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CHAPITRE 2 RSE et événementiel sportif

1. Le sport comme objet de recherche

1.3. Focus sur les sports de nature

Comme nous l’avons constaté, la RSE dans le sport français se comprend souvent comme l’application des principes du développement durable dans les organisations sportives (Bayle et al., 2011). Or, s’intéresser au développement durable dans le sport conduit inévitablement à analyser le champ des sports de nature car ces pratiques sont particulièrement impactées et en prise avec les enjeux du développement durable. C’est pourquoi nous proposons, ici, quelques éléments d’analyse relatifs au secteur des sports de nature, en général, et à la relation entre sports de nature et développement durable, en particulier.

1.3.1. Eléments de définition

L’évolution permanente des sports de nature (apparition de nouvelles pratiques, disparition d’autres) rendrait peu pertinente et vite obsolète une définition normative. Ces activités sont donc généralement définies par leur lieu de pratique. D’après l’article L311-1 du Code du Sport : « Les sports de nature s’exercent dans des espaces ou sur des sites et itinéraires qui peuvent comprendre des voies, des terrains et des souterrains du domaine public ou privé des collectivités publiques ou appartenant à des propriétaires privés, ainsi que des cours d’eau domaniaux ou non domaniaux. ». Pour le Ministère chargé des sports, les sports de nature regroupent « les activités physiques et sportives dont la pratique s’exerce en milieu naturel, agricole et forestier – terrestre, aquatique ou aérien – aménagé ou non. ».1 De fait, ces définitions recouvrent des réalités aussi différentes que l’escalade, le parapente, la randonnée pédestre, le ski, la plongée sous-marine, le canoë-kayak, le canyoning, le surf, la

1 Instruction n°04-131 JS du 12 août 2004.

planche à voile, la course d’orientation, le VTT, la spéléologie, les raids, les sports de haute montagne… pour ne citer que quelques exemples.

Une approche sociologique des sports de nature permet d’en appréhender toute la richesse. Vigarello (1981) caractérise les sports de nature par l’hédonisme, la recherche de sensations inédites et l’importance du contrôle gestuel. Ces pratiques recouvrent des projets sportifs très différents, allant de la compétition à la confrontation avec les éléments naturels, de la quête de bien-être à la découverte de l’environnement. Les travaux de Mignon et Trichot (2002) démontrent que les modalités de pratique des sports de nature sont extrêmement variées – des plus structurées aux plus informelles – avec une préférence de plus en plus marquée pour les formes auto-organisées. De leur côté, Bessy et Mouton (2004) identifient, au travers de l’évolution linguistique du vocabulaire utilisé pour désigner ces pratiques, différentes conceptions des sports de nature, véhiculant différentes pratiques et traduisant de nouveaux enjeux de société. Les activités de « plein air », terme utilisé de la seconde moitié du XIXe siècle aux années 1970, renvoient à la nature comme support d’une hygiène de vie et vecteur d’un idéalisme politique. Le plein air est porteur d’une « philosophie teintée de pacifisme et d’écologie qui remet en cause l’idéologie du progrès et les valeurs matérialistes » (Bessy & Mouton, 2004, p. 14). Dans les années 1980-1990, la nature devient un terrain de jeu et d’aventure pour des pratiquants à la recherche de sensations variées. Les aménagements visant à la domestiquer et à la rendre accessible se multiplient (base de loisirs, parcours santé, via ferrata, sentiers de randonnées…) ; la nature sauvage est le théâtre des exploits de sports extrêmes (expéditions sur les sommets de l’Himalaya, Vendée Globe, Raid Gauloise…). On parle alors d’activités physiques de pleine nature pour lesquelles l’environnement n’est qu’un cadre de pratique utilisé à des fins hédonistes et/ou compétitives.

L’apparition du concept de sports de nature traduit, selon les auteurs, la prise en compte de nouveaux enjeux, et, en particulier, celui du développement durable.

1.3.2. Un secteur en croissance

Côté équipementiers, le marché mondial de l’outdoor représente aujourd’hui plus de 30 milliards de dollars, soit 27% du marché des articles de sport. Il se caractérise par son

dynamisme (croissance annuelle proche de 7% contre 2% pour l’ensemble du secteur) et des perspectives de croissance attractives.1

Côté pratiquants, la tendance est la même. La dernière enquête du Ministère chargé des sports illustre l’engouement des Français pour les sports de nature. Elle établit, notamment qu’en 2006, un Français sur trois, âgé de plus de 15 ans, en pratiquait au moins un et que 2,5 millions de licences avaient été accordées par des fédérations dites de « sports de nature », ce qui représente une croissance annuelle moyenne de 3,8% entre 2001 et 20062.

