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4.1 Le capital économique

4.2.4 La mentalité sociofamiliale

Dans cette sous-section, il est question de certains problèmes auxquels les décrocheurs ont fait face dans leur cheminement scolaire. Des difficultés qui ont nui à leur persévérance à l’école et qui ont un certain rapport avec leur culture d’origine. Autrement dit, des difficultés qui sont enracinées dans leur identité culturelle, dans leurs toutes premières années de socialisation, dans la mentalité de leurs parents ou de leurs familles d’accueil.

4.2.4.1 Le désengagement parental

Les immigrants haïtiens de première génération qui ont déjà atteint l’âge adulte, peu de temps après leur arrivée au pays d’accueil, qu’il s’agisse du Canada ou des États-Unis d’Amérique, sont souvent contraints par les parents ou par les responsables des familles qui les avaient reçus de se rendre sur le marché du travail prématurément. Une mentalité qui n’est pas à leur avis celle des parents haïtiens vivant en Haïti. Les participants considèrent cette manière de penser comme un conflit de valeurs qui est préjudiciable à la persévérance scolaire des jeunes et jeunes adultes d’origine haïtienne qui manifesteraient de la volonté de progresser sur le plan socioéducatif. À ce sujet, nos participants ont fait état de leur désenchantement (surtout à la troisième personne) et ont essayé de répandre leurs points de vue à d’autres compatriotes ayant le même statut migratoire qu’eux.

Il y a même des parents qui envoient leurs enfants travailler pour pouvoir ramener de l’argent à la maison, ce n’est pas bon. En Haïti l’enfant pourrait avoir 30 ans et se trouve à la maison sous la responsabilité économique de ses parents, mais ici c’est différent, les parents haïtiens laissent et même, des fois, poussent les enfants à aller travailler, ce qui les fait souvent décrocher (Prinsa).

En plus de fustiger de façon sévère cette mentalité des parents immigrants d’origine haïtienne et de réfléchir sur les dangers qui en découleraient, Ted a présenté son père comme un cas typique de ces parents qui veulent que leurs enfants nouvellement arrivés apprennent à voler hâtivement de leurs propres ailes.

Le défaut de presque tous les parents haïtiens qui vivent à l’étranger est le suivant : tu étais à l’aise en Haïti, ils t’encadraient très bien lorsque tu vis là-bas. À un moment donné, ils t’arrachent du pays, mais en arrivant à l’étranger, ici, ils changent automatiquement, tu constates que l’encadrement n’est plus le même. Mon père disait tout le temps « j’ai assez fait pour vous, je vous ai amené ici, vous devez vous-même apprendre à pêcher ». Pas de problème je peux aller pêcher, mais je peux aussi pêcher de mauvais poissons ; je peux devenir n’importe quoi dans la rue : voleur, membre gang de rue, etc., parce que tu m’as donné l’idée d’aller pêcher moi-même. Les parents haïtiens doivent le comprendre, lorsqu’ils donnent ce privilège à leurs enfants, il peut leur arriver n’importe qu’elle chose, il faut s’attendre à n’importe quoi. Si toi parent tu es au travail, tu ne sais pas ce que fait l’enfant. Lorsque la police vient sonner plus tard à la maison, il ne faut pas chialer après en frappant l’enfant en disant : « patatipatata, c’est ta faute, c’est ta faute… ».

Par ailleurs, selon Simon, les immigrants haïtiens de première génération se seraient trouvés dans une situation d’ambigüité. Il croit qu’ils sont tiraillés entre l’impatience des familles d’accueil qui veulent qu’ils aillent travailler peu de temps après leur arrivée, leur propre souci d’aider leurs proches vivant dans la précarité en Haïti et leur désir de continuer ou de retourner à l’école en vue de mieux se positionner à moyen ou à long terme sur le marché du travail.

D’autres problèmes qui sont à l’origine de l’abandon scolaire des jeunes c’est que ce sont souvent les parents qui entreprennent les démarches pour faire venir leurs enfants à l’étranger. Ces parents sont généralement nés en Haïti, ce sont également des gens qui n’ont pas toujours un niveau éducatif élevé. Ces derniers n’ont pas toujours un bon emploi. Ainsi, ils ne peuvent pas bien préparer le terrain pour accueillir leurs enfants. Une fois que les enfants arrivent ici, ils vont les faire subir des pressions psychologiques pour qu’ils aillent travailler après quelques jours. Les enfants, sitôt arrivés à l’étranger ils se sont vus aussi face à l’obligation de travailler pour satisfaire leurs besoins et pour supporter d’autres membres de leur famille qui vivent en Haïti, c’est comme une chaine.

Les parents haïtiens, si vous avez l’âge pour pouvoir travailler en arrivant, ah oui, ils vont te pousser à y aller. C’est tout un dilemme.

Tant à Montréal qu’à Brooklyn, les participants le considèrent comme une perte des bonnes manières et des prérequis académiques le fait de certains parents originaires d’Haïti de contraindre leurs enfants à se trouver du travail sans aucune préparation.

En Haïti, c’est culturel, tout le monde veut pousser ses enfants, quel que soit leur âge, à aller à l’école dans le but d’avoir un diplôme et réussir dans la vie. Les mêmes parents haïtiens, une fois qu’ils sont arrivés ici aux États- Unis, ils mettent de côté cette bonne mentalité. Il y en a qui disent une fois que l’enfant est aux États-Unis il peut vivre. Les parents haïtiens, une fois arrivés aux États-Unis, c’est comme s’ils n’avaient jamais été à l’école avant. Ils ont cessé automatiquement d’encadrer leurs enfants. Même les jeunes, il y en a qui sont rentrés ici et ont perdu, peu de temps après, toute la base scolaire qu’ils avaient acquise en Haïti (Mandy).

