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Chapitre IV : Concept d’herméneutique en théologie

IV.1 Sémantique du concept d’herméneutique .1 A partir de la genèse du mot .1 A partir de la genèse du mot

IV.1.3 Nouvelles perspectives sémantiques du mot

IV.1.3.1 Perspective de M. Heidegger

Une nouvelle perspective sur le concept d’herméneutique a été ouverte par Martin Heidegger, car son analyse existentiale a été considérée comme une

« phénoménologie herméneutique »4.

S’il s’agit chez Dilthey d’interpréter la “vie” telle qu’elle s’objective, c’est en un sens nouveau qu’il s’agit d’herméneutique chez Heidegger […] L’herméneutique supposait que l’on interprète dans le but de comprendre. Or, selon Heidegger, c’est en fait le comprendre qui fournit à l’interprétation son objet.5

1 « Ausdruck ».

2 « Erlebnis ».

3 « Mitfühlendes Nacherleben ».

4 R., Gibellini. Panorama..., op. cit., p. 66.

Le philosophe de Marburg a consacré plus particulièrement les paragraphes 31 à 34 de son livre de 1927, L’Être et le Temps à l’étude du « comprendre »1 et de ses différentes formes. Pour M. Heidegger, expliquer et comprendre2 – qui est autre chose qu’expliquer –, sont des opérations dérivées, qui renvoient à la compréhension originaire qui constitue l’être de l’homme. Comprendre est le propre de l’homme et c’est la racine de toute connaissance. « L’Être-là » ou encore l’homme dans son être-au-monde, est constitutionnellement compréhension. L’homme à la différence des choses, existe comme celui qui se comprend en tant qu’existence, en tant que pouvoir-être, en tant que possibilité d’ouverture au projet d’être. Comprendre l’homme, n’est pas le comprendre comme le reflet de quelque chose déjà là, mais ouverture : « Le Dasein comme entendre projette son être sur des possibilités. »3 D’après lui, en définitive, de la compréhension dérive l’interprétation ou « explicitation »4. Co-originaire du comprendre, est le discours (Rede) qui est lui-même « l’articulation de l’intelligence » ; le discours qui accède à la parole est le « langage » (Sprache)5.

Sur le sujet de l’herméneutique, Heidegger a avancé une thèse qui prendra un large développement sur la notion après lui6. Il écrit qu’« une explicitation n’est jamais une saisie d’un donné préalable »7 ; elle comporte toujours un « pré ». En d’autres termes, toute comprehension présuppose toujours une précompréhension ; l’interprète et l’interprétant forment un cercle, d’où l’on ne peut sortir, étant donné la structure originaire du comprendre : « Le décisif dit M. Heidegger, n’est pas de s’extraire du cercle, mais d’y entrer de la bonne manière. […] [Aussi, le cercle] ne doit pas être ramené à un cercle auquel on ne peut que se résigner »8. En considérant l’itinéraire philosophique du penseur de la Forêt- Noire, on peut caractériser cette perspective de la sémantique du concept de l’« herméneutique » que nous venons de voir comme celle du premier Heidegger.

1 « Verstehen ».

2 Pour Dilthey, ce sont les deux opérations cognitives fondamentales.

3 M., Heidegger. L’Être et le Temps, p. 193.

4 L’ « Auslegung ».

5 Cf. M., Heidegger. L’Être et le Temps, p. 207.

6 Chez R. Bultmann par exemple dont nous exposerons la théorie sur l’herméneutique plus loin.

7 M., Heidegger. L’Être et le Temps, op. cit., p. 196.

A partir en effet de l’importante conférence fribourgeoise : « L’origine de l’œuvre d’art », de 1935, est advenu un tournant1 décisif, qui a été annoncé ensuite dans la « Lettre sur l’humanisme » de 1947. S’ouvrit alors la seconde perspective heideggérienne sur l’herméneutique. Si le problème de la première perspective de Heidegger sur la question herméneutique est celui du rapport entre

l’être et le temps, la préoccupation dans la seconde perspective est celle de la relation entre l’être et le langage. Dans cette dernière assertion, le lieu privilégié de l’être, ce n’est pas l’existence humaine, mais le « langage ». Dans la « Lettre sur l’humanisme », le philosophe avait déjà affirmé que le langage est « la demeure de l’être ». Cette perspective ouverte par le « second Heidegger » sur l’herméneutique a influencé en particulier les théories de l’herméneutique philosophique de Gadamer d’une part et de l’herméneutique théologique de Fuchs et Ebeling d’autre part. Qu’en est-il de la conception du disciple de Heidegger, Gadamer?

