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Tendance irréversible : le déversement des sièges sociaux vers Tokyo

Chapitre 2 : Le jibanchinka du Kansaï

1.4 Tendance irréversible : le déversement des sièges sociaux vers Tokyo

entreprises symbolisant la créativité osakaïenne et reconnue mondialement en tant que créateur des nouilles instantanées, a décidé en 2008 de fermer son siège social d’Osaka pour donner les pleins pouvoirs à sa branche de Tokyo. Nissin était présent depuis 1988 dans les deux métropoles. Ando Momofuku, originaire de Taïwan, a fondé la compagnie à Osaka après la Seconde Guerre mondiale. L’année suivant sa mort, en juillet 2008, la compagnie déplace ses activités à Tokyo. Lors de l’annonce de cette migration en conférence de presse au mois de mars 2008, le président Ando Kōki donnait tout le crédit qui revenait à Osaka pour la création de produits évoquant la joie et l’humour. Il ajoute : « Si Osaka redevient plus alléchante, par l’introduction du Dōshū-sei par exemple, nous aimerions revenir. Je considère la possibilité de ce déplacement depuis déjà un an et demi en raison des nombreux voyages que je dois faire à Tokyo chaque année pour participer aux réunions du ministère de l'Agriculture, de la Foresterie et de la Pêche, et également pour améliorer l’organisation de notre entreprise qui dispose d’une section internationale là-bas. » En tant que compagnie originaire d’Osaka, Nissin y tient toujours les assemblées générales de ses actionnaires, ses cérémonies d’entrée dans la compagnie, ses conseils d’administrations ainsi que d’autres évènements commémoratifs (Yomiuri shinbun, le 6 mars 2008104).

Quant à Yoshino Isao, président de Yoshimoto kōgyō, il confirme que « 70 % des médias de masse est concentré à Tokyo; même les stations de télévision basées dans la région de Kansaï ont tendance à produire leurs émissions à Tokyo puisqu’on peut y embaucher et y inviter facilement les gens tout en réduisant les coûts […] enfin, dorénavant, seules les

émissions de nouvelles locales sont produites au Kansai » (Nikkei Shinbun, 25 décembre 2006). Dans ces circonstances, Kizugawa Kei (2007) confirme le manque de ressources humaines, causé par le phénomène de la polarisation à Tokyo. Pour lui, la polarisation des activités économiques affecte les ressources culturelles du Kansai : les deux tiers du nombre de spectacles se tiennent à Tokyo aujourd’hui. Le nombre de spectacles qui a lieu dans la région de Kansai (Osaka et Kyoto) diminue d’année en année malgré la croissance du nombre total de spectacles au Japon.

Le thème du 45e Kansaï zaikai seminar, organisé par le Kankeiren (Kansai Keizai

Rengō : Kansai Economic Federation) en 2007, était l’écoulement des sièges sociaux vers Tokyo. On y discute de la nécessité pour le Kansaï de renforcer sa fonction de centre de l’ouest du Japon; pour certains, il est surtout question d’attirer les départements spécialisés dans le commerce international asiatique au sein des différentes compagnies. Pour d’autres, il est question de rappel des compagnies originaires du Kansaï (Keizaijin 2007 April).

En effet, même le Kankeiren éprouve de la difficulté à trouver son président. En mai, c’est Shimotsuma Hiroshi qui est nommé président, celui-là même qui avait pris l’initiative de déplacer le siège social de sa compagnie, Sumitomo Metal Industries105, ainsi que sa maison

privée à Tokyo lorsqu’il en était président-directeur général. Cette nomination a soulevé l’indignation de Eguchi Katsuhiko de l’Institut de recherche PHP; selon lui, pour le bien économique du Kansaï, la première décision que devrait prendre le nouveau président du Kankeiren serait de rapatrier sa compagnie vers son sol d’origine.

En fait, le nombre total d’entreprises ayant leur siège social dans la région du Kansaï n’a pas diminué (Kansai kasseika hakusho 2004, 42), mais le pourcentage qu’elles occupent au Japon, lui, a baissé; le déplacement des sièges sociaux vers Tokyo devient un symbole important de ce que les Kansaïens appellent « l’affaissement de terrain » du Kansaï.

Le déplacement du siège social d’Osaka vers Tokyo est un phénomène courant pour les entreprises dont le capital est de plus de 10 milliards de yens. C’est ce qu’a fait remarquer le département d’Osaka en 2003, après avoir fait des recherches sur le sujet, à partir des données publiées, ainsi que des sondages effectués sous forme d’entrevue depuis 1985 auprès de 64

compagnies dont le capital est de plus de 10 milliards de yens. Cette recherche confirme que le nombre de déplacements augmente sans cesse depuis 1985.