D’après Elta, la persévérance scolaire des immigrants haïtiens de première génération dépend, d’abord, de l’attitude des parents qui doivent enlever un peu de pression sur le dos des élèves. Elle a affirmé que les parents immigrants haïtiens attribuent précocement trop de responsabilités économiques aux jeunes.

Au début, dès mon arrivée en 2011, mon père avait l’habitude de m’aider, mais par la suite c’est moi qui me suis démanchée pour répondre à mes besoins. Les parents haïtiens sont comme ça, une fois que vous commencez à faire quelque chose, que vous trouvez un petit emploi, ils vous lâchent automatiquement. Ce sont les parents qui doivent ainsi commencer par diminuer la pression sur les jeunes. Lorsque les jeunes arrivent ici, après quelques mois, les parents les obligent à aller travailler pour qu’ils puissent les aider à payer les bills et à satisfaire leurs propres besoins, même quand ils sont jeunes (Elta).

4.2.4.2 L’autoritarisme parental

Les résultats de cette recherche nous présentent l’autoritarisme parental comme un comportement qui ne favorise pas la tenue d’une communication efficace entre les enfants et certains parents immigrants haïtiens. Ainsi, Ted a fustigé l’attitude de son père qui, tout en étant indisponible et irresponsable, a toujours voulu faire preuve d’autoritarisme à son égard. De son côté, Carl a considéré l’autoritarisme parental comme l’un des principaux facteurs de son décrochage scolaire.

L’année de mon décrochage, j’avais 16 ans. Je dois dire que je n’étais pas motivé pour aller à l’école à cause du fait que ma mère voulait que j’aille étudier la radiologie après alors que moi ce n’était pas ça que je voulais faire. Moi, le domaine médical, je ne veux rien savoir de ça.

Le fait que ma mère voulait que je fasse la radiologie m’avait poussé davantage à abandonner au secondaire. Disons que j’avais vécu avec cette intention dans ma tête pendant plus de 4 ans. J’avais abandonné mes études temporairement au secondaire (pour quelques mois), et pour un an au Cegep. Comme mes parents voulaient que je fasse la radiologie, OK. Après la fin de mes études secondaires, j’ai été à la radiologie au Cegep. Comme c’est un domaine que je n’aime pas, je n’avais accumulé que de mauvaises notes, je n’étais pas motivé et on m’avait mis dehors. Après un an j’étais retourné à l’école et je m’étais inscrit dans un autre programme qui est l’électronique industrielle. J’aime beaucoup la robotique, l’électricité tout ça, c’est manuel, j’avais de bonnes notes de même dans mon nouveau programme et j’étais gradué sans difficulté (Carl).

4.2.4.3 La jalousie sociofamiliale

Peu après leur arrivée sur la terre d’accueil, la plupart des immigrants haïtiens de première génération font face à ce qu’ils qualifient de jalousie de quelques membres de leur famille ou de leur environnement socioprofessionnel. Il s’agit spécifiquement de gens qui sont pour la plupart très peu scolarisés qui ne souhaiteraient pas que les nouveaux arrivants viennent rapidement les dépasser sur les plans socioprofessionnel et économique.

Je pense que ma femme était jalouse de moi parce qu’elle n’a pas mon background, mon niveau académique. Elle ne voulait pas que je la dépasse davantage. Ma femme était la personne qui était plus proche de moi, mais elle était très négative. Cela ne lui disait rien le fait que je ne pouvais pas aller à l’école, elle était de préférence contente de cette situation (Lens).

Outre la famille, le contexte socioprofessionnel est aussi perçu par ce participant comme un espace de manifestation de la jalousie de certaines personnes sur lesquelles il croyait pouvoir logiquement compter.

Souvent là où on est allé travailler en arrivant ici dans les tout premiers moments, c’est surtout parmi des personnes qui n’ont pas été à l’école ou presque. C’est également sous leur ordre que tu vas travailler pour la simple et bonne raison qu’elles étaient là avant toi. Ainsi même quand on avait un niveau intellectuel avancé, ça ne veut rien dire. Et tes supérieurs-là qui n’ont pas de niveau académique avancé, s’ils savent que tu es plus formé qu’eux, ah mon frère, ils vont te maltraiter, t’humilier même quand tu serais leur compatriote (Lens).

La décision d’abandon scolaire des nouveaux arrivants haïtiens peut devenir plus évidente lorsque les gens de leur environnement immédiat refusent volontairement de leur octroyer l’aide nécessaire à leur intégration et à leur évolution dans la société.

Dans ma famille, tout le monde s’occupait de son affaire. Il y a aussi beaucoup de gens (des membres de ma famille, des amis) qui sont très envieux, qui ne veulent pas qu’on trouve du travail, qui n’apprécient pas qu’on évolue rapidement quand on est récemment arrivé. Ce sont surtout des personnes qui ont, en quelque sorte, échoué, qui ne vivent pas dans le pays comme elles l’auraient aimé et qui veulent que les autres échouent aussi. La jalousie des proches est vraiment une raison de l’abandon scolaire de plusieurs immigrants comme moi (Dady).