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4.3 Le capital social

4.3.2 Le réseau social de l’immigrant

Le réseau social de l’immigrant se réfère dans cette thèse à la structure d’amis et de connaissances créée par l’immigrant de première génération après son arrivée au pays d’accueil. Outre les pairs, le réseau social du nouvel arrivant est aussi constitué d’autres personnes de son environnement socioprofessionnel lesquelles sont susceptibles de lui prodiguer des conseils dans un sens ou dans un autre.

L’existence d’un tel réseau, composé généralement de pairs et de collègues de travail, peut influencer le parcours scolaire de celui-ci positivement ou négativement.

4.3.2.1 L’influence des pairs

L’expression « influence des pairs » peut être positive ou négative suivant qu’elle renvoie à une contribution à la persévérance ou au décrochage scolaire des participants de la recherche.

4.3.2.1.1 L’influence positive des pairs

L’absence de l’influence positive des pairs est souvent évoquée par les participants de cette recherche dans la dynamique de leur abandon scolaire. C’est le cas des participants : Lens, Elta et Dady qui ont tous mis de l’avant les limites qui ont caractérisé leur réseau d’amis en termes de difficultés de se familiariser et de garder un contact serré et privilégié avec eux.

Même quand il n’a pas encore vécu pendant beaucoup d’années au pays d’accueil (seulement deux ans au moment de son entretien), Ted a déclassé l’intégration sociale au rang de ses soucis. Néanmoins, il a admis les faiblesses de son réseau social où ses rares amis sont principalement ceux de mon école.

Le scénario d’Elta est similaire à celui qu’a vécu Dady lorsque celui-ci a témoigné de son isolement social à New York avant et après son abandon scolaire.

Mes amis n’étaient pas au courant de mon abandon du programme, d’ailleurs je n’en ai pas beaucoup […]. Dans ma classe, il y avait des élèves de plusieurs pays parce que le GED était en anglais. Nous étions seulement deux Haïtiens dans la classe et c’est pour cette raison que je n’avais pas vraiment d’amis dans la classe pour parler de mon découragement. Lorsque j’avais pris la décision de quitter le GED, je n’avais presque personne à qui parler. Je n’avais presque pas de contact avec les autres, même l’autre Haïtien qui était dans le programme avec moi, je n’ai jamais eu de ses nouvelles. Je n’ai jamais eu la chance de rencontrer mes anciens camarades de classe, pas même une fois dans les rues de New York.

C’est une façon de vous dire que j’étais quasi totalement seul à vivre les frustrations engendrées par cette décision d’abandon du programme de GED.

En ce qui concerne Prinsa, elle n’a pas été influencée négativement au cours de son parcours scolaire. Elle a, de préférence, tenté de prodiguer de bons conseils à quelqu’un de sa classe qui a été, à son avis, au bord de l’abime. D’où son témoignage :

Il y a aussi des jeunes qui sont facilement influençables. Par exemple dans ma classe, il y a une jeune fille d’origine haïtienne qui ne peut pas suivre les cours parce que ses amis viennent souvent l’appeler pour aller dans des programmes de loisir pendant qu’elle est en train de suivre les cours. La fois dernière, je l’avais appelée en privé pour lui dire qu’elle pourra payer ça très cher, parce que ses notes diminuent de plus en plus.

4.3.2.1.2 L’influence négative des pairs

Parallèlement aux participants qui se sont plaints de l’absence d’influence positive des pairs pendant le processus et après leur décrochage scolaire, bien d’autres font état de la mauvaise influence dont ils étaient l’objet. En plus d’être victime de l’influence de la part de leurs pairs, il y en a qui ont témoigné de leur impact négatif sur la persévérance scolaire de leurs camarades. L’exemple le plus approprié est celui de Ken à travers l’extrait de texte suivant.

Le fait de niaiser, de déranger les autres, c’est une attitude que j’avais dans presque toutes les classes. Mais, c’était surtout en secondaire 2 que c’était plus grave. Il faut dire que cela arrivait à cause de l’influence de mes amis. Des amis qui niaisaient et moi, j’embarquais avec eux. Mais le plus qu’on niaisait, le plus qu’on était puni. Il y en a qui m’avaient influencé au début, mais j’étais devenu plus turbulent qu’eux et j’avais influencé bien d’autres élèves par la suite. Beaucoup de mes proches amis avaient quitté l’école pour aller travailler aussi, ils étaient contents de ma décision d’abandonner l’école, parce qu’ils m’avaient considéré comme un leader dans la classe, ils aimaient lorsque je me propulsais au-devant de la scène.

