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Les thèmes et les sous-thèmes émergents de la recherche

5.1. Les résultats au regard de la question de recherche

5.1.1 Les particularités de la recherche

5.1.1.2 Les thèmes et les sous-thèmes émergents de la recherche

Dans cette section concernant les particularités de la recherche, il importe d’attirer l’attention sur la présence de plusieurs informations qui n’ont pas été révélées dans notre recension d’écrits. Il s’agit de certains thèmes et sous-thèmes émergents qui apportent des éléments nouveaux par rapport à d’autres recherches relativement similaires préalablement effectuées. Ces particularités viennent, d’abord, en complémentarité avec les quatre premières rubriques du chapitre de la présentation des données soit : le capital économique, le capital culturel, le capital social et l’encadrement institutionnel. En second lieu, elles se traduisent par la présence de nouvelles notions qui n’ont pas été abordées dans les travaux constituant notre revue de littérature scientifique. Ces situations particulières établissent en grande partie l’originalité de la thèse.

En rapport avec le capital économique, il faut d’abord préciser le cas de plusieurs familles d’accueil d’origine haïtiennes, tant au Québec qu’à New York, qui contraignent les nouveaux arrivants à se rendre sur le marché du travail prématurément, généralement sans préparation. Cette situation concerne surtout ceux-là qui ont plus de dix-huit ans au moment de leur migration, c’est-à-dire des jeunes et des jeunes adultes qui sont, en partant, destinés au secteur des adultes dans l’éventualité d’un retour aux études.

Les participants ont déploré cette attitude de certains parents haïtiens, immigrés aux États-Unis et au Canada, qui se déresponsabilisent par rapport à leurs enfants, une fois que ces derniers quittent Haïti pour venir s’établir dans ces deux pays. Si les parents vivant en Haïti supportent leurs enfants jusqu’à l’âge adulte, jusqu’à ce qu’ils parviennent à leur autonomie économique, ce n’est pas toujours le cas pour tous les

parents qui s’établissent au Québec et à New York, d’après l’affirmation des participants.

En second lieu, il y a la question de la responsabilité des immigrants par rapport à leurs proches qui sont en Haïti. Dans le débat sur la conciliation entre le travail et l’école, les recherches ont plus ou moins abordé la problématique de la contribution des immigrants haïtiens de première génération, jeunes et jeunes adultes, aux obligations économiques des familles qui les avaient reçus à leur arrivée. Toutefois, leurs efforts pour subvenir aux besoins de leurs familles vivant dans la précarité en Haïti constituent un point sous-documenté dans la littérature scientifique. Cette question de sous- documentation scientifique a été soulevée par Ledent (2013), mais dans une perspective qui s’étend à toute la population d’origine immigrée au Québec. Il a déclaré que cette lacune rend difficile toute analyse des inégalités économiques selon les ethnies de la population québécoise issues de l’immigration.

Dans l’élaboration des réponses qu’ils ont données à nos questions, sur la dynamique de leur décrochage scolaire, nos participants ont mis en évidence leur souci et leur responsabilité économique vis-à-vis de leurs parents, ceux qui se trouvent au pays d’origine en particulier, comme un facteur qui nuit à leur persévérance scolaire.

À propos du concept de capital culturel, deux cas particuliers sont à mentionner. Le premier renvoie à la notion d’éducation qui est présentée dans des recherches constituant notre recension d’écrits comme faisant partie des valeurs des Haïtiens. Pourtant, nos participants ont majoritairement critiqué le comportement de certains parents d’origine haïtienne qui ont provoqué leur abandon scolaire et celui de certains de leurs compatriotes.

L’essentiel de ces critiques repose fondamentalement sur l’attitude de plusieurs parents qui exercent de la pression sur les nouveaux arrivants pour qu’ils volent prématurément de leurs propres ailes pendant que ces derniers veulent emprunter le chemin de l’école à l’effet d’obtenir au moins le diplôme d’études secondaires. Les participants voient là un conflit de valeurs entre les parents qui se trouvent en Haïti, qui soutiennent leurs enfants jusqu’à ce qu’ils deviennent indépendants économiquement, et ceux qui sont en train de vivre en Amérique du Nord. De façon générale, les participants croient que la détention du diplôme d’études secondaire ou son équivalent est gage d’une plus grande possibilité de trouver un meilleur emploi au pays d’accueil.

Le second sous-thème émergent du capital culturel est la jalousie. Selon nos participants, beaucoup d’immigrants haïtiens, vivant à New York en particulier, font preuve de jalousie à l’égard des compatriotes nouveaux arrivants. Les participants affirment qu’ils font souvent preuve de mépris ou ne répondraient pas toujours de façon satisfaisante lorsqu’ils leur adressent la parole dans l’idée d’obtenir une information où pour solliciter une assistance quelconque.