Tableau 2 : Nombre de grandes entreprises dont le capital est supérieur à 10 milliards de yens à Osaka Nombre total de I à IV Nombre total de I, II et III IV (Déménagé) (Simple) I II (Multiple [Principal] ) III (Multiple [Secondaire] ) 1984 48 23 8 79 - 79 (60,8 %) (29,1 %) (10,1 %) (100,0 %) 1989 89 42 12 143 2 145 (62,2) (29,4) (8,4) (100,0%) <81,0%> <83,5%> 1994 92 50 13 155 2 157 (59,4) (32,3) (8,4) (100,0%) <8,4%> <8,3%> 1999 92 53 13 158 7 165 (58,2) (33,5) (8,2) (100,0%) <1,9%> <5,1%> 2004 75 47 17 139 18 157 (54,0) (33,8) (12,2) (100,0%) <-10,3%> <-4,8%> 2007 78 37 15 130 29 159 (60,0) (28,5) (11,5) (100,0%) <-17,7%> <1,3%>

< > indique le taux de changement par rapport au résultat précédent I Simple : entreprises d’Osaka n’ayant qu’un siège social.

II Multiple [Principal] : entreprises introduisant le système de multiples sièges sociaux, dont les fonctions principales sont à Osaka.

III Multiple [Secondaire] : entreprises introduisant le système de multiples sièges sociaux, dont les fonctions principales ne sont pas à Osaka.

IV Déménagé : nombre total d’entreprises n’ayant plus de siège social à Osaka depuis 1984.

Créé par le Département d’Osaka à partir du premier tome des années 1985, 1990, 2000, 2005, 2008 de Kaisha shikihō, une revue trimestrielle de Tōyō keizai sur les entreprises au Japon (Département d’Osaka 2008).

Dans les faits, le problème de déplacement de certains sōgōshōsha 総合商社106 et de

certaines compagnies financières date d’avant les années 1960 (Département d’Osaka, 2003). D’ailleurs, entre 1985 et 2000, cette tendance s’est élargie jusqu’au secteur manufacturier et à celui des services (Département d’Osaka 2006, 56). Cependant, malgré la montée en popularité des déplacements, le nombre de compagnies d’Osaka arrivant à disposer de plus de 10 milliards de yens de capital a aussi augmenté. Depuis 2000, ce nombre diminue et le nombre de déplacements de compagnies aux multiples sièges sociaux (un siège social au Kansaï et un autre à Tokyo) augmente. Aujourd’hui, le nombre total de grandes entreprises d’Osaka ayant un capital de plus de 10 milliards de yens diminue toujours. De plus, chez certaines compagnies n’ayant qu’un siège social à Osaka, les analyses démontrent que la fonction principale du siège social, c’est-à-dire l’administration, est en réalité déplacée à Tokyo; les fonctions normalement prises en charge par le siège social, telles que la publicité, les relations avec les investisseurs, les relations internationales et la planification, sont souvent celles qui sont déplacées à Tokyo. En analysant les différents secteurs d’activité, on remarque que la concentration de ces fonctions à Tokyo est considérable chez les établissements financiers et les compagnies d’assurances.

Le déplacement à Tokyo et motivé principalement par la proximité avec le marché et les partenaires de vente, ce qui remet en perspective l’ampleur du marché du Kansaï qui semble diminuer au fur à mesure que le marché de Tokyo s’agrandit. Il est aussi le résultat de l’importance accrue des relations avec les investisseurs institutionnels et les analystes financiers. Malgré les coûts qu’occasionnent ces déplacements, les résultats financiers sont positifs dans presque tous les cas.

Le « nombre » d’entreprises qui se déplacent ne semble pas démesuré, mais ce qu’il faut noter, c’est qu’il s’agit surtout des grandes entreprises. Pour bien comprendre ce phénomène, le groupe de recherche de l’Université du Kansaï nommé Kansai Activation Research Group a analysé en 2007 le cycle du pouvoir aux environs de Tokyo et la baisse relative de l’emprise du Kansaï (dans les environs d’Osaka). On perçoit la centralisation du secteur privé à Tokyo comme une conséquence inévitable du développement des technologies de l’information et de la globalisation. Le développement des technologies de l’information, au lieu d’occasionner la

dispersion géographique des entreprises grâce à une capacité accrue de partager l’information, a plutôt engendré une baisse de la valeur de l’information comme telle au sein de l’entreprise. À l’opposé, ce phénomène a propulsé la valeur des informations difficilement accessibles à un niveau très élevé, de la simple rumeur qui n’est pas encore rendue publique aux décisions administratives internes des organisations importantes. À terme, cette situation a creusé un fossé entre le centre, qui analyse les informations rares et précieuses et qui agit en conséquence, et sa périphérie, qui reçoit les décisions qui en résultent. Dans ce contexte, la centralisation assure aux organismes une voix dans le processus décisionnel.

