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Conception de la théologie fondamentale selon Henri Bouillard

Bouillard, pour sa part, affirme que toutes ces conceptions différentes de « théologie fondamentale » à savoir, les « concept apologétique », « concept

1 Cf. K., Rahner. Est-il possible aujourd’hui de croire  ? - Dialogue avec les hommes de notre

temps. Traduction de l’allemand par Charles Muller. Préface de Henri de Lavalette, s. j. Paris : Mame, 1966, en particulier le chapitre V.

2 J.-P., Wagner. La théologie fondamentale selon Henri de Lubac, op. cit., p. 30.

3 Il s’agit « tout en maintenant la distinction (des) deux disciplines, apologétique et dogmatique,

(d’affirmer) la nécessité de leur union et de leur compénétration ». H., Bouillard. La tâche actuelle de la théologie fondamentale. VC, p. 150.

4 Cf. H., de Lubac. Athéisme et sens de l’homme, surtout la partie intitulée : Instauration d’un vrai

dialogue, p. 1-23.

5 H., Bouillard. La tâche actuelle de la théologie fondamentale. VC, p. 150.

6 Cf. son article « Fundamental-theologie » dans Lexikon für Theologie und Kirche, cité par H.,

dogmatique » et « concept formel » sont « toutes légitimes et nécessaires ». En effet, affirme-t-il

de leur propre aveu […] elles communiquent entre elles, et par les catégories formelles qu’elles mettent en jeu, et par leur thématique matérielle, qui est la même pour l’essentiel : la révélation de Dieu en Jésus-Christ et sa transmission par l’Église1.

Mais il choisit d’examiner de plus près la perspective de la « théologie fondamentale à visée apologétique », c’est-à-dire « celle qui entend exposer, dans un discours valable aux yeux de l’incroyant, ce que le croyant considère comme les fondements rationnels de la foi chrétienne »2. Dans cette ligne, notre auteur constate d’abord que la « crise » de « l’apologétique classique » était déjà identifiée en 1896 par M. Blondel dans sa Lettre sur l’Apologétique. Mais le témoignage du théologien de l’Ecole de Tubingen, Jean-Sébastien Drey, dans son livre L’Apologétique3, manifeste encore cette crise comme une « crise d’identité […] congénitale […] (laquelle selon H. Bouillard, ne peut être clarifiée qu’en passant) par un examen critique de sa genèse et de son histoire. »4 Dès lors, une nouvelle conception de « l’apologétique » va progressivement voir le jour, surtout par le fait que, beaucoup parmi les théologiens s’intéressant désormais plus aux fondements du discours théologique, voulant dès lors mieux prendre en compte l’expérience de foi du croyant et honorer davantage une dimension de dialogue avec les grands courants de pensée. C’est dans cette catégorie de théologiens que se situe incontestablement Bouillard qui, se démarquant nettement de

« l’autoritarisme » et de « l’extrinsécisme » de « l’apologétique classique » considérée avec le recul du temps, soulignait par exemple à propos de la perspective de Gardeil ce qui suit :

Le P. Gardeil radicalisait une tendance inhérente à l’apologétique classique, qui prétendait de plus en plus établir « scientifiquement » le fait de la révélation. Puisqu’on envisageait ce fait indépendamment de son contenu et de son sens et qu’on voulait cependant maintenir le caractère raisonnable et la valeur intellectuelle de l’acte de foi, avait-on une autre ressource que la rigueur d’une démonstration historique établissant le fait ? Mais ce rationalisme de la

1 H., Bouillard. La tâche actuelle de la théologie fondamentale. VC, p. 150-151.

2 H., Bouillard. La tâche actuelle de la théologie fondamentale. VC, p. 151.

3 J.-S., v. Drey, Die Apologetik als wissenschaftliche nachweisung der Göttlichhkeit des

Christentums in seiner Erscheinung, Erster Band, Mainz, 1838, Vorrede, p. IV cité par H., Bouillard, op. cit., p. 152.

positivité impliquait une méprise sur la véritable nature des raisons de croire et une méconnaissance du caractère existentiel de la foi1.