Du point de vue des participants, ce sentiment de jalousie est assorti du fait qu’il existe beaucoup de gens qui vivent à l’étranger pendant longtemps sans pour autant être en mesure, au bout du compte, de construire une assise socioprofessionnelle et socioéconomique. Pour camoufler la réalité, ils se font souvent des artisans de mensonges et adoptent une attitude de faux semblant. Il serait ainsi né dans leur esprit l’idée de compétition ; ils auraient surtout peur que des jeunes nouvellement arrivés dans le pays viennent les dépasser en se rendant à l’école ou en essayant de se trouver les moyens pour progresser dans la nouvelle société.

Donc, le refus de certaines personnes d’aider sur le plan socioculturel les nouveaux arrivants représente pour ces derniers un comportement négatif que l’on trouverait dans beaucoup de familles haïtiennes et dans plusieurs quartiers habités par des Haïtiens à New York. Une mentalité qui d’après les participants ne contribue pas à la persévérance scolaire des jeunes et des jeunes adultes de cette communauté en question. En ce qui est du capital social, les participants se sont exprimés sur ce qu’ils ont qualifié de négatif chez certaines personnes d’origine haïtienne qui composent leur environnent social le plus immédiat. Tout en considérant la jalousie comme une caractéristique culturelle de plusieurs de leurs compatriotes, ils voient aussi en ce sous- thème la manifestation d’une attitude sociale négative, c’est-à-dire un comportement anti-progressiste qu’il ne faut nullement négliger dans la dynamique de leur abandon scolaire et de celui de plusieurs de leurs compatriotes.

Par ailleurs, si l’influence des pairs est mentionnée dans notre recension d’écrits comme un facteur de décrochage scolaire, cette recherche nous révèle que ce facteur n’est pas seulement néfaste pour les élèves qui subissent une mauvaise influence, mais également pour ceux qui l’exercent.

Celui qui influence négativement ses pairs, qui les encourage à avoir un mauvais comportement en classe ou à abandonner l’école doit d’abord, de façon concrète, donner lui-même le mauvais exemple pour se sentir confortable dans son fauteuil de leader, comme c’était le cas pour le participant dénommé Ken.

Relativement à la rubrique d’encadrement institutionnel, nos participants tant à Montréal qu’à Brooklyn ont mentionné que les dirigeants gouvernementaux des pays d’accueil auraient dû, de façon systématique, mettre en place un programme de prêt pour les nouveaux immigrants. Ils ont affirmé que beaucoup d’immigrants ont, au début, choisi le chemin de l’école et ont abandonné par la suite faute de moyens économiques nécessaires pour faire face à leurs besoins les plus fondamentaux. Donc le programme de prêt du gouvernement aux immigrants constituerait une rampe de lancement aux nouveaux arrivants qui veulent véritablement progresser.

Dans la recension d’écrits, nous avons fait allusion à Grant et Rong (1999) qui ont souligné, suite aux résultats de leurs recherches, l’influence des médias, plus précisément la télévision, sur le rendement scolaire des élèves d’origine immigrée aux États-Unis. Néanmoins, leur constat concerne les immigrants de troisième génération qui connaissent une baisse de rendement scolaire à cause, entre autres, d’une trop grande assimilation de la culture du pays d’accueil. Ce qui est différent de la déclaration de Derly, de Carl, de Ken et de Mandy qui se sont exprimés sur les effets négatifs des médias de masse sur la persévérance scolaire des jeunes au Québec et à New York.

La rubrique des facteurs spécifiques est celle qui regroupe les véritables éléments de l’originalité de la recherche. Elle comprend six thèmes émergents : facteurs démographiques, motivation personnelle, lacunes de base, facteurs affectifs, traits de personnalité et problèmes de comportement. Ces six thèmes se subdivisent à leur tour en plusieurs sous-thèmes.

Le thème des facteurs démographiques comprend trois sous-thèmes à savoir : l’âge, le sexe et le rang dans la fratrie. L’âge d’arrivée au pays d’accueil et celui du retour aux études peuvent être désavantageux à la persévérance scolaire des jeunes et des jeunes adultes. Cette situation a été particulièrement mise en évidence par Prinsa, Simon, Dady et Lens lorsqu’ils s’exprimaient sur les difficultés auxquelles ils avaient dû faire face au secteur de l’éducation des adultes.

L’une des participantes, de Montréal, Prinsa, a, entre autres, associé son abandon scolaire au fait qu’elle portait son premier bébé sachant que des complications étaient subséquentes à cet événement. Tomber enceinte représente pour elle une situation qui est à l’origine de l’abandon scolaire de beaucoup d’autres femmes dans le monde, les immigrantes de première génération en particulier puisqu’elles doivent s’adapter et faire face aux exigences du pays d’accueil.

