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4.1 Le capital économique

4.2.2 Le contrôle scolaire parental

Le contenu de cette présente sous-section est inséparablement lié à celui de la précédente portant sur le soutien académique de certaines familles d’accueil à l’égard de leurs enfants nouvellement venus d’Haïti. Cependant, les unités de signification suivantes mettent en lumière deux facteurs spécifiques au manque de contrôle scolaire de plusieurs parents et familles immigrants originaires d’Haïti. Il s’agit de la disponibilité et de la responsabilité.

4.2.2.1 La disponibilité

Peu importe leur niveau de scolarité et leur connaissance de la culture et des institutions du pays d’accueil, il s’ensuit de cette recherche que des parents et familles d’accueil n’ont parfois aucun contrôle sur le parcours scolaire des nouveaux arrivants. Leur manque de disponibilité constitue un facteur évoqué par certains participants dans la dynamique de leur abandon scolaire.

Suite à certaines irrégularités observées chez le participant Ted, les responsables de son école avaient voulu s’entretenir avec son père à l’effet d’améliorer la situation, mais c’était en vain. Ce dernier n’avait aucun contrôle sur la vie scolaire de son fils.

Lorsque les responsables de l’école prenaient un téléphone pour appeler chez moi, on n’avait jamais pu trouver mon père […] c’est quelqu’un qui ne venait jamais dans les réunions de parents de l’école lorsque les invitations lui avaient été lancées. Mon père a 24 enfants qui sont aux États-Unis et au Canada, on est vraiment nombreux.

Non seulement le père de Ted, qui avait également à sa charge 23 autres enfants, n’avait pas de temps pour l’encadrer sur le plan académique, il n’avait non plus aucun contrôle sur le comportement et le rendement de celui-ci à l’école. Ce père de famille, à s’en tenir aux propos de son fils, avait failli à sa mission à cause de sa descendance qui avait été trop nombreuse.

Pour sa part, Carl a placé sa mère au centre de son abandon scolaire. Le changement de comportement de ce participant, en tant qu’élève à la fois à l’école et à la maison et sa baisse de rendement scolaire sont autant d’éléments qui auraient pu amener sa mère à comprendre le début de son processus de décrochage scolaire. Toutefois, cette dernière, vu qu’elle avait passé presque tout son temps au travail, en plus du fait qu’elle est très peu scolarisée, n’avait pu garder aucun contrôle sur la vie académique de ce décrocheur. La direction de l’école avait tenté de la rejoindre à plusieurs reprises au téléphone, mais c’était toujours peine perdue.

Mes rendements diminuaient beaucoup, surtout en anglais. Mais je gardais le problème pour moi, je suis un gars discret, je n’aime pas trop parler de mes problèmes et je n’avais pas vraiment d’amis dans la classe, je restais toujours dans mon coin replié sur moi-même. Je gardais toujours mes relations avec les professeurs. Mes parents n’étaient pas au courant parce que, au moment de prendre la décision je me rendais toujours à l’école sauf que je ne rentrais pas dans la classe.

Lorsque ma mère savait que j’avais abandonné à la fin de l’année, elle était étonnée et fâchée, mais c’était trop tard. L’école avait appelé à la maison, mais ma mère n’était pas là, elle était toujours au travail (Carl).

4.2.2.2 La responsabilité

En plus de la question de l’indisponibilité soulevée dans les paragraphes précédents, le manque de responsabilité de certains parents et familles d’accueil est aussi cité par quelques participants dans l’histoire de leur décrochage scolaire. Cette irresponsabilité peut être involontaire lorsqu’elle est liée au manque de temps. Néanmoins, il y a des cas où les parents ont volontairement choisi de laisser leurs enfants se débrouiller seuls. Elta a dressé un portrait de son père qui ne l’aurait guère donné le soutien qu’elle avait souhaité. Cette participante a déclaré que son père a l’habitude de l’aider par moment dans ses devoirs et que c’est le travail de celui-ci qui l’a rendu souvent indisponible. En outre, elle a mis l’accent sur ce qu’elle considère comme une mentalité de désengagement parental, à laquelle on a ci-après fait référence, de certains parents d’origine haïtienne vis-à-vis de leurs enfants ayant atteint l’âge adulte. Un virus qu’elle a cru qui n’aurait pas épargné son père qui l’aurait volontairement laissée pour compte pour qu’elle soit capable de voler de ses propres ailes. D’où son témoignage.

