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4.1 Le capital économique

4.1.3. Les responsabilités économiques

En plus du fait de vouloir subvenir à leurs besoins personnels, beaucoup de jeunes et jeunes adultes immigrants d’origine haïtienne que nous avions interviewés ont déclaré avoir abandonné l’école pour répondre aux besoins familiaux comme dans le cas d’un parent malade, qui est incapable de travailler ou vivant dans la précarité au pays d’accueil ou au pays d’origine (Haïti).

4.1.3.1 Le souci pour les parents en Haïti

Les participants ont fait état de plusieurs facteurs spécifiques qui ont caractérisé le processus de leur abandon scolaire et celui de bon nombre de jeunes et adultes immigrants d’origine haïtienne. Cependant, le souci pour les parents et les proches, laissés derrière eux en Haïti dans la précarité, constitue un élément présent dans la grande majorité des entrevues de nos interrogés. D’où l’exemple de Prinsa.

Moi, j’avais abandonné l’école c’est parce que je n’avais pas vraiment le choix. Je devais coute que coute aller travailler. J’avais besoin de l’argent pour mon bienêtre personnel, j’ai beaucoup de membres de ma famille en Haïti qui ne travaillent pas, qui comptent sur moi économiquement, j’ai deux sœurs, un frère et ma mère en Haïti. J’avais pris ainsi la décision de quitter l’école dans l’idée d’y retourner après l’accouchement, mais ce n’était pas le cas, c’était difficile. Je suis retournée 11 ans après.

Prinsa a imaginé que la situation dans laquelle elle se trouve est pareille à celle de bien d’autres immigrants qui se sacrifient pour aider leurs familles en Haïti, et ce parfois, au détriment de leur avenir et de leur bienêtre personnel. Elle a de surcroît déploré l’incompréhension des gens vivant en Haïti par rapport aux sacrifices consentis par leurs proches de la diaspora et leur méconnaissance des conditions de vie difficiles des immigrants.

Ce que je pourrai ajouter finalement c’est le cas des jeunes immigrants qui sont trop soucieux de leurs parents et familles en Haïti, qui veulent à tout prix travailler pour les aider, pour leur envoyer de l’argent. Des fois, tu envoies de l’argent en Haïti pour aider des enfants. Ces derniers sont parvenus à terminer leurs études secondaires, à se rendre à l’Université alors que toi qui fais des sacrifices pour leur envoyer de l’argent, tu n’as pas pu terminer.

Prinsa qualifie l’attitude de la famille en Haïti de démesurée et en décalage avec la réalité de l’immigrant haïtien qui doit satisfaire ses objectifs pour répondre à leurs attentes.

Les gens qui sont en Haïti, une fois que quelqu’un est à l’étranger ils pensent qu’il est riche, qu’il a beaucoup d’argent. Moi là, je suis une grande victime de cette mentalité. Donc ce sont là d’autres raisons pour lesquelles quelqu’un qui vit à l’étranger peut ne pas finaliser ses études, peut décrocher.

Le souci de contribuer au mieux-être de leur famille vivant dans la pauvreté en Haïti est vraiment au cœur des préoccupations des immigrants. Un facteur que ce participant de Brooklyn a tenté de corroborer par des informations plus concrètes dans l’extrait suivant.

Les mauvaises conditions économiques de mes parents en Haïti me préoccupent beaucoup. L’une des raisons pour laquelle beaucoup de jeunes haïtiens abandonnent l’école ici est le souci qu’ils éprouvent par rapport à la pauvreté de la famille en Haïti. Si tu fais aussi une visite dans les bureaux de transfert (d’argent) à Brooklyn, tu verras toujours beaucoup d’Haïtiens qui sont en train d’envoyer de l’argent en Haïti (Lens).

S’il est certain que beaucoup de jeunes et de jeunes adultes haïtiens se sont vus obligés d’aller travailler, peu après leur arrivée au pays d’accueil, la situation est encore plus critique chez ceux qui y sont arrivés à un âge plus avancé, c’est-à-dire les jeunes adultes, pour qui le volume de responsabilité est généralement plus élevé.

Le problème est que nous autres les adultes, nous avons beaucoup de responsabilités. Les adultes ont souvent des enfants, le loyer à payer, etc., c’est ça qui nous pousse souvent à aller travailler et à abandonner l’école, ce qui est contre notre volonté (Simon).

Cette situation en question est décrite de la même façon par nos participants de Montréal et de Brooklyn. Ils ont tous voulu étendre leur statut d’enfants pourvoyeurs à tous les autres compatriotes immigrants.

Ces jeunes qui sont le plus soucieux de leur famille en Haïti sont surtout ceux qui laissent Haïti après 18 ans. Ces derniers partagent ou prennent sur leur dos toute la charge économique ou presque de leurs proches qu’ils ont laissés derrière eux. Non seulement ils « subventionnent » leurs parents et familles en Haïti, mais aussi ils doivent travailler pour satisfaire leurs besoins personnels. Sans te cacher, je ne suis pas une exception à la règle (Lens).

La réalité décrite par Lens est à peu près semblable à celle d’Elta. Tant soit peu, et ceci de manière régulière, cette dernière a dû faire face à cette dite obligation qui consiste à soutenir économiquement ses proches en Haïti.

Comme vous le savez, lorsqu’on quitte le pays (Haïti) pour venir à l’étranger, tout le monde en Haïti pense, peu de temps après votre départ, que vous avez de l’argent, que vous êtes déjà rendu riche. Moi, je n’ai pas trop d’engagements envers ma famille en Haïti, mais je dois chaque mois, envoyer, le peu qu’il soit, de l’argent à ma mère en particulier. Ma mère ne travaille pas et elle est atteinte du cancer du sein. C’est une obligation pour moi de travailler pour pouvoir chaque mois faire un petit geste avec elle (Elta).

4.1.3.2 Le souci pour les parents immigrants

Les immigrants haïtiens ne se donnent pas seulement de la peine pour leurs proches en Haïti. Ils sont également très intéressés par la santé et les conditions de vie de leurs parents en compagnie desquels ils vivent sur la terre d’accueil. On peut citer à titre d’exemple le participant Derly dans la citation suivante : « Ma mère aurait pu m’aider à rester à l’école, mais au Canada elle ne travaille pas, elle est malade. C’est mon autre frère et moi qui la soutenons financièrement ». Et c’est à peu près le même cas de figure pour cette autre interviewée de New York :

Depuis quelques années, ma mère ne travaille plus à la suite d’un terrible accident. Je suis obligée de m’occuper d’elle, de la supporter. J’avais aussi un business (une activité commerciale) en Haïti ; mais après le tremblement de terre du 12 janvier 2010 qui avait ravagé le pays, j’avais tout perdu, j’avais dû recommencer à zéro. Tu comprends comment il devient difficile pour un jeune qui vit une telle réalité de rester à l’école ? (Mandy).

Donc, le souci des immigrants de première génération, les adultes en particulier, pour leurs proches en situation de précarité est un sous-thème très présent dans plusieurs de nos entrevues. Par ailleurs, on constate qu’ils parlent le plus souvent de leurs mères lorsqu’il leur revenait d’aborder cette question, à s’en tenir, à titre d’exemple, aux dernières unités de significations précédentes.