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Chapitre IV : Concept d’herméneutique en théologie

IV.2 Perspectives herméneutiques en théologie

IV.2.2 Perspective herméneutique d’Ernst Fuchs

Il est reconnu que le premier texte significatif de ce qui sera désigné plus tard sous le vocable de « nouvelle herméneutique » est celui intitulé « une Herméneutique » que publia en 1954 Ernst Fuchs pendant son professorat à Tübingen. Ce texte annonçait le débat culturel et philosophique des années soixante2. A la fin de son professorat à Tübingen, Fuchs a recueilli ses articles en trois volumes que sont : Du problème herméneutique en théologie et Sur la

question du Jésus historique, tous deux de 1960 ; Foi et expérience de 1965. Dans ces trois volumes, E. Fuchs reprit son cours de Tübingen auquel il donna suite en l’approfondissant comme en une nouvelle version qu’il dispensa cette fois à Marburg.

Pour ce disciple de Gadamer, « le problème herméneutique fait son apparition dans l’effort concret de traduction des textes »3. C’est par ces mots qu’il commença son cours à Tübingen auquel nous faisions allusion, en illustrant ses propos par un essai de traduction d’un texte paulinien. Pour lui, le thème de la

1 R., Bultmann. Une exégèse sans présupposition est-elle possible? Foi et compréhension. Tome 2

: Eschatologie et démythologisation, p. 172.

2 Débat dans lequel se trouvait bien Gadamer avec sa publication de 1960, Vérité et méthode...

théologie, c’est la révélation de Dieu, mais celle-ci nous parvient, dans le Nouveau Testament, sous la forme d’un « texte écrit », qui doit être traduit, interprété et compris pour être communiqué et annoncé. La nécessité de l’herméneutique se trouve dans ce travail d’interprétation et de compréhension.

IV.2.2.1 Principe herméneutique selon E. Fuchs

Le premier problème qui se dégage de la nécessité de l’herméneutique selon Fuchs, est le « principe herméneutique », c’est-à-dire le « comment comprendre ». Il résout ce problème en expliquant que l’herméneute doit se mettre en situation d’herméneutique et il en donne l’illustration : « Celui qui, par exemple, veut apprendre à comprendre un chat, doit lui procurer une souris. Alors il verra le chat tel qu’en lui-même […] »1. La souris fait ici fonction de principe herméneutique du chat. En effet, en plaçant une souris devant un chat, on se met en situation de connaître quelque chose du chat, car la souris amène le chat à se révéler pour ce qu’il est ; la souris fait « réagir » le chat. De même, aux théologiens Américains, Fuchs donne l’exemple du ballon qui peut faire fonction de « principe herméneutique » pour un footballeur, dans la mesure où il lui permet de se révéler tel un joueur de football, encore faut-il laisser ce dernier libre dans l’expression de ses gestes. La liberté est la situation dans laquelle l’homme se révèle tel qu’il est. Ainsi la liberté sert de « principe herméneutique » de la « vérité » de l’homme. Partant de ces exemples, Fuchs conclut qu’

on peut donc dire qu’un principe herméneutique désigne ce qui confère au comprendre la force et la vérité d’un processus réel. Il est la force du comprendre où naît le langage qui donne un nom à la vérité. Le principe herméneutique désigne le “lieu” de la vérité2.

La question qui jaillit ici, est de savoir comment s’applique cette définition du « principe herméneutique » donnée par Fuchs aux Ecritures, à la Parole de Dieu, notamment le Nouveau Testament voire à la théologie? En d’autres termes, quel peut être le « principe herméneutique » qui conduit le processus du comprendre lorsqu’il s’agit des textes des Ecritures ou de la théologie?

1 E., Fuchs. Ermeneutica (1954), p. 171 cité par R., Gibellini. Panorama…., op. cit., p. 72.

Sur ce questionnement, Fuchs relève d’abord que si ce principe herméneutique applicable aux Ecritures1 et à la théologie existe, il faut qu’il soit neutre, qu’il ne présuppose pas la foi, sinon il ne saurait y avoir de compréhension scientifique des Ecritures en général et du Nouveau Testament en particulier. Mais, fait-il observer, ce principe ne peut exclure non plus la foi, car les textes du Nouveau Testament appellent à celle-ci. Après cette observation, il affirme que le « principe herméneutique » du Nouveau testament est la question sur nous-

mêmes2 : « Le Nouveau Testament interpelle l’homme en tant qu’homme en

route »3. Selon Fuchs, si l’homme, face au texte du Nouveau Testament, ne se laisse pas mouvoir par la question exprimant la problématique de l’existence que lui renvoie le texte, alors, il n’est pas en situation d’accueillir le sens du Nouveau Testament. Il ne s’agit pas d’une question spéculative, mais d’une question absolument pratique qui meut l’homme « en route » vers la vérité de son existence. C’est ici que Fuchs reprend à son compte l’idée heideggérienne de « cercle » d’interprétation que forment l’interprète et le texte. Il l’appelle un « cercle herméneutique ». En effet, pour lui, l’interprète n’est jamais un sujet face à un objet à interpréter, dans lequel il finirait par introduire « son angoissant pouvoir ». Interpréter ne signifie pas entrer dans une voie à sens unique, déterminée par l’interprète, comme si toute activité provenait de lui ; l’interprète doit se laisser guider par le texte et conduire là où celui-ci veut le mener. Le « cercle herméneutique » définit la relation normale et objective entre l’interprète et le texte : l’interprète interroge le texte et se laisse, à son tour, interroger par le texte. Ceci n’est possible que si l’interprète est mû par la question sur le fondement de sa propre existence. Dans le cheminement de l’interprétation du Nouveau Testament, cette question qui se veut neutre au départ, se précise en un sens théologique, explique Fuchs : « La question sur nous-mêmes demeure, mais voilà qu’elle s’éclaire comme la question par laquelle Dieu nous demande si nous nous confions à ce qu’il nous dit par ce texte »4. Epousant la théorie de la « démythisation » de son maître Bultmann, Fuchs confère à celle-ci un rôle de

1 E. Fuchs applique son principe surtout au Nouveau Testament.

2 Die Frage nach uns selbst.

3 E., Fuchs. Ermeneutica, p. 186 cité par R., Gibellini. Panorama ..., op. cit., p. 73.

déblayage dans le processus interprétatif : elle déblaie selon lui, d’une image désormais désuète le chemin qui conduit à la compréhension du texte. Mais E. Fuchs va plus loin en caractérisant son principe herméneutique.