En ce qui a trait au rang dans la fratrie, Simon, Elta, Lens et Prinsa ont tous déclaré en avoir été victimes. Le rang qu’occupent ces derniers dans la chaine familiale ou le fait d’en être enfant unique, comme Elta, entraine beaucoup de responsabilités familiales, selon ces participants. Ils ont tous affirmé avoir toujours eu des transferts d’argents à effectuer mensuellement vers Haïti pour aider des parents, des petits frères et des petites sœurs qui vivent dans la précarité économique.

Les lacunes de base ont été évoquées par plusieurs de nos participants, tant au Québec qu’à New York. Prinsa, Dady et Elta ont présenté les mathématiques comme un défi majeur auquel ils devaient faire face dans leur parcours scolaire. C’est le principal facteur du décrochage scolaire de Elta.

Les facteurs qui nuisent à la persévérance scolaire des nouveaux arrivants ne leur sont pas toujours extérieurs. De nombreux facteurs individuels sont soulignés dans le témoignage de nos participants comme étant à la base de leur départ prématuré du milieu scolaire ou de certains autres compatriotes de leur environnement sans l’obtention du diplôme approprié. La motivation personnelle caractérisée par l’envie d’avoir l’autonomie financière ou de pouvoir satisfaire les folies de jeunesse comme l’achat des vêtements de grandes marques, etc. est l’un des facteurs de l’abandon scolaire de Mandy, de Ted et de Ken. Pour sa part, Sentia n’a pas mentionné cet élément dans la dynamique de son abandon scolaire, mais elle a affirmé que beaucoup des jeunes d’origine haïtienne à Montréal ont quitté l’école prématurément parce qu’ils se laissent tenter par le désir de gagner de l’argent rapidement, de faire des excès économiques et de vivre dans la débauche.

Dans leur témoignage, deux des participants de Montréal ont fait allusion aux facteurs affectifs dans la dynamique du décrochage scolaire. Ted et Prinsa se sont tous deux exprimés sur les effets négatifs de la séparation des parents sur les enfants et sur la souffrance mentale des enfants qui ont laissé leurs parents derrière eux, au pays

d’origine, au terme du processus migratoire. En venant vivre au Québec, suite aux démarches de son père, Ted a vécu difficilement sa séparation avec sa mère et avec son grand-père qui l’ont élevé jusqu’à la période de l’adolescence. Pour manifester son mécontentement par rapport à cette situation, il avait décidé de rester à l’écart du réseau d’amis de son père qui, pourtant, aurait pu lui être utile.

En ce qui a trait à Prinsa, elle a laissé sa mère biologique en Haïti pour venir vivre avec sa mère adoptive au Canada. Cette rupture l’avait beaucoup déconcentrée dans ses études. Elle l’avait sérieusement marquée, beaucoup plus que le divorce de son père et de sa mère naturelle depuis son enfance. Elle nous a aussi fait part du mauvais rendement d’un de ses enfants suite à son divorce récemment.

Les traits de personnalité représentent es un thème qui caractérise un aspect du témoignage de Ted et de Mandy. Ted avait refusé l’aide des amis et des membres de la famille de son père, dans l’optique de s’affirmer et de faire valoir son désaccord par rapport à sa rupture forcée avec sa mère ; il avait voulu, à tout prix, que sa mère l’accompagne au Canada. Mandy, pour sa part, s’était gardée d’être bénéficiaire du capital culturel de certains membres, très qualifiés, de son environnement familial par souci de préserver sa liberté individuelle. Ted et Mandy ont tous admis que cette prise de position qui consistait à rester repliés sur eux-mêmes a eu des effets néfastes sur leur persévérance scolaire.

Les problèmes de comportement sont le dernier thème de la rubrique des facteurs spécifiques qui ont influencé négativement les participants de la recherche. La turbulence de Ken et de Ted en classe a eu de mauvaises conséquences tant sur leur persévérance scolaire que sur celle de leurs camarades de classe. Par ailleurs, l’attitude de Ted consistant à donner de fausses informations aux responsables de son école relativement à son père a beaucoup favorisé et accéléré le processus de son décrochage scolaire. Contrairement à Ted et à Ken, Carl a, pour sa part, été victime des problèmes de comportement de ses condisciples. L’intimidation dont il a été l’objet de la part des filles turbulentes de ses classes est l’un des facteurs de son abandon scolaire en secondaire 5.

Qu’il s’agisse de ceux de Montréal ou de ceux de Brooklyn, les onze participants de la recherche ont tous fait état des facteurs spécifiques dans leur dynamique de décrochage scolaire dans un sens ou dans un autre.