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Rapport philosophie-théologie dans le contexte de Bouillard

Chapitre IV : Concept d’herméneutique en théologie

IV. 2.2.2 « Linguisticité » du principe herméneutique selon Fuchs

V.1 Bouillard et les courants philosophiques de son temps

V.1.2 Rapport philosophie-théologie dans le contexte de Bouillard

A la suite de sa thèse à partir de l’étude faite sur saint Thomas et le néo- thomisme de son époque, l’investigation de Bouillard se concentre davantage sur la relation entre christianisme et philosophie, dans le sens où celle-ci désigne pour lui « la compréhension du sens de la vie humaine ». En fait, le travail d’herméneutique effectué par Bouillard pour aboutir au concept de « théologie

1 J., Doré. « Théologie et philosophie chez Henri Bouillard », op. cit., p. 803.

2 Ibid, p. 806. Mais à la suite de cette affirmation, J. Doré reconnaît qu’« on peut cependant, penser

actuelle », tel que nous l’avons exposé, s’est opéré dans le creuset de la relation entre philosophie et théologie. En effet, en se mettant dans la quête d’une pensée philosophique de son époque qui pourrait « plus ou moins assumer par rapport à la théologie un rôle analogue à celui qu’avait joué l’œuvre d’Aristote pour les grands scolastiques du Moyen Âge », Bouillard a concentré cette quête dans la question épistémologique suivante : « Quel rapport peut-il exister, dans une conscience chrétienne, entre la réflexion philosophique et la foi religieuse1 ? »

La question ainsi posée, manifeste le désir profond d’un croyant qui cherche à « comprendre ce qu’il croit » avec la conviction que la philosophie comme « compréhension du sens de la vie humaine », peut offrir un jaillissement ou une prémisse du mystère chrétien, car « la grâce suppose la nature ». Sa préoccupation l’amène en fait très vite à celle « du problème du rapport de la philosophie et de la religion […] »2. Le rapport de la pensée philosophique à la foi religieuse constitue pour notre auteur un questionnement épistémologique qui lui fait prendre au sérieux l’une et l’autre.

Comme nous l’avons dit, pour développer sa thèse, Bouillard se mit dans une « longue enquête » sur le rapport entre philosophie et théologie. Son premier point d’intérêt s’est trouvé dans la philosophie de Gabriel Marcel, le philosophe parisien du « concret »3 dont une des affirmations, « la reconnaissance du mystère est un acte libre au sein d’une épreuve »4, s’applique remarquablement à Conversion et

grâce de Bouillard. Celui-ci voit l’instant décisif de la philosophie de G. Marcel dans le fait que sans exiger de confesser le christianisme, elle peut préparer à s’y ouvrir5. Aussi, du philosophe parisien qu’il présenta au public de langue

et bel et bien des tendances et des orientations de fait largement à l’œuvre par ailleurs, au sein du contexte théologique d’ensemble qui est le sien. »

1 C’est le titre d’une communication que Bouillard donna à la Société lyonnaise de philosophie le

23 novembre 1946. Cf. VC, p. 59-68.

2 Ibid, p. 59.

3 Pour Bouillard, il y a dans ce mot l’essentiel de la conception que G. Marcel se fait de sa tâche de

philosophe, car « le philosophe est l’homme qui tente d’éclairer sa condition (situation) (…). Il se défiera de tout système. Il maintiendra un contact permanent avec le concret. » LF, p. 152. Bouillard, à ce sujet, s’appuie sur ce que G. Marcel lui-même écrivait en 1933 : « C’est dans le drame et à travers le drame, que la pensée métaphysique se saisit elle-même et se définit in

concreto. » G., Marcel. Position et approches concrètes du Mystère ontologique. Le monde cassé…, p. 277.