Ce regard acéré sur l’histoire de l’apologétique qui se concentre sur l’apport du P. Gardeil laisse déjà entrevoir l’orientation décisive que Bouillard donnera à la « théologie fondamentale » à travers son concept de « théologie actuelle ». Comme le fait remarquer justement Cl. Geffré, Bouillard, dans une perspective typiquement herméneutique, critique ainsi la dissociation du fait et du sens de la Révélation, et fait revenir à l’idée de Dieu et non de la Révélation comme le centre de gravité de la théologie moderne2. La question que Bouillard pose en effet à l’apologétique classique est de savoir comment elle pouvait prétendre établir le fait de la révélation par des arguments externes, les miracles et l’accomplissement des prophéties, tout en faisant abstraction de son sens. L’apologétique classique n’était-elle-même pas contaminée par le rationalisme du siècle des Lumières qu’elle combattait ? Pour Bouillard, dans la perspective de l’apologétique classique, la théologie post-tridentine entendait lutter contre le déisme de l’époque en se situant elle-même sur le terrain du rationalisme. En cela, Bouillard conteste cette apologétique faite de l’extrinsécisme d’un jugement de crédibilité qui veut constater scientifiquement le fait de la révélation, et d’un assentiment de foi au contenu de la révélation, c’est-à-dire des vérités surnaturelles indémontrables. Pour le jésuite, on ne peut accepter cette distinction entre ce que Dieu révèle et le fait que Dieu révèle. La constitution Dei Verbum du Concile Vatican II confirme ce rejet d’un double niveau fait d’abord de vérités naturelles et ensuite de vérités surnaturelles indémontrables. La révélation ne consiste pas, affirme la constitution conciliaire, dans la communication d’un corpus de vérités surnaturelles mais dans l’auto-communication de Dieu lui-même dans et par l’événement Jésus-Christ : « Dieu se révèle en personne et fait connaître le mystère de sa volonté »3. Ainsi, les miracles et les prophéties ne sont plus les preuves extrinsèques d’une révélation de vérités, mais les signes d’une communication où fait et sens, paroles et œuvres sont intimement unis entre eux.

1 H., Bouillard. De l’apologétique à la théologie fondamentale. VC, p. 143.

2 Cf. Cl., Geffré. « La théologie fondamentale d’Henri Bouillard revisitée ». Transversalités, 2009,

1, 109, p. 171-180.

De ce point de vue, pour Bouillard, le « point focal » de la théologie n’est plus comme au temps de l’ancienne « Apologétique » la « révélation surnaturelle » face au déisme, mais bien l’idée même de Dieu. À l’époque moderne en effet, face à l’athéisme et à l’indifférence religieuse, il importe de manifester la

« crédibilité » même du christianisme. Le jésuite français montre à ce sujet, qu’historiquement, c’est la doctrine de Dieu et non pas celle de la révélation qui tenait lieu de théologie fondamentale depuis l’ère patristique jusqu’au déisme du XVIIIè siècle, avant de se demander par l’affirmative, s’il n’y aurait pas lieu de reprendre

à notre manière une perspective analogue […], nous pour qui la question première n’est pas de savoir si une révélation surnaturelle est venue compléter la religion naturelle, mais bien plutôt de savoir si le mot Dieu a encore un sens et renvoie à une réalité.1

Aussi, Bouillard souligne-t-il l’actualité du concept de l’apologétique dans la théologie protestante2 dans la perspective de laquelle il se situe pour sa conception de la « théologie fondamentale ». Pour lui,

la théologie fondamentale aura pour rôle d’établir un lien entre la pensée profane et la pensée théologique, de jeter un pont entre notre expérience quotidienne et la réalité invisible dont parle le théologien ; elle rapportera le discours religieux aux autres aires de discours. Analysant dans un langage profane les situations ordinaires, l’expérience commune des hommes de notre temps, elle y dévoilera un aspect de transcendance, point d’attache pour ce qu’annonce le message chrétien. Elle montrera comment ce message prend un sens à nos yeux par le fait qu’il donne sens à nos expériences communes de contingence, de culpabilité, de caducité3.

