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Chapitre IV : Concept d’herméneutique en théologie

IV. 2.2.2 « Linguisticité » du principe herméneutique selon Fuchs

IV.2.4 Herméneutique selon Paul Ricœur

IV.2.4.2 Principe de l’« arc herméneutique »

Le principe de l’« arc herméneutique » de Ricœur se déploie sur le « pôle » de l’interprétation du texte en trois segments que sont : la précompréhension, la dialectique : explication-compréhension et enfin l’acte de lecture et d’appropriation qui aboutit à une compréhension existentielle. C’est surtout dans le déploiement de ces trois segments de l’« arc herméneutique » que la méthode d’interprétation philosophique du langage chez Ricœur, lui « sert d’organon à [son] herméneutique biblique »2 bien qu’il met en évidence la spécificité irréductible du langage religieux du fait que celui-ci porte sur le « nom de Dieu »3 comme son référent ultime, auquel le nom du Christ confère toute sa densité historique en référence à l’amour sacrificiel plus fort que la mort4.

En adhérant au fait que la Bible nomme Dieu, le lecteur entre dans l’intelligence du réseau intertextuel des Ecritures [de la conviction à la critique] ; en acceptant le détour des méthodes objectivantes, il transforme la proposition de sens en expérience de vérité et enrichit sa foi [de la critique à la conviction]. Il parvient ainsi à articuler dans un même arc herméneutique les trois temps de la précompréhension, de l’explication et de la compréhension- appropriation.5

1 CBP. L’Interprétation de la Bible dans l’Eglise..., op. cit., p. 67.

2 P., Ricoeur. La critique et la conviction…, op. cit., p. 228.

3 L’ineffabilité du nom de Dieu est un thème prisé de Ricœur. Il y consacre un nombre important

de ses écrits et développements tels : « Nommer Dieu » ; « Fides quaerens intellectum : antécédents bibliques? » et « D’un Testament à l’autre : essai d’herméneutique biblique ».

4 Cf. P., Ricoeur. Herméneutique philosophique et herméneutique biblique. F., Bovon ; G., Rouiller

(éd.), Exegesis..., op. cit., p. 129.

L’« arc herméneutique » tel que le conçoit Ricœur commence donc à se dessiner par une première appréhension du texte, saisi comme un tout : c’est la précompréhension. Il se poursuit ensuite dans le moment de l’explication par une série de démarches visant les unes, à expliciter l’engendrement du texte, son « sitz im leben » par les méthodes diachroniques telles l’historico-critique, et les autres à ressortir les éléments constitutifs du texte en relation avec l’ensemble (les méthodes synchroniques). Enfin, l’arc s’achève par une nouvelle saisie « en imagination et sympathie » du texte comme un tout ; cette saisie du texte permet le transfert du « monde du texte » au « monde du lecteur » : c’est l’appropriation qui boucle l’arc herméneutique. Cette appropriation signifie la nouvelle compréhension de soi à partir de celle du texte laquelle, par le « phénomène de retournement interprétatif »1, implique du sujet qu’il consente à se désapproprier de lui-même afin de se laisser saisir par les nouvelles possibilités d’être-au-monde dégagées par le texte.

Ainsi, comme le dit son présentateur,

la visée ultime de tout l’arc herméneutique reste pour Ricœur, éminemment existentielle : l’interprétation ne s’achève que lorsque le lecteur s’approprie le monde du texte. Cependant, qui dit appropriation ne dit pas “retour subreptice de la subjectivité souveraine” […] Comme le dit Ricœur, en des termes typiques de Soi-même comme un autre : “J’échange le moi, maître de lui- même, contre le soi, disciple du texte”2.

C’est dans ce sens que S. M. Schneiders, s’inspirant de cette conception ricoeurienne de l’acte de la lecture, parle de la Bible comme « texte de la rencontre »3 entre le monde derrière le texte (la proclamation de l’évènement Jésus), le monde du texte (comme langage révélateur et témoignage) et le monde devant le texte (l’appropriation par le lecteur du texte révélateur).

