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2.1 La trajectoire migratoire et la persévérance scolaire

2.1.2 Le rendement scolaire des immigrants

2.1.2.1 Les théories du rendement scolaire des immigrants

Les théories du rendement scolaire des immigrants consistent essentiellement à expliquer les effets des générations d’immigrants et de l’ethnicité sur la réussite scolaire. Ces modèles explicatifs contiennent deux sous-ensembles : la théorie de l’assimilation classique ou culturelle et la théorie de l’assimilation sélective ou segmentée (Rong et Brown, 2001 ; Warikoo et Carter, 2009). Tout en ayant des caractéristiques communes, ces deux approches présentent des différences notables quant à la façon de comprendre le rendement et la réussite scolaire des immigrants.

2.1.2.1.1 La théorie de l’assimilation classique

D’après le modèle de l’assimilation classique (Rong et Brown, 2001 ; Warikoo et Carter, 2009), les immigrants de première génération aux États-Unis ont rarement eu un très bon rendement sur le plan socioéconomique en comparaison avec ceux qui sont nés sur le territoire. Une situation qui est due aux multiples handicaps qui sont inhérents à leur statut d’étrangers tels que les difficultés linguistiques, la méconnaissance de la culture américaine et de ses institutions. Les auteurs pensent que les immigrants de deuxième génération ont une meilleure possibilité de réussir dans la société américaine en ce sens qu’ils sont nés dans le pays, éduqués dans la langue et connaissent les institutions locales. Donc, la théorie de l’assimilation classique pose des jalons pour étudier de façon comparée le rendement et la réussite scolaire (versus l’échec scolaire) des enfants immigrants de première et de deuxième génération. Rong et Brown (2001) présentent Park (1928), Gordon (1964) et Lieberson (1980) comme les véritables artisans de ce courant théorique. 2.1.2.1.2 La théorie de l’assimilation sélective

En ce qui a trait à la théorie de l’assimilation sélective, elle met l’accent sur l’influence des caractéristiques ethniques, c'est-à-dire l’effet des conditions économiques, sociales et culturelles des groupes ethniques d’accueil sur la performance des immigrants au cours des générations (Warikoo et Carter, 2009). On désigne par groupe ethnique ou communauté ethnique, un ensemble de personnes qui, à l’intérieur d’une société, se définit en fonction d’une conscience collective, d’un sentiment d’appartenance ; c’est une communauté culturelle en ce sens que les éléments de ce groupe organisé ont en commun un héritage culturel distinct composé notamment de la langue, de la religion et des traditions (Gaudet, Lafortune et Potvin, 1997).

L’émergence de la théorie de l’assimilation sélective correspond à une réponse relative aux limites de la théorie de l’assimilation classique (Rong et Brown (2001). Ces auteurs, de leur côté, révèlent des similitudes entre le modèle de l’assimilation classique (qui associe la réussite socioéconomique des immigrants à leur adoption de l’identité du pays d’accueil et à la perte de leur héritage culturel) et les théories de l’ethnicité américaine présentées par Postiglione (1983). Celui-ci mentionne que les immigrants, après avoir passé un temps raisonnable au pays d’accueil, sont appelés à faire soit une synthèse homogène ou un mélange hétérogène des cultures en présence. Donc, selon la théorie de l’assimilation classique, le manque de performance scolaire des immigrants de première génération s’explique par le fait qu’ils n’atteignent pas encore le niveau d’acculturation nécessaire dans la culture du pays d’accueil.

Rong et Brown (2001) associent le concept d’acculturation au « melting pot » qui est l’une des branches de la théorie de l’ethnicité américaine (Postiglione, 1983). Selon le melting pot, au contact de la culture dominante, la culture d’accueil, désignée par la lettre « A » et la culture d’origine désignée par la lettre « B » nait une troisième culture représentée par la lettre « C » qui est une synthèse des deux premières.

Par contre, d’après le modèle de l’assimilation sélective, il y a un processus de segmentation dans la société américaine selon lequel, différents groupes d’immigrants prennent différentes voies à différentes vitesses suivant les caractéristiques des groupes ethniques qui les reçoivent à leur arrivée, affirment Rong et Brown (2001). Ces chercheurs avancent que la théorie de l’assimilation sélective est née d’une critique de la théorie de l’assimilation classique qui s’intéresse surtout à l’étude comparative de la première et de la deuxième génération d’immigrants sans tenir compte des autres générations et des effets de l’ethnicité sur l’évolution socioéconomique de ces derniers. La recherche de Rong et Brown (2001) présente une comparaison entre trois groupes d’immigrants africains, caribéens noirs et européens gradués au secondaire et âgés de 17 à 24 ans aux États-Unis.

Selon les données de l’étude de Rong et Brown (2001) auxquelles nous avons fait allusion au niveau de la problématique, on constate que, dans les trois groupes considérés, le taux de gradués au niveau de la deuxième génération est plus élevé que celui de la première génération, ce qui dans un premier temps correspond à la thèse de la théorie de l’assimilation classique. Toutefois, la théorie de l’assimilation classique ne

peut pas permettre de comprendre pourquoi, dans ce même tableau, le taux de diplomation des immigrants des trois groupes au niveau de la troisième génération est plus bas que leur taux au niveau de la première génération. Cette question se pose également par rapport au fait que le taux des diplômés caribéens, qui est plus bas que celui des diplômés africains pendant la première génération, est plus élevé au cours de la deuxième génération. Ou encore, on peut se demander pourquoi le taux de diplomation des Caribéens est redevenu plus bas que celui des Africains durant la troisième génération ? Questions auxquelles la théorie de l’assimilation sélective propose plusieurs éléments de réponse.

