• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 1 Des fondements aux récents

3. La théorie des parties prenantes

3.6. Les différentes dimensions de la TPP

3.6.3. Dimension normative

Cette vision éthique de la théorie des parties prenantes est prise en compte dans sa dimension normative. Pour Donaldson & Preston (1995) le cœur de la théorie des parties prenantes est normatif car elle établit les principes moraux et philosophiques qui justifient la prise en compte des intérêts des parties prenantes. Dans cette optique, la théorie des parties prenantes est moins un apport managérial destiné à optimiser la performance de l’entreprise grâce à la gestion de ses relations avec ses parties prenantes qu’une aide pour le faire de façon éthique. Les parties prenantes sont « personnes ou groupes avec un intérêt légitime dans les aspects procéduraux et/ou de fond de l’activité de l’entreprise » (p. 85). Elles sont identifiées et définies par leurs intérêts à l’égard de l’entreprise, que l’entreprise ait elle-même ou non des intérêts liés à leurs activités. Dans cette approche normative, les auteurs insistent sur le fait que la prise en considération des parties prenantes s’effectue en fonction de leurs intérêts propres et non du bénéfice attendu pour l’organisation elle-même ou certaines autres de ses parties prenantes, comme par exemple les actionnaires. A ce niveau, la théorie des parties prenantes prescrit les comportements et pratiques à adopter envers ses parties prenantes de manière à équilibrer leurs exigences et leurs intérêts, parfois conflictuels.

Evan & Freeman (1993) qui sont à la base de ce courant de la théorie des parties prenantes vont jusqu’à affirmer que l’entreprise doit être dirigée au profit de ses parties prenantes et que celles-ci doivent participer à la prise des décisions susceptibles d’affecter leur bien-être. Ils insistent également sur l’importance de la relation fiduciaire que les dirigeants entretiennent avec leurs parties prenantes. Les fondements éthiques de la théorie des parties prenantes trouvent leurs sources dans plusieurs courants théoriques (cf. figure 1-8 p. 60) parmi lesquels l’éthique kantienne. Evan & Freeman rappellent ainsi l’impératif

catégorique formulé par Kant : « chaque personne humaine possède une dignité fondamentale qui commande un respect absolu » (p. 82). Sur la base de ce principe et de la théorie de la justice sociale de Rawls (1971), les auteurs déduisent que chaque partie prenante mérite de la considération et un traitement équitable, et pas seulement en raison de son aptitude à servir les intérêts des autres. En 1999, Donaldson & Dunfee parlent, quant à eux, d’un contrat social entre l’entreprise et la société. Selon eux, ce contrat social confère à l’entreprise l’obligation morale de contribuer au bien-être de la société.

Il convient de noter que, dans sa dimension normative, la théorie des parties prenantes ne néglige pas l’importance de l’aspect économique mais, au contraire, en reconnaît le caractère incontournable et tente de réconcilier les logiques économique et éthique qui doivent ou devraient gouverner les stratégies des entreprises. Ceci explique en partie le fait que la théorie des parties prenantes constitue un cadre privilégié pour modéliser la responsabilité sociétale des entreprises (Mullenbach-Servayre, 2007, p. 118).

Les trois dimensions de la théorie des parties prenantes sont modélisées par Donaldson

& Preston (1995) sous la forme de cercles concentriques imbriqués (figure 1-13, p. 81). Le cercle le plus large représente l’approche descriptive de la théorie qui permet d’observer la réalité des relations de l’entreprise avec son environnement. Le cercle intermédiaire correspond à l’aspect instrumental qui tente d’établir des relations entre la performance de l’entreprise et la gestion de ses parties prenantes. Enfin, le cœur de la théorie est constitué par sa dimension normative qui lui confère ses fondements éthiques.

Figure 1-13 : Les dimensions de la théorie des parties prenantes (adapté de Donaldson & Preston, 1995)

Pour Donaldson & Preston, chaque dimension présente un intérêt différent mais a bel et bien une valeur en tant que telle et ne doit pas être sous-estimée. Partant de ce principe qu’une dimension ne peut se suffire à elle-même mais doit être complétée par les autres, Jones

& Wicks tentent, en 1999, d’unifier la théorie des parties prenantes. Ils examinent les points communs entre les approches de la théorie des parties prenantes comme science sociale (descriptive et instrumentale) et l’approche fondée sur l’éthique normative. Leurs travaux conduisent à l’élaboration d’une théorie des parties prenantes dite « convergente » ou

« théorie hybride » dont l’objectif est d’expliquer comment les dirigeants d’entreprise peuvent développer une activité « saine », tant au plan économique, qu’au plan moral.

Au-delà de son aspect descriptif, la théorie des parties prenantes a un objectif stratégique plus large et vise à refonder la vision de la firme dans la société. Pour légitimer l’existence d’une telle théorie – concurrente de la vision classique actionnariale de l’entreprise – la littérature doit répondre à une question fondamentale : qu’est-ce qui justifie la prise en compte des parties prenantes dans la gouvernance des entreprises ? Les justifications théoriques de l’existence et de la prise en compte des parties prenantes ont été présentées

précédemment. Pour Andriof & Waddock (2002, pp. 30-33), la légitimité et le pouvoir constituent les deux principaux fondements de la justification de la prise en compte des parties prenantes (voir figure 1-8 p. 60). Ces deux caractéristiques figurent d’ailleurs déjà dans la typologie des parties prenantes de Mitchell, Agle & Wood (1997) qu’ils complètent par le concept d’urgence afin de donner une dimension dynamique au modèle. La façon même d’appréhender la théorie des parties prenantes a un impact déterminant sur les conséquences de la prise en compte de ces parties prenantes en matière de stratégies d’entreprises. Les théories des parties prenantes s’inscrivent dans deux paradigmes opposés (Gioia, 1999) ou complémentaires (Jones & Wicks, 1999) qui sont à l’origine de deux types de représentation de la responsabilité sociétale de l’entreprise (Pasquero, 2005) :

- une vision « orientée business », utilitariste, dans laquelle la RSE est perçue comme un outil au service des entreprises. La prise en compte des intérêts des parties prenantes est une condition de la performance des entreprises ;

- une vision « orientée éthique », normative, dans laquelle la RSE est vécue comme un idéal. La prise en compte des intérêts des parties prenantes découle des obligations morales de l’entreprise à leur égard.

Figure 1-14 : Les principaux paradigmes de la théorie des parties prenantes