Dans cette logique de lecture, pour Ricœur, le texte des Ecritures manifeste les possibilités d’être-au-monde et d’être-dans-le-temps les plus essentielles à l’homme, et ce parce que le texte scripturaire projette devant le lecteur le

1A.-M., Pelletier. D’âge en âge les Ecritures. La Bible et l’herméneutique contemporaine, p. 153.

2 P., Ricoeur. L’herméneutique biblique..., op. cit., p. 61.

3 C’est en partie le titre de son livre auquel nous nous référons ici : cf. S. M., Schneiders. Le texte

de la rencontre. L’interprétation du Nouveau Testament comme écriture sainte (traduit par J.-C., Breton et D., Barrios-Delgado). Coll. « LD » 161. Paris : Cerf-Fides, 1995.

« monde nouveau », l’être nouveau, la nouvelle naissance pour le « Royaume » de Dieu dont parle la « Révélation ». Ainsi,

le référent de la Bible a comme deux “versants” : le Nom de Dieu, les évènements de l’histoire d’Israël, le Royaume, l’évènement-sens de la Résurrection du Christ, le monde “objectif” du texte que vise d’abord la compréhension ; à son tour, ce versant objectif, par l’acte de lecture, est capable de transformer l’existence “subjective” du lecteur en la profondeur de son être, de refigurer le sens de l’histoire humaine et la réalité tout entière.1 Mettant ensemble les deux principes identifiés dans la conception ricoeurienne de l’herméneutique – celui de la distanciation et celui de l’arc herméneutique – il se révèle selon cet herméneute, qu’avant d’être l’œuvre des lecteurs, le geste de l’interprétation est d’abord le fait du texte, c’est-à-dire une interprétation dans le texte et par le texte. Le travail des interprètes consiste avant tout à dévoiler le dynamisme du texte, puis à le prolonger « en imagination et en sympathie »2 pour leur situation existentielle nouvelle. Sur cette base, ainsi comme le dit le présentateur de Ricœur, François-Xavier Amherdt, nous pouvons conclure de la conception ricoeurienne que

la vérité en régime herméneutique chrétien est toujours à faire. Le travail de l’interprétation consiste moins à restituer un sens originaire qu’à réactiver le dire du texte afin de produire dans la direction même ouverte par les Ecritures de nouveaux textes, c’est-à-dire de nouvelles propositions qui répondent à la situation contemporaine et “de nouvelles pratiques qui « permettent » l’émergence d’un nouveau monde”.3

Pour la Commission biblique pontificale, « la nécessité d’une [telle] herméneutique, c’est-à-dire d’une interprétation dans l’aujourd’hui de notre monde, trouve un fondement dans la Bible elle-même et dans l’histoire de son interprétation. »4

Notre bref parcours sur la notion de l’herméneutique à partir des présupposés du mot jusqu’à ses conceptualisations depuis Schleiermacher à Ricœur, nous permet d’attester l’hypothèse que nous avons posée selon laquelle le concept de Bouillard, « théologie actuelle » est un concept éminemment herméneutique. La

1 P., Ricoeur. L’herméneutique biblique..., op. cit., p. 51.

2 P., Ricœur. « Herméneutique. Les finalités de l’exégèse biblique », p. 34.

3 P., Ricoeur. L’herméneutique biblique..., op. cit., p. 55-56.

dernière conception de l’herméneutique à laquelle nous sommes parvenue, celle ricoeurienne, ainsi que l’intention et la démarche méthodologique de Bouillard telles que nous les avons examinées dans la première partie de notre travail, nous permet même d’affirmer que l’herméneutique attachée au concept bouillardien doit être située sur un double « pôle » : le pôle philosophique et celui théologique. Ces pôles philosophique et théologique de l’herméneutique bouillardienne inscrite dans le concept de « théologie actuelle » feront l’un après l’autre, respectivement l’objet des développements que nous donnerons dans les deux chapitres qui suivront. Mais avant examinons un peu plus la démarche de Bouillard à travers laquelle nous identifions son herméneutique.