En observant la population constituée des trois groupes pris en compte dans cette étude, Rong et Brown (2001) concluent que le groupe des Caribéens, qui est en grande partie composé d’Haïtiens et de Jamaïcains, représente un réseau ethnique et social assez fort. Le réseau des églises, les rapports entre les voisins et la mise en place d’organisations sociales à but non lucratif, poursuivent-ils, créent des liens sociaux solides qui renforcent l’autorité des parents et leurs valeurs, ce qui a des conséquences très positives sur la réussite scolaire et socioéconomique de leurs enfants de deuxième génération. Une situation qui, d’après les auteurs, est différente chez les immigrants africains qui ne parviennent pas encore à ce niveau d’organisation dans la société américaine.

De ce même point de vue, la baisse de performance scolaire des immigrants de la troisième génération et plus est due à une trop grande assimilation de la culture d’accueil, comme il est souvent le cas aux États-Unis affirment Grant et Rong (1999). Cette situation, avancent ces derniers, fait que les jeunes de cette catégorie d’immigration se soucient très peu de leurs aspirations socioéducatives, consacrent beaucoup de temps à la télévision et aux fréquentations des pairs, mais disposent très peu de temps pour la réalisation des devoirs de maison. Ces jeunes immigrants, selon Grant et Rong, associent très tôt travail et école et maintiennent des liens très faibles avec leurs parents voire avec leur environnement social.

Dans notre recension d’écrits, nous avons repéré deux auteurs qui, à travers deux recherches conjointement effectuées, s’étaient donnés pour but de tester le bienfondé, l’évolution et la validité des théories du rendement scolaire des immigrants (Greenman et Xie, 2008 ; Xie et Greenman, 2011). La première étude a consisté en une

réévaluation et en une remise en question de la théorie de l’assimilation classique en vue de voir si elle a été encore adaptée à la compréhension du mode de vie des adolescents immigrants hispanophones et asiatiques aux États-Unis. Les auteurs ont, en conclusion, avancé que les résultats des enfants immigrants varient tout au long de leur évolution, d’une génération à l’autre dépendamment des caractéristiques socioéconomiques, des valeurs et de la structure des groupes ethniques qui les avaient reçus à l’arrivée. Dans la seconde recherche, Xie et Greenman ont tracé le parcours de la théorie de l’assimilation segmentée (sélective) à travers les écrits de certains de ses principaux artisans notamment Portes (1993, 1996) et Zhou (1993). Les auteurs de la recherche se sont inspirés des travaux de ces derniers pour affirmer que les États-Unis s’identifient à une société inégale et stratifiée et que plusieurs segments forment la structure disponible qui accueille les immigrants à leur arrivée. Xie et Greenman (2011) sont parvenus à la conclusion que l’immigrant, suivant le mode d’encadrement dont il a été bénéficiaire à son arrivée de la part de la structure familiale qui l’avait reçu, peut soit réussir ou échouer sur les plans éducatif et socioéconomique.

Les jeunes immigrants de première et de deuxième génération, qui composent plus de 30 millions de la population des États-Unis, représentent la fraction de la population qui connait la croissance la plus rapide, une situation qui a transformé le système migratoire américain durant environ les six dernières décennies (Portes et Fernandez- Kelly, 2008). Suite à une étude longitudinale sur les immigrants du sud de la Floride, ces deux chercheurs affirment que beaucoup de jeunes immigrants de première et de deuxième génération qui ont un faible rendement scolaire maitrisent, néanmoins, l’anglais et connaissent la culture américaine. Cette situation n’est pas, selon eux, un hasard, mais dépend de ce que les parents de ces immigrants représentent en termes de capital économique et culturel. Elle dépend aussi de la structure et de leur mode d’incorporation sociaux. Il faut rappeler que cette recherche, réalisée par Portes et Fernandez-Kelly, a été consacrée à des jeunes immigrants de caractéristiques ethniques variées : des Mexicains, des Cubains, des Philippins, des Asiatiques du Sud-est et des Haïtiens.

En somme, les difficultés linguistiques, le manque de connaissance de la culture et des institutions qui, selon la théorie de l’assimilation classique, sont à l’origine des faibles rendements scolaires des immigrants de première génération, peuvent être rapidement

surmontés si ces derniers sont accueillis par des familles ou groupes ethniques, qui ont un bon capital social et les moyens économiques et culturels nécessaires à leur encadrement social (Warikoo et Carter, 2009).

Il est à noter que Gibson (1988), Portes et Zhou (1993), Portes et Rumbaut (1996), Suarez-Orozco (1987) et Ogbu (1987, 1991, 1994) sont reconnus comme les principaux auteurs de la théorie de l’assimilation sélective (Rong et Brown, 2001 ; Warikoo et Carter, 2009).

Les recherches qui ont porté sur la persévérance et sur le décrochage scolaire, en général, ont fait état de plusieurs déterminants (Rousseau et Bertrand, 2005). Ces déterminants sont encore plus spécifiques lorsqu’il s’agit de jeunes immigrants (surtout ceux de première génération) au regard des difficultés inhérentes au déplacement d’un pays à un autre et à l’intégration des jeunes et des jeunes adultes en terre étrangère (Blaud, 2001).

Les initiateurs de la théorie de l’assimilation sélective, que nous venons juste de mentionner, ont fait état de plusieurs facteurs qui correspondent à certains éléments de la pensée sociologique de Bourdieu (1979a) et qui sont systématisés sous les appellations de capital économique, capital culturel et capital social. Ces facteurs représentent la première structure de notre cadre conceptuel. D’où la figure suivante.

Figure 3 : Les trois premiers grands thèmes du cadre conceptuel

Cadre conceptuel 1