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4.3 Le capital social

4.4.2 La gestion de classe

4.4.3.1 Le test de classement

Le mauvais classement représente un facteur qu’il ne faut pas sous-estimer dans la lutte contre l’abandon scolaire des immigrants haïtiens à Montréal. Au terme de leur processus d’immigration, les jeunes et les jeunes adultes quittent Haïti avec des niveaux de scolarité différents. Parallèlement à ceux qui ont eu le temps d’obtenir leur diplôme d’études secondaires avant même de se rendre à l’étranger, il y a une autre catégorie de jeunes et de jeunes adultes qu’il faut souligner. Il s’agit de ceux qui sont immigrés soit au début de leurs études secondaires, soit au beau milieu ou quelques jours avant la fin du cycle d’études en question. Une fois arrivée au pays d’accueil, cette seconde catégorie se trouve face à l’obligation d’aller subir un test de classement. Suite aux résultats de cette évaluation, ils se voient souventes fois mal classés ou tout simplement déclassés. Plus spécifiquement à Montréal, les décrocheurs ont ouvertement fait état de leur déboire quant au test de classement.

En arrivant ici au Canada, je venais juste d’avoir mon diplôme d’études primaires en Haïti. Logiquement en arrivant ici je pensais qu’on allait me permettre de débuter mes études secondaires, mais ce n’était pas le cas, j’ai été déçue. Je devais recommencer puisqu’on m’avait classée au niveau alpha (Prinsa).

Prinsa et Sentia représentent les deux participants de sexe féminin que nous avions interviewés à Montréal. Elles ont toutes deux exprimé leur déception par rapport au test de classement qu’elles avaient effectué peu après leur arrivée au Québec.

Deux mois après mon arrivée, je voyais qu’il était important pour moi de retourner à l’école après plusieurs années consécutives d’arrêt. J’en avais parlé à mes proches et ils m’avaient aidée à effectuer les démarches afin de retourner à l’école. J’étais allée subir un test de classement et les résultats ne correspondaient pas vraiment à mon niveau. En Français, ce n’était pas trop mal, on m’avait classée en secondaire 3, mais en mathématiques, on m’avait rétrogradée en secondaire 1 (Sentia).

Le mécontentement qu’a suscité le mauvais classement chez Prinsa, l’a poussée, quelque temps après, à s’organiser afin d’aller passer discrètement ailleurs un autre test de classement. Ayant été mieux classée après les résultats de cette nouvelle évaluation à un nouvel établissement scolaire, elle a dû laisser son ancienne école où elle suivait des cours au niveau d’alphabétisation pour se rendre à la nouvelle. Une décision qui n’a pas du tout plu à son ancienne enseignante.

La professeure de ma classe d’alpha 4, lorsqu’elle ne me voyait plus, elle m’avait appelée, c’est ainsi que je lui avais dit que je ne vais plus retourner à l’école alpha puisque j’ai été à une autre école passer un autre test de classement. Grâce à Dieu j’ai réussi mon test et je suis maintenant en secondaire 1. Aïe ! Elle était fâchée, elle voulait m’intimider, elle m’avait dit : « on va te retourner à l’école alpha pour que tu puisses terminer le programme ». Je lui avais répondu en disant : « non ça ne peut pas se faire, c’est un test que j’ai réussi avec ma force, d’ailleurs j’ai été mal classée, donc on ne peut pas m’empêcher de continuer au secondaire ». Et elle ne m’avait rien dit de plus. Bien heureusement aussi à cette époque on ne faisait pas d’enquête pour vérifier le niveau que les élèves avaient avant d’aller passer le test. J’ai été classée en secondaire 1 et mon abandon allait survenir en secondaire 2, un an après ; bien entendu pour d’autres causes, celles que j’avais énumérées plus haut.

Immédiatement après son arrivée à Montréal, Simon avait démarré ses recherches d’emploi ayant constaté la grande précarité économique de son entourage familial. L’exigence de l’obtention du diplôme de secondaire 5, à laquelle il faisait incessamment face dans ses recherches, l’avait conduit de façon précipitée vers un établissement scolaire pour effectuer le test de classement. Les résultats de cette évaluation l’avaient jeté dans la consternation, mais il avait su prendre son courage à deux mains, nous a- t-il confié.

En arrivant ici à Montréal, je voulais aller chercher du travail et partout où j’étais passé on m’avait toujours demandé le diplôme de secondaire 5, c’est la raison pour laquelle j’avais été passer un test de classement pour pouvoir retourner à l’école. À mon grand étonnement on m’avait classé en présecondaire (ce qu’on appelle le niveau alpha), c’était renversant, même quand j’avais seulement à voir et à réussir le dernier livre de mathématique du présecondaire). Je dois te signaler qu’il me restait seulement une classe (la classe de philosophie) pour terminer mes études secondaires en Haïti. C’était incroyable. Je m’étais résigné, je ne disais rien à personne, je me rendais à l’école en me dirigeant vers la classe qui correspondait au niveau auquel on m’avait classé : le présecondaire. Une classe qui n’avait rien à voir avec mes attentes et mes vraies compétences.