Du côté familial, mon père a l’habitude de m’aider lorsque je m’adresse à lui. Il peut m’aider à comprendre les matières parce qu’il avait laissé Haïti avec un bon niveau académique. Mais le problème c’est le temps. Je vis avec lui, mais il travaille, il n’a pas vraiment du temps pour m’encadrer à comprendre les cours ; je me débrouille surtout seule maintenant. Je pense que mon père aurait pu faire quelque chose pour m’aider à mieux réussir. Mais le problème est qu’une fois qu’on est aux États-Unis, les parents veulent qu’on soit autonome. Si c’était comme en Haïti où ma mère veillait beaucoup sur moi, elle était très stricte, elle vérifiait tout, je n’aurais pas eu cet échec.

La maturité et les connaissances du milieu par les parents et autres membres de la famille sont fondamentales au maintien des nouveaux arrivants, jeunes et jeunes adultes, sur le chemin du progrès. Néanmoins, ces prérequis ne sont pas toujours au rendez-vous si l’on se fie à ce que Mandy nous a conté.

En voyant toute la liberté que j’avais en arrivant à Brooklyn, l’influence de la télévision, etc., je voulais en profiter. Il faut ajouter que les folies et les erreurs de jeunesse m’avaient également démotivée à aller à l’école pour pouvoir obtenir mon diplôme d’études secondaires.

Le manque de contrôle et d’implication des membres de l’environnement familial de ce participant, qui est aussi du sexe féminin, est un facteur déterminant dans son processus d’abandon scolaire.

Ma mère n’avait pas vu que j’étais démotivée, que j’étais sur le point d’abandonner. Elle ne m’avait rien dit non plus lorsque j’avais quitté le programme […]. J’ai un oncle aussi qui a un niveau très élevé en éducation ici à Brooklyn, mais il n’interférait pas dans mes affaires personnelles (Mandy).

Le témoignage de cette immigrante a fait état de toute l’importance de l’accompagnement et de l’encadrement des nouveaux arrivants sur la nouvelle terre. Le fait de certains parents de faillir à cette mission peut conduire à l’instabilité généralisée des jeunes et des jeunes adultes, à leur échec et à leur décrochage scolaire.

Après son abandon scolaire à New York au secteur des adultes, Mandy avait dû changer de stratégie. Cette immigrante s’était personnellement préparée avant de retourner en Haïti dans l’idée d’y aller subir les examens officiels qui lui auront permis d’obtenir le diplôme d’études secondaires. Elle avait atteint cet objectif sachant qu’en Haïti il n’y a pas vraiment d’âge limite pour terminer le cycle secondaire.

Sachant que j’aime l’école et que je caressais toujours l’idée d’aller à l’Université pour pouvoir obtenir un diplôme, je m’étais personnellement préparée et j’avais voyagé en Haïti pour aller subir les examens bac I comme élève libre en 2002. Effectivement, j’y avais été et j’avais réussi. Pour réaliser ce rêve, j’avais effectué régulièrement des va-et-vient entre New York et Port-au-Prince. Des voyages dans le but de me préparer, de suivre des cours, de travailler avec des amis afin d’aller subir cette fois-ci les examens officiels de baccalauréat, deuxième partie (bac II) en 2003. Avant ces examens officiels en Haïti, j’avais beaucoup travaillé seule, en faisant généralement des recherches sur internet et en étudiant les notes que mes amis qui suivaient régulièrement des cours en Haïti m’avaient envoyées (Mandy).

Il faut préciser que les termes : « baccalauréat première partie et baccalauréat seconde partie, communément appelés bac I et bac II », auxquels la participante a fait référence dans l’extrait de texte précédent, correspondent aux deux séries d’examens officiels couronnant le cycle secondaire du système éducatif haïtien. Ces examens sont réalisés à la fin des deux dernières années du cycle d’études.

Pendant deux années consécutives, cette participante s’était concentrée sur la préparation de ses examens officiels en Haïti et elle avait réussi son coup. Toutefois, après ses études secondaires, elle est devenue encore plus instable, elle a continué à fonctionner en dehors du contrôle de sa famille, ce qui a grandement nui à son évolution socio-académique et professionnelle.

Après mes études secondaires, je voulais aller étudier la diplomatie, mais je n’ai pas pu atteindre mes objectifs. J’avais terminé mes études secondaires en Haïti en 2003 et en 2008 j’avais choisi de me rendre à l’Université ici à New York, mais j’avais choisi de m’inscrire à des cours intensifs pour pouvoir être en mesure de travailler. Effectivement j’ai été successivement à des cours de diplomatie, de sciences politiques, de sciences forencic (criminalistique) et de criminal justice (justice criminelle), ça fait un an depuis que j’ai abandonné ce dernier cours. À l’école secondaire comme à l’Université, ma mère aurait pu m’empêcher d’abandonner, mais elle me laissait faire ce que je voulais. Pendant les trois dernières années, j’ai dû même, à plusieurs reprises, rencontrer un psychologue pour me conseiller, m’orienter, c’était très difficile pour moi (Mandy).