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Chapitre 4. Les « Kansaïens (Kansaï-jin) », la langue et le monde littéraire

2. La littérature

2.7. La Seconde Guerre mondiale

Selon l’éditeur du Journal Asahi, à Osaka (1964), le personnage de Ryūkichi dans l’ouvrage Meoto zenzai251 représentait l’image d’indolence projetée par les hommes d’Osaka

après la Seconde Guerre mondiale. Mais, c’est la 8e division d'infanterie, avant la fin de la

Seconde Guerre mondiale, qui avait surtout servi de modèle à la réputation des hommes d’Osaka.

Encore une défaite pour la 8e division d’infanterie またも負けたか八聯隊、

Une médaille la 9e division recevra それでは勲章九聯隊、

Et le camp ennemi la 10e division prendra 敵の陣屋も十聯隊、

C’est la débâcle pour la garnison d’Osaka252 大阪鎮台、 ヘボ鎮台

Voici une chanson folklorique composée dans le but de dénigrer les soldats kansaïens pour leur caractère faible. La traduction ci-dessus reflète une compréhension de la chanson au premier degré. Si on regarde de plus près les paroles japonaises, on y retrouve deux jeux de mots. Dans le deuxième vers, « 9e division » (« ku rentai ») se prononce de la même façon que

le verbe « ne recevra pas » (« kuren tai »). Dans le troisième vers, « 10e division » (« to rentai »)

se prononce de la même façon que le verbe « ne capitulera pas » (« toren tai »). Ainsi, les paroles peuvent être comprises également de la façon suivante :

Encore une défaite pour la 8e division d’infanterie

Pas de médaille L’ennemi ne capitulera pas C’est la débâcle pour la garnison d’Osaka

251 En 1955, Toyoda Shirō réalise une adaptation cinématographique de ce roman d’Oda Sakunosuke. Le film est

traduit en français sous le nom de « La Relation matrimoniale ». À la suite de ce succès, Toyoda réalise en 1963 une suite tirée d’un scénario original avec les mêmes acteurs.

La 8e division d'infanterie était basée à Osaka; la 9e division d'infanterie était basée à

Kyoto; la 10e division d'infanterie était basée à Himeji avant son déplacement à Okayama.

Certains disent que cette chanson existe depuis la guerre russo-japonaise (1904-1905). Le qualificatif « faible » est souvent utilisé pour expliquer le caractère pragmatique du Kansaïen. « La mort, c’est la fin »; « Qui perd gagne. » Selon l’écrivaine Takeuchi Kumiko (1995), ancienne étudiante du programme d’éthologie des études supérieures de l’Université de Kyoto, le taux élevé de gens qui pratiquent la religion dans la région du Kansaï serait en lien avec cette attitude. Le fait que les Kansaïens ne croient pas à la vie après la mort entre en contradiction avec le fait qu’ils sont pratiquants.

Elle croit que les soldats provenant de Kyūshū et de Tōhoku, descendants de Jōmon arrivés sur l’archipel du Japon à l’époque des guerres tribales, auraient développé une croyance de la vie après la mort, tandis que les Kansaïens, descendants de Toraï ayant vécu la période glaciaire durant laquelle le froid empêchait l’éclatement des guerres, accorderaient plus d’importance à l’attachement envers ce monde. Elle a même appliqué son hypothèse à la répartition régionale actuelle des soldats des Forces japonaises d'autodéfense : en effet, il existe un plus haut pourcentage de soldats provenant de Tōhoku, de Hokkaïdo et de Kyūshū253 . Les

soldats originaires des départements de la région du Kansaï et de Tokyo sont moins nombreux (Takeuchi 1995, 142). Par contre, l’argument de Takeuchi Kumiko semble tiré par les cheveux. Les origines génétiques pourraient être utilisées pour comprendre le développement démographique de l’archipel japonais, mais il serait déplacé de l’associer à la culture émergente. D’ailleurs, il est difficile de penser que la culture des descendants de Toraï se soit développée dans l’absence de guerres. En effet, à l’époque des interactions avec le continent et la péninsule coréenne, l’empire du Yamato a envoyé des troupes contre le royaume coréen de Koguryŏ, et ensuite contre celui de Silla dès la fin du 4e siècle. Aussi, les empereurs ont envoyé des

expéditions militaires au sud de Kyūshū et dans le nord-est du Honshū pour conquérir les Hayato et les Emishi, surtout durant les 7e et 8e siècles.

