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Thèse d’Henri Bouillard : une herméneutique théologique

Chapitre IV : Concept d’herméneutique en théologie

IV. 2.2.2 « Linguisticité » du principe herméneutique selon Fuchs

IV.3 Démarche herméneutique d’Henri Bouillard

IV.3.2 Thèse de Bouillard : un langage de foi ?

IV.3.2.3 Thèse d’Henri Bouillard : une herméneutique théologique

En prenant en compte des objections à la thèse de Bouillard et l’explication qu’en même temps elle nous fournit, il apparaît difficile de la rattacher à quelque courant que ce soit : naturalisme, relativisme ou encore subjectivisme. Bouillard se défend par démonstration de toutes ces restrictions. Dans le même mouvement il s’oppose également à l’historicisme dont on a pu l’accuser ainsi qu’au dogmatisme extrinséciste ancien.

Les éléments de la démarche et de la conclusion bouillardiennes laissent plutôt voir un travail d’herméneutique linguistique, parce que cherchant le renouvellement de l’expression de la « vérité immuable », qu’est la vérité de foi afin que celle-ci se maintienne et soit exprimée dans les termes et schèmes de la pensée moderne, celle de son temps. Le postulat de la thèse de Bouillard inscrite dans son concept de « théologie actuelle », consiste dans l’intérêt qu’il manifeste non de répéter mais de redire ou d’exprimer de façon nouvelle la vérité de la foi. Ce postulat se présente comme une perspective de solution d’actualisation de la théologie pour passer la crise linguistique que nous avons évoquée plus haut. La thèse de Bouillard fait apparaître une opération d’herméneutique qui relève de la

catégorie du « langage de la foi » tel que celui-ci ressort de la perspective herméneutique de G. Ebeling. En d’autres termes, la réflexion théologique de Bouillard à partir et sur la doctrine de saint Thomas d’Aquin est une réflexion qui s’est mise pour l’affronter, dans le champ épistémologique de la crise linguistique caractéristique de son temps. Le résultat de cette réflexion est l’affirmation de la nécessité de l’herméneutique linguistique en théologie pour retrouver un « langage de la foi » au service d’une compréhension actuelle de celle-ci. Il s’agit pour Bouillard d’une perspective herméneutique inscrite dans son concept de « théologie actuelle » qui pose la nécessité d’une interprétation dans l’aujourd’hui du monde. De ce point de vue, comme nous l’avons signalé plus haut, nous pensons qu’aujourd’hui le document de la Commission biblique pontificale s’inscrit bien dans l’herméneutique du concept bouillardien de « théologie actuelle » lorsque, soulignant l’utilité des théories herméneutiques contemporaines comme celle de Ricœur, il explique que celle-ci

trouve un fondement dans la Bible elle-même et dans l’histoire de son interprétation. L’ensemble des écrits de l’Ancien et du Nouveau Testament se présente [en effet] comme le produit d’un long processus de réinterprétation des évènements fondateurs, en lien avec la vie des communautés.1

C’est dans ce sens qu’il faut souscrire à l’affirmation de P. Ricœur selon laquelle, le travail herméneutique est la « répétition » de celui « qui a présidé à l’élaboration des traditions du fond biblique »2.

Ainsi, selon l’herméneutique théologique bouillardienne qui se dégage du concept de « théologie actuelle », si la vérité de la foi, elle, est immuable, la formulation théologique qui en est faite quant à elle, ne l’est pas, car cette dernière requiert permanemment une interprétation critique de mise à jour qui lui permet de garder non seulement sa conformité à la vérité immuable, mais aussi d’être « actuelle ». L’intuition théologique de Bouillard sous-jacente à son concept de « théologie actuelle » rejoint l’idée herméneutique de Ricœur qui affirme : « la vérité en régime herméneutique chrétien est toujours à faire. »3 Ceci implique ce qu’on peut appeler « l’aggiornamento » de la conception et de la réflexion

1 CBP. L’Interprétation de la Bible dans l’Eglise ..., op. cit., p. 67.

2 Cf. P., Ricoeur. Le conflit des interprétations ..., p. 48-51.

théologique. Dans cette perspective herméneutique connexe au concept bouillardien de « théologie actuelle », s’entend aussi ce qu’affirme le professeur J.-L. Soulétie en ces termes, à savoir que la vérité théologique « s’énonce différemment, parce qu’elle est historique, et […] c’est sa façon d’être fidèle à son origine »1. Il y a ici l’expression d’un impératif auquel la réflexion théologique de tous les temps ne peut se soustraire, dans la mesure où le rôle que le deuxième concile confère à l’Église, est par implication assigné aussi à la théologie, lequel consiste dans « le devoir, à tout moment, de scruter les signes des temps et de les interpréter à la lumière de l’Evangile »2. C’est de ce point de vue que le concept bouillardien s’inscrit dans la perspective herméneutique de G. Ebeling dans le sens que ce dernier la conçoit comme démarche épistémologique de la théologie qu’implique la nécessité du renouvellement du « discours » ou du « langage de la foi » ainsi que nous l’avons exposée. Mais la perspective herméneutique de Ricœur dans sa double polarité philosophique et scripturaire permet de lire aussi le contenu herméneutique, c’est-à-dire « l’entité de pensée » inscrite dans le concept d’Henri Bouillard. C’est pourquoi, nous allons à présent consacrer les deux chapitres qui suivent respectivement aux déterminants philosophique et théologique de ce concept.

1 J.-L., Soulétie. La crise, une chance pour la foi, p. 97.

Chapitre V : Concept de « théologie actuelle » : déterminant

philosophique.

Comme nous le signalions, la perspective herméneutique de Ricœur, dans son double pôle philosophique et biblique, est ici notre référence méthodologique pour décrypter davantage « l’entité de pensée » qui se trouve inscrite dans le concept de « théologie actuelle » par Bouillard. Ce concept résume à lui seul en effet, la pensée théologique et l’itinéraire intellectuel de son auteur. Cet itinéraire bouillardien, dans sa double polarité, philosophique et théologique, autorise de voir l’herméneutique que porte son concept de « théologie actuelle » en parallèle avec le double registre de l’herméneutique de Ricœur. Chez ce dernier en effet,

l’herméneutique biblique se subordonne à l’herméneutique générale en tant qu’herméneutique régionale, parce que la première incorpore nécessairement des concepts, des arguments et des méthodes issus de la seconde. Nous avons vu tout ce que la médiation de l’étude philosophique du langage fournit à l’usage de l’herméneutique kérygmatique : la réflexion sur les catégories du texte et de son interprétation, sur la dialectique de l’explication et de la compréhension, sur le rôle du lecteur et sur l’historicité du sens ‘’sert d’organon à l’herméneutique biblique’’1.

C’est dans une telle « relation d’inclusion mutuelle » que le déterminant philosophique que nous abordons dans ce chapitre se situe avec le déterminant théologique qui fera l’objet du chapitre suivant, tous deux participant de l’herméneutique dont la formule « théologie actuelle » de Bouillard est le concept. Pour explorer ce déterminant philosophique du concept de « théologie actuelle », commençons par souligner l’intérêt de son auteur pour la philosophie.