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Le développement du réseau commercial et de la classe marchande

Chapitre 3. L’Ouest et l’ Est dans l’histoire du Japon

6. La culture Kasei et les Edokko

6.4. Le développement du réseau commercial et de la classe marchande

Hayashi (2001) divise en quatre phases l’état de la circulation des marchandises à l’époque Tokugawa. Durant la première phase, au début du 17e siècle, les marchands associés à

la classe dominante (支配層) et ceux qui faisaient de l’importation de l’étranger monopolisent la circulation. Lors de la deuxième phase, après le milieu du 17e siècle, les marchandises sont

transportées sur de grandes distances à travers tout le pays, et le contact entre les marchands et les paysans se fait de façon plus ou moins stable d’un point de production à l’autre, et ceci sans être restreint par les frontières entre les domaines ou par les autorités régionales. Hayashi appelle ce phénomène « la circulation de marchandise en points et lignes ». La troisième phase débute à l’époque Genroku et s’étend jusqu’à la fin du 18e siècle. On retrouve des grossistes dans les

trois capitales, soit Osaka, Kyoto et Edo, qui collectent les produits des différentes régions et les distribuent aux consommateurs dans tout le pays de façon organisée. Hayashi baptise cette phase « la circulation en filet », pendant laquelle l’organisation se fait au fil des ans pour chaque produit. Les grossistes accumulent des profits en s’associant à l’autorité et exercent le contrôle sur les marchands. Dans la quatrième phase, de la fin du 18e siècle au 19e siècle, la circulation

de certains produits commence à échapper aux filets des grossistes. Certains produits se vendent directement aux consommateurs sans passer par les marchands des villes, et certains villages de production deviennent des centres de distribution. Hayashi nomme cette phase « la circulation polyèdre » puisque la relation entre les producteurs, les marchands locaux, les marchands non- grossistes en villes (les lieux privilégiés pour la consommation) et les transporteurs est plutôt horizontale que hiérarchique (ibid 138). Cependant, le type de circulation caractéristique de la

176 On ne sait toujours pas si on produisait du saké à l’intérieur d’Edo à l’époque. Actuellement, il n’y a qu’un

seul producteur de saké dans les 23 arrondissements spéciaux de Tokyo, Koyama shuzō 小山酒造 (北区岩淵町), fondé en 1878. La plupart des producteurs de saké à l’extérieur de ces arrondissements de Tokyo se situent dans la région de Tama et ont commencé à produire dans la dernière moitié de l’époque Edo.

troisième phase n’est pas entièrement remplacé par celui de la quatrième phase. Les deux modes de circulation des marchandises continuent à coexister à travers la fin du shogunat Tokugawa et adaptent leurs produits en fonction de l’industrialisation et des relations internationales.

À Edo, à la fin du 17e siècle, les grossistes (niuke donya 荷受問屋) n’ont aucun choix

quant aux marchandises qu’ils vendent, c’est-à-dire qu’ils stockent les surplus des producteurs, peu importe la nature de la marchandise, pour les revendre en gros. On peut donc dire qu’ils adaptent le produit qu’ils traitent en fonction de l’offre et non selon la demande. Plus tard, apparaît une nouvelle sorte de grossiste (shiire donya 仕入れ問屋), surtout à Ise et à Ōmi, qui choisit de se lancer dans la vente de marchandises spécifiques. La demande provient des détaillants à Edo et est ensuite relayée aux producteurs par le grossiste (ibid 46). Les articles de luxe sont, pour la plupart, des produits transportés par bateau à partir des régions de Kyoto, Osaka et Tōkai. Ce sont des denrées comme le sel, la sauce soya, les alcools (saké), le coton, l’huile à lampe, les peignes, le papier, les parapluies et la soie177. Les grands marchands du

Kamigata vendent leurs produits à Edo en passant par leurs propres succursales : les edo-dana. (Nishiyama 1981). Mais, il n’y a pas que les produits qui sont envoyés à Edo ; la main-d’œuvre l’est également. Les employés des edo-dana sont originaires de Kyoto, d’Ise et d’Ōmi et sont formés à la maison-mère qui se situe souvent à Kyoto. Ces employés conversent dans le langage de leurs patries du Kamigata. Pour attirer les marchands à Edo après sa construction, Tokugawa Ieyasu les exempte d’impôts. Il convoite surtout les marchands d’Ōmi, d’Ise, d’Osaka et de Kyoto pour leur grande expérience commerciale. Beaucoup d’entre eux s’installent à Nihonbashi (Nishiyama 1997, 41-43).

À Edo, la classe des marchands est composée principalement d’hommes, tout comme la classe guerrière178. Les employés des grands magasins commencent à travailler en tant

qu’apprentis (decchi 丁稚 au Kamigata ou kozō 小僧 à Edo). Ils sont nourris et logés chez leur patron, et deviennent commis adjoints (tedai 手代) après environs dix ans, soit vers l’âge de dix-sept ou dix-huit ans. C’est à partir de ce moment qu’ils sont rémunérés. Ensuite, ils ont la

177 Les produits en soie sont fabriqués à Kyoto et vendus surtout à Edo. Dans cette industrie, la plupart des

distributeurs sont à Kyoto.

178 Edo fut surtout la capitale des guerriers, au moins jusqu’à l’ère Genroku. C’était une métropole forte et

possibilité de devenir gérants (bantō 番頭). Avec l’accord du patron, le gérant peut fonder une famille. Il se marie habituellement avec une femme de sa ville d’origine. Ceux qui travaillent à Edo peuvent prendre un mois de congé par année pour aller visiter leur femme et leur famille. Souvent, ils retournent auprès de leur famille vers la fin de la trentaine avec une bonne pension de retraite en main. Le gérant a également la possibilité d’ouvrir une boutique de la même enseigne à son propre compte. Au Kamigata, et surtout à Osaka, les maisons de marchands opèrent davantage de manière matriarcale (Kizuya s.d.). À défaut d’un bon successeur dans la maison patronale, on marie la fille de la maison avec un gérant compétent qui est alors « adopté » par la famille, plutôt que de léguer la gestion de l’entreprise au gérant. Ainsi, il est chose commune de voir les femmes participer à l’administration du magasin (Miyamoto, M. 1959, 242-252)179.

Saitō Osamu (1987) observe une double structure du marché : « haute » et « basse ». La structure « haute » est composée de marchands professionnels ayant attaqué leur « carrière » en tant que decchi et qui ont par la suite obtenu un poste supérieur, menant parfois à l’ouverture de leur propre magasin. Cette structure est adoptée par les grands magasins. La structure « basse » est composée de travailleurs journaliers. Selon Saitō, il n’y avait pas de démarcation entre les deux structures durant le 18e siècle, mais l’écart se creuse au milieu du 19e siècle à Edo. À cette

époque, tandis que les marchands d’Osaka conservent la structure haute, Edo commence à accueillir des habitants provenant de partout au pays. Le marché est alors envahi par une forte proportion de travailleurs journaliers. La haute structure, maintenant minoritaire, est maintenue par les marchands envoyés du Kamigata. Des gens venus de partout s’installent à Edo et forment une population appelée « edokko (les enfants d’Edo) ».