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Chapitre IV : Concept d’herméneutique en théologie

IV. 2.2.2 « Linguisticité » du principe herméneutique selon Fuchs

V.I. 2.1 Philosophie comme vérité de la religion

V.2 Philosophie comme « lieu théologique » selon Henri Bouillard

V.2.2 Pensée de Bouillard en référence à la philosophie de Blondel

V.2.2.1 Hypothèse nécessaire du surnaturel

Dans sa démarche de dialogue avec les courants philosophiques, Henri Bouillard parvient à une première rencontre satisfaisante avec la pensée de Maurice Blondel qui marquera une avancée dans son mouvement de réflexion théologique. Mais comment? La réponse à cette question se trouve dans le livre qu’il consacre à la philosophie de Blondel et le christianisme6. Il met en évidence en effet chez Blondel une philosophie du sens, le sens de l’existence humaine et dont la logique interne de l’action débouche sur le christianisme7. Justement,

1 J., Doré. « Théologie et philosophie chez Henri Bouillard », op. cit., p. 812.

2 Cité par H., Bouillard. CC, p. 9 avec renvoi à M., Blondel. Lettre sur les exigences de la pensée

contemporaine en matière d’apologétique… Les Premiers écrits de Maurice Blondel. Paris : P.U.F, 1956, p. 7.

3BC, p. 15.

4 Ibid, p. 80.

5 Cf. M., Blondel. L’Action - Tome I : Le problème des causes secondes et le pur agir, p. 491 ; BC,

p. 85.

6 Cf. BC.

dans le mouvement de son analyse de l’action humaine, M. Blondel manifeste trois moments épistémologiques : D’abord, que l’homme est traversé, porté, par un désir et un dynamisme d’achèvement ; ensuite, qu’il découvre n’être effectivement pas en mesure de réaliser lui-même cet achèvement ; enfin, que si, cependant, il renonce à le chercher, d’où qu’il puisse lui advenir, il se contredit lui-même. La logique de ses trois moments de l’action humaine, à son terme, fait apparaître ainsi que le formule J. Doré, « l’hypothèse d’un “nécessaire [pourtant] inaccessible” qui s’avérerait, se révélerait comme un “gratuitement donné”, qui pourrait conduire ce qu’il vient gratifier à son propre achèvement intrinsèque. »1 Certes, pour Blondel, « la philosophie doit se reconnaître incapable de nous mettre en possession de l’absolu, incapable de consommer en nous l’œuvre divine »2. Ainsi, la philosophie blondélienne est aux yeux de notre auteur, comme un lieu de déploiement de la définition que ce dernier donne à la philosophie comme « non pas un exercice scolaire, mais la compréhension du sens de la vie humaine ». Dans sa perspective épistémologique de faire exister la philosophie à la fois dans une autonomie par rapport à la réflexion théologique et en même temps consubstantielle à celle-ci, Bouillard explore la pensée philosophique de Blondel comme un champ d’inspiration, d’application et d’explicitation de sa logique herméneutique. Mais, signale B. Lucchesi, « l’intérêt de Bouillard dans l’interprétation blondélienne consiste à dépasser Blondel par Blondel »3.

Bouillard considère que le philosophe de L’Action « n’a pas tant fait la philosophie des exigences de la volonté humaine, comme on le pense trop généralement, que celle de ses sujétions. Et cela, du commencement à la fin de sa dialectique »4, si bien que Blondel ne compromet pas la gratuité du surnaturel mais l’établit ainsi que l’écrit Yves de Montcheuil :

Ce que Blondel veut mettre en lumière, ce n’est pas le caractère attirant du surnaturel, on fausse L’Action à l’infléchir en ce sens, c’est que le vouloir n’est pas seulement l’objet d’un commandement (volonté voulue), mais quelque chose d’intérieur à notre propre volonté (volonté voulante), et qui restera toujours même malgré nous.5

