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CHAPITRE 1 Des fondements aux récents

4. Comportements stratégiques en matière de RSE

4.2. Types de réponse : Réaction ou Proaction ?

4.2.2. Le modèle prédictif d’Oliver (1991)

En 1991, Christine Oliver analyse le contexte et les motivations du comportement organisationnel des entreprises en comparant la perspective de la dépendance des ressources (Pfeffer & Salancik, 1978) et la perspective institutionnelle, notamment les travaux de DiMaggio & Powel (1983) sur l’isomorphisme institutionnel dans lesquels les auteurs expliquent la tendance des organisations à devenir similaires par la quête de légitimité. Elle

identifie cinq types de réponses stratégiques à des processus institutionnels et trois tactiques pour chaque type de réponse. Elle propose un modèle prédictif visant à prévoir les réponses stratégiques des organisations selon 10 facteurs déterminants. Ces facteurs institutionnels découlent des questions que doivent résoudre les organisations pour adapter leur comportement et permettent d’identifier les causes, les acteurs, le contenu, les moyens et le contexte des pressions exercées.

« Organizational responses to institutional pressures toward conformity will depend on why these pressures are being exerted, who is exerting them, what these pressures are, how or by what means they are exerted, and where they occur. The five institutional antecedents (…) — cause, constituents, content, control, and context — correspond respectively to these five basic questions. »1 (p. 159)

Le tableau ci-après synthétise ces questions et les éléments prédictifs du comportement des organisations qui en découlent.

Tableau 1-4 : Questionnements à la base des réponses stratégiques des entreprises (adapté de Oliver, 1991)

1 « Les réponses organisationnelles aux pressions institutionnelles, en termes de conformité, dépendent de pourquoi ces pressions sont exercées, de qui les exerce, de la forme qu’elles prennent, de comment ou de par quels moyens elles sont exercées et d’où elles apparaissent. Les cinq antécédents institutionnels – cause, composants, contenu, contrôle, contexte – correspondent respectivement à ces cinq questions de base. » (Traduction libre)

Selon Oliver, les organisations élaborent des réponses stratégiques aux pressions institutionnelles de leurs parties prenantes en fonction des plusieurs éléments relatifs au type de pression institutionnelle (tableau 1-4) et à la stratégie adoptée par l’entreprise pour y faire face (tableau 1-5). Oliver note que les pressions institutionnelles prennent plusieurs formes et qu’elles s’exercent sur les entreprises de plusieurs manières selon leur origine, leur forme et le contexte organisationnel (tableau 1-4).

L’auteur identifie tout d’abord deux dimensions prédictives du comportement stratégique des entreprises en fonction de la cause des pressions institutionnelles. Elles peuvent s’exercer pour des raisons économiques (attente d’efficacité) et/ou pour des raisons sociales (comme réduire la pollution, produire des biens et des services sûrs, promouvoir la santé et la sécurité des employés).

Deux critères relatifs aux parties prenantes qui exercent ces pressions sont également proposés. Pour l’auteur, la réponse de l’entreprise dépend en effet du nombre de demandes reçues et du degré de dépendance de l’organisation vis-à-vis de ses parties prenantes. En troisième lieu, il est également décisif de s’intéresser au niveau de cohérence des attentes des parties prenantes avec les objectifs de l’organisation, ainsi qu’au type de contraintes qui s’imposent (plus ou moins arbitraires).

Le fait que ces contraintes s’exercent de façon volontaire ou de façon légale – et donc obligatoire – est également un élément important retenu par l’auteur pour expliquer le comportement des entreprises. Enfin, le contexte dans lequel évolue l’organisation est, lui aussi, décisif. L’incertitude qui peut y régner et l’interdépendance de l’organisation avec son environnement sont prises en compte.

Le travail d’Oliver repose sur la compréhension des dimensions prédictives du comportement des entreprises que nous venons de préciser (tableau 1-4) mais aussi sur la proposition d’une typologie de stratégies adoptées par les entreprises pour répondre aux pressions institutionnelles (tableau 1-5).

Tableau 1-5 : Comportements stratégiques adoptés par les entreprises en réponse aux pressions institutionnelles (adapté de Oliver, 1991)

Face aux pressions exercées par leurs parties prenantes, les entreprises adoptent, selon Oliver, cinq stratégies différentes allant de la soumission à la manipulation des acteurs de manière à faire évoluer les attentes de la société d’une manière jugée plus favorable pour l’organisation. Le tableau 1-5 présente ces comportements et les tactiques qui leur sont liées.

Les entreprises peuvent tout d’abord choisir de se soumettre aux pressions des parties prenantes en se conformant aux règles et normes attendues. En procédant ainsi, les entreprises sont susceptibles de renforcer leur légitimité et d’accroître leur stabilité grâce à la relation de confiance qui peut se construire avec les parties prenantes. Ce type de comportement peut s’illustrer par le recours à des consultants dont la mission consiste alors à identifier des comportements opérationnels adoptés par d’autres entreprises en réponse au même type de pressions et à accompagner l’entreprise dans l’adoption de ces comportements. Pour décrire cette stratégie, Galaskiewicz & Wasserman (1989) parlent d’isomorphisme mimétique (p. 476).