253 Il faut noter que les soldats proviennent plus des régions rurales et économiquement défavorisées que des

L’éditeur du Journal Asahi a aussi tenté de démystifier cette chanson folklorique sur les soldats du Kansaï dans le livre intitulé Les Osakaïens. On dit que l’origine de l’image établie remonte à la guerre russo-japonaise, au moment où la division de Kanazawa et celle d’Osaka avaient fait front commun contre l’ennemi sur la Colline de 203 mètres (203 kōchi). La division d’Osaka se serait enfuie en criant défaite, après quoi la division de Kanazawa se serait presque fait anéantir. L’éditeur du journal Asahi prétend qu’en fait la 8e division d'infanterie n’a jamais

été envoyée à la Colline de 203 mètres et qu’elle n’a pas non plus participé à la guerre sino- japonaise (1894-1895), à la Révolte des Boxers (1900) ou à la Seconde Guerre sino-japonaise (1937-1945), car Osaka, le centre industriel du pays, avait intérêt à garder ses hommes plutôt que de les voir partir au front. Il affirme que les soldats d’Osaka avaient autant de courage que n’importe quels autres Japonais, en plus d’avoir des facultés logistiques exceptionnelles pour contrebalancer la force des soldats de Tōhoku et de Kyūshū. Il explique que la chanson a plutôt été créée durant la guerre du Sud-Ouest de 1877, au moment où la 8e division d’infanterie venait

d’être créée par le nouveau gouvernement de Meiji qui éprouvait des difficultés à imposer son autorité dans tout le pays; et que même le célèbre général Nogi ne s’en tirait pas sans difficulté. Le journal Asahi conclut l’article en faisant remarquer que l’homme d’Osaka n'a pas contesté ou essayé de démentir la chanson folklorique. Il n’a pas fait le brave ni cherché querelle. C’est cette audace et ce caractère qui font son charme.

Se référant à cette chanson, Fujimoto et Tanba (2001) soulignent un épisode de la Seconde Guerre mondiale. Un lieutenant originaire de Kurume, à Kyūshū, aurait dirigé les soldats d’Osaka pendant une certaine période. Lors d’une manœuvre nocturne sur la péninsule coréenne consistant à avancer sur le territoire sans se faire repérer, les soldats d’Osaka lançaient des avertissements aux autres soldats lorsqu’il y avait un trou pour éviter qu’ils ne tombent et se blessent. Avec cet exemple, Fujimoto et Tanba soulignent le caractère pragmatique des Osakaïens qui ne pensent pas à respecter des règles qu’ils jugent inutiles. Le lieutenant de Kyūshū était mécontent de ses soldats qui ne respectaient pas ses ordres de silence total, mais il ne les a pas réprimandés, car grâce à eux, il n’y a eu qu’un seul blessé. Pour Takeuchi, Fujimoto et Tanba, les gens du Kansaï sont poltrons, mais audacieux, et les gens de Kyūshū et de Tōhoku sont courageux mais impulsifs.

Ainsi, chacun interprète la chanson à sa guise pour souligner le caractère pragmatique de la région de Kansaï en comparaison du caractère des gens de Kyūshū et de Tōhoku : le Kansaï inspire une certaine mollesse, mais aussi l’intelligence et la tranquillité, tandis que le Kyūshū et le Tōhoku affichent une image plus virile et farouche.

Fujimoto et Tanba (2001:23) ont mentionné que cette chanson était souvent chantée par les enfants, de l'époque Meiji jusqu'à la guerre en Asie et dans le Pacifique. Par contre, certains disent que c’est surtout après la Seconde Guerre mondiale, quand la liberté d'expression était moins censurée, que cette chanson critique envers les militaires a été diffusée et que les anciens membres de la 8e division d'infanterie se sont mis à contester le contenu de la chanson

folklorique.

Selon les témoignages des vétérans de la 8e division d'infanterie, elle a bel et bien

participé à toutes les guerres mentionnées précédemment et n’a jamais perdu de batailles. Au contraire, elle était plutôt forte. Les vétérans s’opposent aux critiques qui traitent les hommes d’Osaka d’« étrangers », et le fait qu’étrangement, ce sont surtout des gens ayant un lien d’appartenance avec Osaka qui sont à l’origine de ces critiques. Finalement, ils font remonter l’origine de la chanson jusqu’à la guerre du Sud-Ouest de 1877, car c’est seulement à ce moment-là que la 8e division d’infanterie, basée à Osaka et composée de paysans et de

commerçants, a fait face aux guerriers de Satsuma à quelques reprises et perdu certaines batailles. Cependant, la 8e division d'infanterie a reçu la gratitude de l’empereur (Nakano, 1985)

pour ses exploits au sein de l’armée du gouvernement de Meiji. Enfin, Nakano blâme Tokutomi Sohō (1918-1952) qui a rédigé l’histoire du Japon de l’époque moderne dont cinq volumes sur dix sont consacrés à la guerre du Sud-Ouest, pour avoir ignoré ce fait et utilisé cette chanson pour analyser plutôt le recrutement des soldats dans les villes.

3. La Seconde Guerre mondiale