Un autre participant a reconnu le caractère contagieux de son mauvais comportement dans sa classe et a mis l’accent sur les effets néfastes que cela a eus sur le parcours scolaire de ses camarades.

Mon départ de l’école avait influencé mes amis de l’école qui allaient commencer à arriver en retard à l’école, à oublier leurs matériels de travail en classe, il y en avait plusieurs qui avaient suivi mon mauvais exemple. Par la suite, j’avais perdu mes amis de l’école, je n’allais plus chez eux et ils ne savaient où me retrouver puisque je n’étais plus là où j’habitais (chez mes parents), je n’habitais plus à une place fixe, mes amis de l’école avaient de la misère à me trouver (Ted).

La mauvaise influence des pairs est, d’après Simon, un élément déterminant dans l’abandon scolaire des élèves de la population ciblée lorsqu’il a affirmé ceci : « Dans mon quartier à Montréal, il y a beaucoup de jeunes d’origine haïtienne qui se sont laissés influencer par d’autres amis qui aiment trop le plaisir. Je pense que c’est l’une des causes de leur abandon scolaire ».

L’influence négative des pairs est aussi évoquée par Sentia dans la dynamique du départ prématuré des immigrants originaires d’Haïti à Montréal. Une situation qui, selon elle, contribue beaucoup à la situation de déviance, de dépravation sociale au Québec. Son témoignage est rempli de déboires et d’inquiétudes.

Je connais beaucoup de jeunes haïtiens qui se sont laissés influencer par d’autres jeunes à Montréal, des jeunes qui sont tombés dans la prostitution, l’homosexualité juste pour avoir de l’argent. C’est épouvantable et j’ai très peur pour mon fils qui a maintenant 12 ans, j’ai vraiment peur de le perdre. Je connais des jeunes haïtiens qui se sont fait procurer de cartes de crédit pour pouvoir faire des folies, impressionner leurs voisins et amis ; mais peu de temps après, ils ont du mal à dormir dans leur lit à cause de cela. Et l’école est devenue un non-sens pour eux (Sentia).

Le participant suivant est allé un peu plus loin dans son analyse en mettant l’accent sur la tranche d’âge la plus vulnérable quant au problème de la mauvaise influence des pairs à Brooklyn et aux conséquences négatives.

L’une des raisons qui sont à l’origine de l’abandon scolaire des jeunes haïtiens à Brooklyn c’est la délinquance, la débauche. Dans cette catégorie, on trouve surtout les jeunes qui arrivent très tôt ici, qui sont âgés de moins de 18 ans et qui n’ont pas eu un bon encadrement. Ces jeunes se laissent souvent influencer dans le mauvais sens par d’autres jeunes de leur âge originaire d’autres nations comme les Jamaïcains… Ils fument de la drogue, ils portent leurs pantalons en dessous de leurs fesses, ils quittent l’école pour aller faire du vagabondage dans les rues. Ce sont les jeunes qui viennent aux États-Unis plus tôt qui abandonnent le plus l’école, ce sont eux qu’on retrouve dans toutes les prisons à cause de leur mauvaise influence (Lens).

4.3.2.2 1’influence socioprofessionnelle de l’immigrant

Le déficit d’influence du réseau social auquel les participants de la recherche ont fait référence ne s’arrête pas aux pairs. Il s’étend également aux collègues de travail dont les conseils auraient pu avoir un effet positif ou négatif sur le parcours scolaire des jeunes et jeunes adultes immigrants haïtiens. Le témoignage de Ken est très significatif en ce sens lorsqu’il a déclaré :

J’avais été influencé un petit peu par d’autres personnes qui n’étaient pas de ma famille. Elles étaient quelques adultes d’origine haïtienne âgés d’une cinquantaine d’années environ (des femmes et des hommes) qui travaillaient à la même place que moi, à la manufacture. Elles me disaient tout le temps : « tu peux être mon fils il faut aller à l’école pour ne pas rester toute ta vie dans ce genre de travail » (Ken).

Ken a précisé que ces mots apparemment encourageants qui lui ont été adressés, après son abandon scolaire, par ses collègues de travail n’ont pas vraiment contribué à sa persévérance scolaire. Il a souligné le caractère contradictoire de leur discours à l’égard de l’école : « Je ne prenais pas trop au sérieux ce que ces personnes me disaient parce qu’elles critiquaient parfois l’école. Je suis retourné à l’école parce que je pense que je pourrai trouver un meilleur boulot après ».

4.3.3 L’identification des faiblesses du réseau social dans la décision d’abandon