4 G., Marcel. Être et Avoir, p. 123 cité par H., Bouillard. LF, p. 161.

allemande dès 19501, Bouillard avait-il « une profonde estime [et] de l’homme et de son œuvre »2. Chez cet existentialiste chrétien3, « d’analyse phénoménologique à visée ontologique »4 qui se plaît « être en proie au réel »5 et pour qui le travail philosophique en tant que travail de recherche est « comme un forage bien plutôt que comme une construction »6, notre auteur découvre l’amorce de la vérification de sa conviction émise en hypothèse :

S’il est vrai, comme le dit Gabriel Marcel, qu’en chaque croyant renaît sans cesse un incroyant et que l’incroyant lui-même n’est pas totalement étranger à l’expérience du croyant, alors le problème, tel que nous le posons, trouverait un écho en toute conscience de philosophe7.

Bouillard part donc de l’analyse de cet écho dans un certain nombre de courants philosophiques.

La première résonnance de cet écho dont Bouillard fait d’abord le constat est celle qu’on peut appeler le rapport de la « coexistence pacifique » qui est longtemps restée entre foi religieuse et réflexion philosophique. Cette résonnance fait entendre « deux ordres de connaissance et d’activité, deux domaines bien séparés » : d’un côté, la raison qui guide le philosophe par sa lumière propre dans la connaissance et l’organisation du monde, et de l’autre côté, la foi, « obéissance aveugle à l’autorité de l’Église, ferait connaître à l’homme le dessein de Dieu sur lui et l’orienterait ainsi vers son salut. »8 Mais pour notre jésuite, ce rapport de coexistence pacifique est en réalité un rapport de distance dans lequel chacun des deux régimes – philosophique et théologique – reste souverain chez lui, c’est un rapport de juxtaposition sans compénétration, avec pour seule exigence, le respect mutuel de la compétence de chacun. Le positif de ce rapport de juxtaposition et de distance est qu’il assure d’une part, l’indépendance de la philosophie et d’autre part, permet de soustraire les vérités révélées aux critiques de cette dernière. Ce rapport de commodité et de fragile préservation mutuelle qu’on trouve par

1 Cf. Metaphysisches Tagebuch. Wort und Wahrheit 7, p. 525-534 (repris dans LF, p. 149- 167).

2 K. H., Neufeld. « Préface ». VC, p. 23.

3 Cf. R., Troisfontaines et al. Existentialisme chrétien..., p. 203-214 ou R., Troisfontaines. De

l’Existence à l’Être. La philosophie de Gabriel Marcel. Vol. 2/2. Paris : Vrin, 1953.

4 LF, p. 153.

5 Ibid.

6 G., Marcel. Du refus à l’invocation..., p. 23.

7 VC, p. 59.

exemple dans la conception cartésienne, soulève une grave objection selon Bouillard. D’après ce dernier en effet, dans ce rapport de l’une avec l’autre,

« philosophie et religion sont, l’une et l’autre, totalitaires »1, car chacune se situe dans la prétention de dire le tout de la vie et du monde pour en éclairer la signification. Ainsi, et ceci est vrai, la foi n’est pas une simple obéissance à l’autorité religieuse, adhésion brute à une histoire et à des dogmes ; elle suscite toute une conception de l’homme, une vision du monde qui induit une sagesse de vie. De son côté aussi, la connaissance philosophique veut tout comprendre, même la religion. De ces statuts épistémologiques de la philosophie et de la théologie, analyse Bouillard, « il n’est […] pas possible d’assigner à chacune un domaine séparé. L’une et l’autre se rapportent au Tout. Les voici donc, semble-t- il, vouées au conflit »2. Il en tire donc la conclusion selon laquelle : considérer la philosophie et la théologie dans un rapport de juxtaposition ne permet pas de les unir, mais aboutit plutôt à une relation conflictuelle. Celle-ci constitue une équivoque que des auteurs vont essayer de lever de deux manières. Ce sont ces deux manières de considération du rapport philosophie – théologie que nous allons maintenant examiner sous la conduite de Bouillard avant d’en venir à la pensée de ce dernier sur cette question de la relation entre la philosophie et la théologie.