IV.1.3.2 Perspective herméneutique de Gadamer

Dans son remarquable ouvrage, Vérité et méthode, publié en 1960, dans lequel il reprit le cours qu’il donna à l’institut de philosophie de Louvain en 1958 sur « Le problème de la conscience historique », Hans Georg Gadamer a élaboré les grandes lignes d’une « ontologie herméneutique ». Si Dilthey concevait l’herméneutique comme une méthodologie générale des sciences de l’esprit, Gadamer, lui, affirme pour sa part, l’universalité ontologique du comprendre2. Le « comprendre » est le caractère ontologique originaire de la vie humaine ; en ceci, écrit Gadamer, le terme

herméneutique désigne la motion fondamentale de l’existence, qui la constitue dans sa finitude et dans son historicité, et qui embrasse par là même l’ensemble de son expérience au monde. Il ne faut voir là aucun arbitraire, aucune extrapolation artificielle d’un aspect unilatéral : c’est la nature même des

1 « Kehre ».

choses qui fait que le mouvement de la compréhension soit englobant et universel1.

Heidegger a fait déjà découvrir que l’homme est « projet », mais en tant que tel, il est en même temps porté par un passé et lié à une tradition historique. Poursuivant cette idée de son maître et polémiquant avec les Lumières, Gadamer a réhabilité la fécondité herméneutique de la tradition : « Le comprendre lui-même doit être considéré moins comme une action de la subjectivité que comme une insertion dans le procès de la transmission où se médiatisent constamment le passé et le présent »2. Selon le principe de l’histoire de l’efficience3 formulé par Gadamer, l’historicité caractérise à la fois le sujet entendant, l’objet compris et le processus lui-même de la compréhension :

Une herméneutique adéquate à son objet, dit Gadamer, a pour tâche de mettre en lumière la réalité de l’histoire au sein de la compréhension elle-même. Ce qui est exigé ici, peut être désigné par “histoire de l’efficience”. La compréhension est par essence un consensus marqué par cette histoire de l’efficience4.

Aussi, Gadamer peut-il soutenir qu’un texte (ou un auteur ou encore une époque) à interpréter parvient toujours à l’interprète par une chaîne d’interprétations passées, qui constitue l’histoire des effets ou des « déterminations »5, laquelle détermine la « précompréhension » du nouvel interprète, mais dans laquelle, à son tour, va confluer la nouvelle interprétation. Dans la compréhension interprétante s’effectue donc une fusion d’horizons6 entre l’horizon présent de l’interprète et celui du passé à interpréter7. Et pourtant, nuance Gadamer, comprendre ne signifie pas se glisser dans la personnalité d’un autre et par là s’identifier à lui, comme le pensaient Schleiermacher et son disciple Dilthey, quoique sous d’autres modalités, mais s’insérer consciemment dans un processus de tradition historique. Cette tradition se présente comme un langage à décoder. C’est pour quoi, si la compréhension se réalise dans l’interprétation, « le

1 H.-G., Gadamer. Vérité et méthode. Les grandes lignes d’une herméneutique philosophique, p.

10.

2 Ibid, p. 130.

3 « Wirkungsgeschichte ».

4 H.-G., Gadamer. Vérité et méthode..., op. cit., p. 140.

5 Les « wirkungsgeschichte ».

6 « Horizontverschmelzung ».

langage est bien plutôt le milieu universel dans lequel s’opère la compréhension elle-même »1.

En définitive, le philosophe de Heidelberg formule sa thèse en ces termes : « L’être qui peut être compris est langue »2. Cela ne signifie pas une réduction de l’être au langage, ni une affirmation de la prédominance de la compréhension sur l’être, mais que le langage et la compréhension sont la voie d’accès à l’être et à la réalité de l’histoire. En cela, l’herméneutique, pour Gadamer, est un aspect universel de la philosophie et, de manière analogue, pour la théologie herméneutique, elle est une dimension de toute la théologie.

Ainsi, la perspective dans la sémantique du concept d’herméneutique ouverte d’abord par Schleiermacher, ensuite poursuivie par son disciple Dilthey et surtout formalisée par Heidegger ainsi que le développement qu’en a donné Gadamer, seront investis systématiquement dans la réflexion théologique par un bon nombre de théologiens parmi lesquels ceux que nous avons sélectionnés ici en raison de leurs apports importants dans la compréhension du concept.