elle, logiquement du contrôle social que la société exerce sur l’entreprise qui détient un pouvoir à son égard.

5.2.2. Théorie néo-institutionnelle

La théorie néo-institutionnelle s’attache à comprendre le rôle de l’environnement social sur les organisations (Powell & DiMaggio, 1991). Pour les tenants de cette approche, le contexte social de l’entreprise est fondamental pour comprendre son fonctionnement. Cette théorie repose sur deux postulats : les organisations sont interconnectées et elles sont construites par leur environnement social. En conséquence, les organisations adoptent des pratiques institutionnalisées pour être perçues comme de « bonnes organisations » – pour se légitimer – indépendamment de l’efficacité réelle de ces pratiques pour leur activité.

Autrement dit, les organisations adoptent certaines pratiques uniquement parce qu’elles correspondent aux attentes de la société et qu’elles leur permettent d’acquérir une certaine légitimité (Zucker, 1991). Dans cette optique, la RSE est une pratique souhaitée par l’environnement des organisations et adoptée en réponse aux pressions institutionnelles.

Ces deux approches théoriques permettent d’expliquer et de comprendre pourquoi les organisations adoptent des démarches de RSE. Toutefois, elles comportent également certaines limites (tableau 1-9). Au final, la théorie des parties prenantes nous semble plus adaptée pour approfondir l’analyse de la RSE, notamment parce qu’elle propose des outils qui permettent, en plus, d’étudier comment ces stratégies de RSE sont mises en œuvre, au travers de la gestion des relations avec les parties prenantes. C’est pourquoi nous avons centré notre analyse de la littérature scientifique sur la théorie des parties prenantes.

Tableau 1-9 : Récapitulatif des fondements théoriques de la RSE et principales limites (adapté de Gond & Mullenbach-Servayre, 2004)

5.3. Le « E » de RSE

Comme nous l’avons évoqué en introduction, la terminologie utilisée en langue française pour discuter du concept de RSE laisse place à un certain nombre d’ambigüités et soulève plusieurs difficultés. Nous avions notamment noté (p. 19) qu’une traduction littérale du terme corporate social responsibility en responsabilité sociale de l’entreprise pouvait laisser penser que seule l’acceptation étroite du terme « social » était envisagée1. Or, comme nous l’avons expliqué, le terme anglo-saxon social fait référence à ce qui concerne la société au sens large. C’est pourquoi nous avons fait le choix de parler de responsabilité sociétale de l’entreprise.

Nous avions également noté une seconde difficulté liée à la limitation du concept de RSE aux entreprises, voire même aux grandes entreprises2. Or, comme Ruwet (2009), nous

1 Social peut s’entendre – au sens étroit du terme – comme ce qui concerne les conditions de travail des salariés et les relations employeurs-salariés ou – au sens large du terme – comme ce qui se rapporte à la société.

2 En anglais, on utilise le terme corporation pour parler des grandes entreprises et celui de business pour inclure les petites et moyennes entreprises.

pensons que les entreprises – qui plus est, les grandes entreprises – ne sont pas les seules à avoir une responsabilité sociétale. En effet, quel que soit leur secteur, leur taille ou leur activité, tous les types d’organisation1 peuvent avoir un impact environnemental, social et/ou économique. A ce titre, tous les types d’organisation ont une responsabilité sociétale à l’égard de la société, en général, et de leurs parties prenantes, en particulier. Pour l’élaboration de la norme ISO 26000, relative à la responsabilité sociétale, l’Organisation Internationale de Normalisation a d’ailleurs fait le choix de parler de responsabilité sociétale des organisations (RSO) ou, simplement, de responsabilité sociétale (Cadet, 2010). Certains auteurs parlent désormais de responsabilité sociétale des organisations (Bento, 2009, Bayle, Chappelet, François & Maltèse, 2011). Ils notent, comme nous l’avons fait, que le concept de RSE est apparu et s’est développé dans le champ de l’entreprise, mais qu’il s’est étendu à de nombreux autres secteurs. Un des enjeux de notre recherche est d’ailleurs de comprendre comment les principes de la RSE sont mis en œuvre par d’autres types d’organisations (en particulier des associations et des collectivités territoriales), à travers l’étude de cinq cas dans le champ de l’événementiel sportif.