1 J., Doré. « Théologie et philosophie chez Henri Bouillard », op. cit., p. 813.

2 BC, p. 151.

3 B., Lucchesi. Le mystère chrétien à l’épreuve de la raison et de la foi, op. cit., p. 33

4 Ibid, p. 81.

5 Y., de Montcheuil. Introduction aux Pages religieuses de Maurice Blondel, p. 39 cité par B.,

H. Bouillard entre alors dans une herméneutique originale du surnaturel qui transparaît chez M. Blondel. Selon ce dernier, l’émergence de l’idée du surnaturel nécessaire à la réalisation humaine, s’opère en nous selon le « principe d’immanence »1 qui, dans l’ordre de l’esprit, permet de mettre en évidence des liaisons internes. De la sorte, dans la perspective blondélienne, l’analyse rationnelle de l’esprit réel, c’est-à-dire de l’homme concret et de son action, manifeste le lien entre la volonté humaine et l’idée du surnaturel comme

« hypothèse nécessaire » à l’accomplissement de cette volonté. En réfléchissant sur l’action humaine et sur le jeu de « volonté voulante » et « volonté voulue » qu’elle implique, la philosophie dispose l’homme à reconnaître son possible accomplissement par cela même que vient lui proposer la foi chrétienne. Pour Blondel, la philosophie conduit au surnaturel comme à une « hypothèse nécessaire», car sans lui, l’existence n’aurait aucun sens : si la vie divine n’est pas donnée et acceptée, l’homme ne peut pas s’achever. Aussi, faut-il dire que

Blondel, écrit Bouillard, a raison contre tous ceux, théologiens ou philosophes, d’après qui nous ne connaîtrions ce qu’est Dieu ou même son existence que par le témoignage des prophètes et des mystiques. Si ce témoignage ne répondait pas à un appel intérieur, il ne signifierait rien pour nous, ou du moins ne s’imposerait pas.2

Mais le développement blondélien porte à un double soupçon : le soupçon théologique de « naturalisme » et celui, philosophique, de « surnaturalisme ». Le philosophe d’Aix lui-même, pour s’en défendre, a jugé utile de nuancer sa première hypothèse en émettant une seconde selon laquelle, le surnaturel est une « hypothèse possible » du point de vue de la raison et « vraisemblable ». Mais, aux yeux de Bouillard, cette seconde hypothèse de Blondel qui nuance la première, paraît moins cohérente, car celle-ci permet de sauvegarder l’idée de la transcendance divine en la distinguant de l’idolâtrie qui divise l’humanité comme

1 Selon ce principe, rien ne vient à l’esprit qui lui soit au départ totalement étranger. Ce principe

n’est cependant pas équivalent à son exagération qui est l’« immanentisme ». L’immanentisme « rattache le fait religieux au besoin vital et voit la vérité d’un dogme non pas dans la réalité de Dieu qu’il exprime mais dans l’efficacité qu’il a pour produire le sentiment religieux. Une mystique immanentiste ne résulte pas d’une action divine extérieure au sujet ; elle exclut ainsi toute forme de salut venant de Dieu. » J.-L., Soulétie. La crise, une chance pour la foi, op. cit., p. 120.

le pense Blondel lui-même1. Cependant, selon notre auteur, il y a lieu de

« compléter ou, tout au moins, d’expliciter sur un point »2 le principe blondélien de l’hypothèse nécessaire du surnaturel. Ce point porte sur la distinction à établir entre le « surnaturel déterminé » et le « surnaturel indéterminé ». Par cette distinction, Bouillard d’une part, défend Blondel contre le procès à lui faire de naturaliser la théologie ou de surnaturaliser la philosophie et d’autre part, explicite la démarche blondélienne dont la présentation laisse entrevoir la genèse du surnaturel en trois étapes. C’est ici que l’on voit le dépassement de « Blondel par Blondel » qu’effectue Bouillard.