Selon Takase et Hagio (2007), la centralisation des organismes privés a aussi augmenté la valeur de l’information relative à l’administration de l’État. Les entreprises qui n’ont pas besoin de ce genre d’information se déplacent maintenant aussi à Tokyo, à la recherche de proximité avec leurs clients qui eux en ont besoin, à plus forte raison, les industries tertiaires. C’est ainsi que le groupe de recherche explique l’attirance du monde économique du Kansaï envers l’introduction du dōshūsei; le développement des technologies de l’information peut difficilement être freiné, mais l’organisation de l’État peut être revue. Cependant, le groupe de recherche de l’Université du Kansaï doute que cela porte fruit dans un avenir rapproché puisque les entreprises continuent d’attacher une certaine importance aux effets secondaires des contacts directs, qui constituent un des avantages majeurs de la centralisation géographique des entreprises.

Tableau 3 : Sièges sociaux et départements Département Nombre d'entreprises cotées en bourse* % au Japon Produit départemental brut en 2005 (milliard $)** % au Japon Tokyo 1721 47,7 92 269,4 18,3 Osaka 508 14,1 38 529,4 7,7 Aichi 224 6,2 31 184,3 6,2 Kanagawa 190 5,3 35 819,9 7,1

Hyogo 115 3,2 18 529 (en 2001) 3,7 (en 2001)

Japon 3609 100 503 366,8 100

* Créé par le Département d’Osaka à partir du premier tome de l’année 2003 de la revue Kaisha shikihô de Tôyo keizai.

** Créé par le Département d’Osaka à partir du Produit départemental brut publié par le Naikakuhu (Bureau du Conseil des ministres)

Tableau 4 : Sièges sociaux et villes

Villes possédant le plus haut pourcentage de sièges sociaux dans leur pays respectif (en 2004)

Deuxième

rang Suivi de…

Japon 23 arrondissements spéciaux Ville Yokohama 3,0 %

du département de Tokyo d'Osaka Nagoya 2,8 %

51,3 % 9,8 % Kobe 1,7 %

Grande- Londres Glasgow Leeds 1,5 %

Bretagne 39,5 % 2,1 % Manchester 1,1 %

Birmingham 0,9 %

France Paris Lyon Toulouse 1,2 %

26,8 % 2,0 % Marseille 0,9 %

Bordeaux 0,6 %

Canada Vancouver Toronto Calgary 15,6 %

22,6 % 19,4 % Montréal 5,3 %

Edmonton 1,8 %

Italie Milan Rome Gênes 3,6 %

21,8 % 13,3 % Naples 0,6 %

Turin 0,6 %

Allemagne Munich Hambourg Francfort-sur-le-Main 5,9 %

8,2 % 8,1 % Cologne 4,2 %

Düsseldorf 3,8 %

États-Unis New York Chicago Houston 2,5 %

6,4 % 2,6 % Boston 1,5 %

Los Angeles 1,1 %

Créé par le Département d'Osaka à partir de données obtenues de Mergent Online en février 2004. (Département d’Osaka 2004)

2 La concentration à Tokyo sur le plan socio-politique

Connu par son nom d'écrivain, Sakaiya Taichi 堺屋太一, l’ancien bureaucrate du MITI Ikeguchi Kotarō 池口小太郎 témoigne des politiques de concentration à Tokyo :

« Le ministère mettait en place au moment de son embauche en 1960. À cette époque, les associations d’industrie de filage et de vêtement se trouvaient tous à Osaka. Quand les tensions commerciales entre le Japon et les États-Unis107

ont escaladé, on pouvait voir dans le bureau de directeur de la section textile du MITI une pancarte sur laquelle était inscrit "Notre ennemi ne se trouve pas aux États-Unis, mais bien à Osaka". C’est la preuve que le MITI voyait le déplacement des associations industrielles d'Osaka vers Tokyo comme une priorité plus importante que ses négociations avec les États-Unis. » (Tokyo Shinbun 2012)