On comprend que Bouillard perçoit la pertinence qu’il y a à situer comme dans la perspective du théologien luthérien G. Ebeling4, « le point focal » de sa

1 H., Bouillard. La tâche actuelle de la théologie fondamentale. VC, p. 156.

2 « Si les théologiens catholiques étaient tentés de renoncer à leur tâche apologétique, les

protestants seraient là pour la leur rappeler », note Bouillard. En effet, la terminologie « théologie fondamentale » plutôt catholique, est absente de la théologie protestante, mais le concept selon Bouillard, est bien présent dans cette dernière notamment chez les théologiens comme Schubert Ogden (notre auteur cite son livre The reality of God, london, SCM Press, 1967, p. 120.), le suédois Gustaf Aulén (The Drama and the Symbols, Philadelphia, Fortress Press, 1970, p. 71), l’anglican John Macquarrie (God-Talk, SCM Press, 1967, p. 121), l’américain Langdon Gilkey (Concilium 1969, 46, p. 137-138), les allemands Gerhard Ebeling et Wolfhart Pannenberg. Cf. H., Bouillard. La tâche actuelle de la théologie fondamentale. VC, p. 161-162.

3 H., Bouillard. La tâche actuelle de la théologie fondamentale. VC, p. 163.

4 G., Ebeling. Wort und Glaube, II (J.C.B. Mohr, Tübingen, 1969), p. 262-264 cité par H.

conception de la théologie fondamentale dans la « doctrine de Dieu », car la foi est essentiellement foi en Dieu1 : « Toutes les affirmations de la foi, ainsi que leur vérité, écrit Ebeling, sont suspendues à un seul point, savoir que Dieu est »2. Mais, tout en étant spontanément d’accord avec la position d’Ebeling, Bouillard nuance en notant explicitement qu’

il importe de préciser que nous ne revenons pas ainsi à un certain état de l’apologétique classique et de la théologie antérieure, où l’on croyait pouvoir élaborer une théologie naturelle, servant de fondement à la doctrine révélée qu’on lui superposait. Cet état, nous l’avons dit, implique une conception de la révélation qui n’est plus la nôtre, et il établit une construction artificielle à deux étages, où sens et fait sont dissociés. D’autre part, il présuppose que la croyance de Dieu est communément admise, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui ; et il tient qu’on peut la justifier par les preuves de la métaphysique classique, ce dont beaucoup ne sont plus convaincus3.

Et il ajoute en précisant que

le Dieu dont nous parlons dans la théologie fondamentale est le Dieu qui se révèle en Jésus-Christ. Il s’agit pour nous de savoir comment nous pouvons parler de ce Dieu, en parler de façon compréhensible, et convaincante, sans l’évidence des preuves métaphysiques et sans présupposer comme allant de soi des besoins religieux.4

Finalement, Bouillard constate que cette perspective est très proche de l’Apologie de Pascal, qui est centrée sur le Dieu de Jésus-Christ et qui cherche à y conduire en montrant qu’il relève l’homme de sa misère et lui confirme sa grandeur. Le champ d’exploration de la théologie fondamentale selon notre auteur se concentre donc sur le sens et la référence du discours qui fait intervenir le nom de Dieu. Pour ce mot, note encore Bouillard, « vaut au maximum la règle définie par Wittgenstein : sa signification ‘‘est son usage dans le langage’’ »5. Pour le moment, nous pouvons conclure avec Cl. Geffré, que cette conception bouillardienne de la théologie fondamentale qui reflète une perspective

« herméneutique » « est toujours valable au début du XXIè siècle »1 sous réserve de quelques limites que nous en soulèverons dans notre travail dont la démarche méthodologique se présente comme suit :

1 Cf. ibid.

2 G., Ebeling. L’essence de la foi chrétienne, p. 85.

3 H. Bouillard. La tâche actuelle de la théologie fondamentale. VC., p. 167.

4 Ibid.