La pratique des sports de nature se développe et le marché de l’outdoor est de plus en plus porteur. Or, les sports de nature, de par la spécificité même de leur pratique, sont liés aux enjeux du développement durable.

1.3.3. Sports de nature et développement durable : une relation « naturelle »

Vecteur de développement touristique, de valorisation du milieu naturel et de retombées économiques, les sports de nature constituent un enjeu important pour les acteurs de ce marché (fédérations, clubs, organisateurs d’événements, collectivités territoriales, équipementiers, etc.) et se retrouvent donc naturellement au cœur du débat sur le développement durable, d’autant plus que leur impact sur l’environnement est souvent dénoncé.

L’Etat intervient au travers des Commissions Départementales des Espaces, Sites et Itinéraires (CDESI) pour encadrer les conditions d’accès aux sites de pratiques, notamment les plus fréquentés, afin de limiter les incidences sur l’environnement, de concilier les différents usages de ces espaces et de rendre compatibles ces pratiques avec le respect du droit de propriété.

D’après Bessy (2006), les sports de nature contribuent au développement durable au travers d’effets économiques, socioculturels et environnementaux structurants. La croissance

1 D’après l’étude de marché « Le marché de l’outdoor et ses perspectives 2010 » réalisée par Eurostaf en décembre 2005 auprès de 14 groupes d’équipementiers outdoor.

2 Bouffin S., Foirien R., Richard P. (2008) Les sports de nature en France en 2006. Stat-Info, Bulletin de statistiques et d’études du Ministère de la Santé, de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative, 08-01.

du marché permet ainsi de dynamiser des régions entières grâce aux retombées économiques directes (offres de services et aménagements) et indirectes (hébergement, restauration) ; l’immersion dans les lieux de pratique fait prendre conscience de la nécessité de protéger l’environnement et stimule la construction d’une « écocitoyenneté ». Bessy (2006, p. 1999) identifie également plusieurs effets déstructurants « inhérents à la jeunesse et à la complexité de ce marché mais aussi à la diversité des acteurs en présence ». Il note ainsi que la saisonnalité des activités sportives de nature peut être source de précarité et que la surfréquentation de certains sites dégrade l’environnement.

Pour un service sportif, l’environnement de la pratique influence la sensation de plaisir et, par là même, la satisfaction du consommateur (Desbordes et Richelieu, 2011). Dans le cas des sports de nature, la qualité de l’environnement de la pratique dépend donc de l’attention et des efforts des sportifs – mais aussi de tous les publics concernés par ces espaces (habitants, touristes, industries, etc.) – pour préserver cet environnement. Minquet (1992) affirme que l’environnement fait partie intégrante du service. Les organisateurs d’événements « sport nature » se doivent donc de protéger activement leurs lieux de pratique. Des espaces dégradés auraient pour effet de restreindre la satisfaction du public (pratiquants et spectateurs) et donc de diminuer la réussite de l’événement, voire de remettre en question sa légitimité et son existence. Lors d’un raid en pleine nature, il serait effectivement désagréable pour les participants de trouver des bouteilles en plastique tout au long du parcours. Par la suite, les randonneurs et autres usagers des mêmes espaces s’en offusqueraient aussi. Des responsables locaux (ONF, guides, élus, etc.) constateraient les dégâts et à terme, c’est l’image de l’événement et son existence même qui pourraient être remises en cause.

Sports de nature et développement durable semblent donc inextricablement liés. Cet aspect intéresse particulièrement notre recherche car il confère aux sports de nature une légitimité « naturelle »1 à intervenir sur les enjeux du développement durable. C’est sur la base de ce constat que nous avons émis notre seconde hypothèse selon laquelle les organisateurs d’événements sportifs opérant dans le champ des sports de nature auraient un comportement stratégique particulièrement favorable au déploiement des démarches de RSE.

1 Traduction libre de « taken-for-granted » (qui se traduit plus littéralement par « allant de soit ») en référence à la « taken-for-granted legitimacy » définie par Suchman en 1995.