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Conclusion : Concept de Bouillard comme une perspective herméneutique

En conclusion de cette partie contextuelle, nous pouvons dire que la thèse de Bouillard se laisse comprendre non pas comme une voie de remise en cause de la foi par sa relativisation, comme on a parfois eu tendance à la faire dans le souci de démontrer que l’œuvre bouillardienne commencerait par une rupture instauratrice, quand elle affirme la nécessité d’une expression théologique renouvelée en raison de la contingence historique des termes de pensée. En fait, la thèse fait droit à la reconnaissance de l’évolution humaine à travers celle de l’histoire linguistique en l’occurrence. Par sa thèse inscrite dans son concept de « théologie actuelle », le père Bouillard veut promouvoir et tenir un discours théologique qui soit justement « à la gloire de Dieu » parce que défendant l’Humanum. Sur ce principe, la thèse de Bouillard s’inscrit dans les sources les plus vivantes de la tradition chrétienne. En effet, par sa thèse qui induit la nécessité de la recherche pour une intelligibilité actuelle de la foi, il se situe dans la mouvance réflexive de l’un des pères de la scolastique, saint Anselme à qui il se réfère explicitement, pour « comprendre ce que l’on croit ».

Mais sa démarche et sa réflexion rejoignent une autre référence autant lumineuse de la tradition chrétienne et plus ancienne que saint Anselme. C’est la référence du deuxième siècle que fut saint Irénée avec sa grande affirmation : « Gloria Dei vivens homo »1. Bouillard semble mettre ensemble les logiques théologiques de ces deux références d’époques différentes de la tradition théologique, pour les actualiser à son époque, dans une perspective d’expression de la foi qui soit non pas une répétition, mais un renouvellement de la doctrine thomiste dans le contexte qui n’a pas vu naître celle-ci, le contexte du XXè siècle. Dans l’élaboration du contenu qu’il donne à son concept de « théologie actuelle », notre auteur opère le dépassement du « dogmatisme » scolastique de même qu’il va au-delà de la restriction de l’« historicisme » et du « scepticisme » modernes. Ce dépassement se donne à comprendre dans la perspective d’un véritable

« tournant »2 d’herméneutique théologique dans le sens de la tâche que R.

1 « La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant ».

2 Parlant ici de « tournant » par rapport à la pensée théologique de Henri Bouillard, nous utilisons

Gibellini reprenant la pensée de l’herméneute protestant Ebeling, clarifie quand il affirme que « la théologie herméneutique a précisément pour tâche de rendre possible un discours théologique clair, rigoureux et responsable […] »1. Autrement dit, le concept de « théologie actuelle » se donne à comprendre dans la pensée de Bouillard comme le concept de sa préoccupation d’une démarche herméneutique en théologie visant à rendre au discours théologique sa véracité par son actualisation dans les « schèmes de pensée » du temps pour exprimer la « vérité du christianisme »2 dans un contexte donné. Nous consacrerons notre deuxième partie au développement du contenu herméneutique dans la perspective de laquelle se donne à comprendre le concept de « théologie actuelle ».

Il apparaît donc que l’herméneutique théologique contenue dans le concept de « théologie actuelle », laisse entrevoir que Bouillard, dans le contexte de son temps, percevait et orientait déjà la réflexion théologique dans la voie qu’honoreront, dans son sillage, d’autres théologiens qui auront en commun d’avoir pris en compte de manière courageuse la nécessité de « reconnaître que le monde moderne est locus theologicus pour la foi chrétienne »3. Nous traiterons donc également dans la deuxième partie de notre travail, de l’herméneutique bouillardienne inscrite dans le concept de « théologie actuelle » en lien épistémologique avec le prédicat de « lieu théologique ».

En affirmant que « […] jamais la vérité divine n’est accessible en deçà de toute notion contingente »4, Bouillard manifeste que la perspective de sa pensée est celle de la théologie “incarnationnelle”; c’est-à-dire la logique de la « loi de l’incarnation »5 comme il le dit lui-même. C’est ce que semblent exprimer les

de la théologie, … avec l’intime conviction qu’une théologie d’orientation herméneutique n’est pas un courant théologique parmi d’autres mais le destin même de la raison théologique dans le contexte du pensable contemporain. Son destin en effet est inséparable du destin de la raison philosophique qui prend ses distances tant à l’égard de la métaphysique classique qu’à l’égard des philosophies du sujet fondées sur le primat de la conscience pour considérer l’être dans sa réalité langagière. C’est en fonction de cette rupture épistémologique qu’il faut comprendre la pertinence d’un modèle herméneutique en théologie. » Cl., Geffré. « Avant-propos ». Croire et interpréter :

Le tournant herméneutique de la théologie, p. 7.

1 R., Gibellini. Panorama de la théologie au XXe siècle, op. cit., p. 7.

2 Titre de son livre posthume qui rassemble un bon nombre de ces articles jusqu’aux tout derniers à

travers lesquels se voit l’intérêt que porte Bouillard à la problématique ‘‘linguistique’’ de la théologie. Cf. VC.

3 J.-L., Soulétie. La crise, une chance pour la foi, op. cit., p. 86.

4 CG, p. 220.

mots très discutés de la thèse du jésuite français : « Une théologie qui ne serait pas actuelle serait une théologie fausse »1. L’objectif de notre travail qui traite du concept de « théologie actuelle » qui ressort de cette thèse bouillardienne, rappelons-le, est de comprendre en quoi consiste l’actualité d’une théologie. Autrement dit, d’entrer dans l’herméneutique théologique à laquelle porte ce concept, tout en ne perdant pas de vue que toute attitude herméneutique est au risque de l’écueil permanent qui consiste, comme le dit Cl. Geffré à « adapter le message chrétien aux impératifs de la culture historique dominante et aux intérêts de la communauté croyante. »2 C’est pourquoi, dans la deuxième partie de notre travail nous veillerons aussi à montrer comment notre auteur prend en compte cet écueil.

1 CG, p. 219.