Le test de classement, qui est une sorte d’évaluation en vigueur au Québec et à New York, serait différent d’une école à l’autre. D’après les résultats de la recherche, il n’est pas systématisé et ne tient pas compte des particularités des systèmes éducatifs des pays d’origine des concernés. De ce fait, les postulants qui n’y sont pas bien préparés ont rarement de bons résultats. Ils sont souvent mal classés. La frustration provoquée par son mauvais classement et la prise de conscience des irrégularités qui ont entouré cette évaluation auront, entre autres, occasionné l’impatience, la démotivation voire l’abandon scolaire de Simon

J’avais commencé et j’avais quitté l’école en moins d’un mois. J’avais choisi d’abandonner pour 2 raisons. La première est qu’on m’avait stoppé en mathématiques. On estimait que j’étais trop avancé en mathématiques lorsqu’on assurait les cours. Et pour cette raison, on m’avait dit de ne pas suivre de cours de mathématiques pour un certain temps et de suivre seulement les cours de Français. Contrairement à ce qu’on voulait que je fasse, moi, je voulais accélérer en mathématiques, je ne voulais pas qu’on me retarde davantage, surtout j’ai été déclassé ; c’est pourquoi j’avais choisi d’abandonner. Je voyais qu’on était en train de me faire perdre mon temps. En second lieu, j’avais abandonné c’est parce que j’estimais qu’on m’avait mal classé. J’avais rencontré des personnes qui m’avaient dit que j’aurais dû m’inscrire pour passer plusieurs tests de classement parce que les écoles ne donnent pas les mêmes examens.

À plusieurs reprises, ce participant a fustigé la non-systématisation du test de classement au Québec et son manque d’encadrement familial qu’il a jugé être à la base de son déclassement. Il a souhaité que les instances concernées fassent un acte de justice en prenant les mesures appropriées pour que ce test soit le même pour tout le monde au Canada.

Il y a des gens qu’on a classés en présecondaire ou en secondaire 1 dans certaines écoles après un test de classement, alors que ces mêmes personnes s’en vont passer un autre test de classement dans une autre école et on les a classées en secondaire 4 ou 5. Comme ça j’avais éprouvé beaucoup de regret, de dégoût par rapport au fait que je n’avais pas été passer plusieurs tests afin de pouvoir choisir celui dans lequel j’aurais été le mieux classé. Je n’avais pas vraiment d’encadrement social, ma mère m’avait fait venir ici, mais en arrivant au pays (Canada) c’est moi qui me suis débrouillé pour mon intégration. C’est ce qui est à la base de mon mauvais classement […]. J’aimerais que le test de classement soit le même pour tout le monde, parce qu’une même personne peut aller passer trois tests de classement et peut être classée en même temps en présecondaire, en secondaire 2 et en secondaire 4. Pourquoi tout cela ? C’est parce que les écoles n’utilisent pas toutes les mêmes livres. Si tout le monde de toutes les écoles qui font le test de classement se sert des mêmes livres on n’aura pas cette grande injustice dans cette affaire de classement comme il est maintenant le cas et dont j’étais victime (Simon).

Le mauvais classement des élèves immigrants haïtiens à leur arrivée engendre chez eux un sentiment de regret et d’humiliation qui les pousse à la discrétion, ils deviennent repliés sur eux-mêmes. C’est exactement ce que Simon, l’un des deux participants les plus caractéristiques du mauvais classement au Québec, nous a affirmé.

Franchement, j’ai un sentiment de regret à cause du mauvais classement dont j’ai été victime. J’ai des amis qui avaient quitté Haïti presque au même moment que moi, qui avaient à peu près le même niveau que moi, leurs

mères les avaient préparés le terrain, voilà qu’ils sont actuellement à l’Université ; après très peu de temps, ils ont pu continuer comme ça droit leurs études, alors que ce n’était pas le cas pour moi, je n’avais pas cet encadrement. Souvent mes professeurs me demandent : « qu’est-ce que tu fais toi dans cette classe ?» Ce qui signifie que je ne suis pas à ma place, j’aurais dû être dans une classe plus élevé, mais à cause du mauvais classement. Donc, j’en ai beaucoup de regret. Personne n’était au courant, sauf les élèves de ma classe. J’avais assumé seul la responsabilité de ce que je faisais, de la décision que j’avais prise. Peut-être si on m’avait donné un examen à mon niveau je n’aurais pas abandonné. Donc j’en ai beaucoup de regret.