Une deuxième attitude consiste à faire des concessions en se conformant un minimum aux attentes des parties prenantes, en cherchant à équilibrer leurs intérêts et ceux de

l’organisation et en s’investissant des un processus de négociation. Il s’agit là aussi de se conformer aux règles, normes et valeurs institutionnalisées mais dans une logique différente de la première stratégie puisqu’ici, les entreprises raisonnent avant tout et surtout en fonction de leurs propres intérêts.

Les entreprises peuvent également choisir d’éviter les pressions institutionnelles.

Contrairement aux logiques de soumission ou de négociation qui reposent sur une volonté de prendre en compte les attentes et les intérêts des parties prenantes, cette stratégie repose sur la volonté de contourner les normes et règles afin de ne pas s’y conformer. Poussée à son terme, cette logique peut conduire à l’abandon de certaines activités, au moins sur certains territoires.

Les délocalisations d’industries polluantes vers des pays en développement moins regardant sur la législation relative à la protection de l’environnement et des travailleurs sont courantes.

En 1999, un rapport du WWF met ainsi en lumière le fait que le renforcement de la réglementation américaine relative à la qualité des l’air a fortement encouragé la production de solvants au Mexique1.

Le défi constitue une forme encore plus active de résistance aux pressions institutionnelles. L’entreprise conteste les normes qui lui sont imposées. Cette remise en cause des exigences des parties prenantes peut conduire l’organisation à les attaquer de façon à les discréditer et à remettre en cause la légitimité de leurs attentes. Il peut s’agir de commander ou de faire référence à des travaux scientifiques concurrents allant à l’encontre des conclusions communément admises par la société. En 2010, Greenpeace dénonçait ce type de comportement adopté par la compagnie pétrolière américaine Koch accusée de financer des groupes climato-sceptiques afin qu’ils diffusent de fausses informations sur le thème du réchauffement climatique. Peu importe aux entreprises agissant de la sorte d’avoir tort. Le doute semble permis et cela leur suffit pour remettre en cause les attentes légitimes de leurs parties prenantes.

Le niveau le plus élevé de résistance aux pressions institutionnelles est la manipulation. Elle se définit comme une tentative résolue d’influencer et de contrôler les pressions institutionnelles. Ce type de comportement se traduit par un lobbying très actif et/ou par des propositions de cooptation visant à intégrer les parties prenantes à l’organisation de

1 Mabey, N., & Mc Nally, R. (1999). Foreign Direct Investment and the Environment : from Pollution Haven to Sustainable Development. UK : WWF.

manière à pouvoir les contrôler. Dans un rapport d’octobre 20101, l’ONG Climate Action Network Europe dénonce des entreprises européennes (parmi lesquelles des entreprises françaises, comme GDF-Suez et Lafarge) qui financent des membres du Sénat américain climato-sceptiques et/ou opposés à toute législation climatique aux Etats-Unis.

Comme nous venons de le voir, le travail d’Oliver se décompose donc en trois parties.

Tout d’abord, elle identifie les facteurs qui vont influencer la réponse de l’organisation aux pressions institutionnelles (tableau 1-4). Ensuite, elle propose une typologie des comportements stratégiques adoptés par les entreprises en réponse à ces pressions institutionnelles (tableau 1-5). Dans un troisième temps, Oliver émet des hypothèses sur le sens des relations entre le type de réponse stratégique et le facteur prédictif concerné. Par exemple, elle pose que moins le degré de dépendance aux parties prenantes est important, plus l’organisation sera dans une attitude de résistance aux pressions institutionnelles.

Le tableau 1-6 permet d’établir le type de comportement que l’entreprise adoptera en fonction du degré (fort, modéré ou faible) de chacun des facteurs prédictifs identifiés par Oliver. Ainsi, une entreprise adopte une attitude de défi quand :

- les pressions qui s’exercent sur elle sont peu liées à ses aptitudes sociales et à son efficacité économique,

- les demandes des acteurs institutionnels sont nombreuses mais qu’elle dépend faiblement de ses parties prenantes,

- les normes et exigences auxquelles l’entreprise doit se conformer sont arbitraires et peu en cohérence avec ses propres objectifs,

- les contraintes légales et les normes sont peu nombreuses,

- elle dépend peu de son environnement et qu’il y a peu d’incertitudes au sein de cet environnement.

1 http://www.rac-f.org/IMG/pdf/EU_businesses_supporting_US_deniers_FINAL_-1.pdf

Tableau 1-6 : Facteurs institutionnels prédictifs et comportement des entreprises (adapté de Oliver, 1991)

L’objet des travaux d’Oliver est donc d’expliquer le comportement stratégique des entreprises en fonction de critères préétablis. Pour cet auteur, les entreprises réagissent aux pressions institutionnelles qui s’exercent sur elles en fonction du type de pression mais aussi en fonction d’une stratégie adoptée dans le but de se conformer aux attentes des parties prenantes ou, au contraire, de résister à ces pressions, voire de manipuler les acteurs et les normes pour éviter de s’y conformer et faire évoluer les attentes des parties prenantes dans un sens jugé plus favorable à l’organisation. Le nombre de facteurs prédictifs identifiés par Oliver est conséquent et rend la lecture de ce modèle délicate, qu’il soit utilisé à des fins descriptives ou explicatives du comportement des organisations. Il peut sembler difficile à opérationnaliser. Aussi, il est intéressant de se pencher également sur le modèle proposé en 1997 par Rowley.